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Nous croyons plus utile de donner au public une idée générale du caractère des deux orateurs qui se sont dispu té, pendant plus de vingt-cinq années, la possession du pouvoir et le sceptre de l'éloquence; illustres rivaux, égaux peut-être sous le rapport du talent, mais bien différens l'un de l'autre dans tout ce qui tient à la sincérité de la conviction, à l'élévation de l'âme, à la loyauté du caractère. Cette comparaison servira, nous le pensons, à mieux comprendre et à mieux juger leurs opinions, qu'il faut chercher dans l'ouvrage même.

Des passions impétueuses, un grand amour et un grand besoin de sensations fortes, une ambition ardente, mais généreuse, un patriotisme assez éclairé pour ne pas exclure la philanthropie, une sensibilité profonde et vraie, une fidélité à toute épreuve dans l'amitié, une constance dans les affections qui l'emportait sur les haines et sur les intérêts de parti, un mélange d'enfance et de supériorité rempli de charme, un esprit fin, pénétrant, quelquefois ironique, mais que tempérait une bonté parfaite, et dont la puissance ne servait qu'à combattre des doctrines funestes ou à seconder les mouvemens d'une noble indignation, une éloquence entraînante, mais souvent inquiète et précipitée, comme si d'innombrables idées assiégeaient l'orateur et le poussaient malgré lui, un instinct admirable et rapide dans tout ce qui avait trait à la liberté, le goût de tout ce qu'il y a d'élégant dans les arts et de beau dans la nature, le don d'estimer l'espèce humaine et de n'éprouver la défiance que lorsque les faits l'avaient méritée; telles étaient les qualités qui plaçaient M. Fox au rang des plus grands et des meilleurs hommes dont l'Angleterre ait pu s'honorer.

Celles de M. Pitt étaient différentes; sa dialectique était puissante, sa diction pure et souvent élevée, son ambition immense, mais calme; toutes ses passions s'y étaient concentrées. Aucune affection, aucun entraînement, aucun goût pour les arts, pour le plaisir, pour les femmes, ne l'en

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détournaient. Le bruit public prétend qu'il se permettait de temps à autre d'obscures et vulgaires jouissances; mais il a fourni sa carrière sans ressentir une fois l'amour. On a dit, et je crois avec raison, que, dans sa jeunesse, il se livrait avec ceux qu'il appelait ses amis aux distractions que procurent en Angleterre les longues séances après les repas: mais son ivresse même était sage. Elle n'établissait aucune intimité entre lui et ses convives, parce qu'aucune sympathie n'existait dans son âme entre eux et lui. Avant d'arriver aux premières places, il avait, comme le font toujours tous les candidats au ministère, professé les principes de la liberté : mais, si l'on compare les discours qu'il a prononcés à ce sujet (ils sont à la vérité en très-petit nombre, puisqu'il a été ministre à vingt-trois ans) avec ceux qu'il a consacrés, pendant le reste de sa carrière, à favoriser l'accroissement du pouvoir, on voit que la défense du peuple n'était pas un terrain propre au développement de ses facultés. Elles brillaient surtout quand il s'agissait de déclamer contre la cause populaire. L'autorité était son atmosphère, comme la liberté celle de M. Fox.

Cependant, je ne le nierai point, il y a beaucoup de discours de M. Pitt qui sont parfaitement constitutionnels. Une constitution représentative a cet avantage, qu'elle fait entrer les idées des droits et des garanties dans l'esprit de tous ceux qui aspirent à prendre part au gouvernement; et à force de répéter pour leur intérêt des maximes de cette espèce, ils se persuadent enfin qu'ils y croient. Mais la manière dont ces deux hommes célèbres considéraient la constitution anglaise, n'était point la même. M. Fox y voyait un noble espoir de perfectionnement pour toutes les classes de l'espèce humaine; M. Pitt, un moyen de puissance régulière et de stabilité pour l'oli¬ garchie.

J'ai parlé de la constance de M. Fox dans ses affections, et les Anglais sont encore émus quand ils se rappellent les larmes versées par lui en plein parlement lors de sa rup

ture avec M. Burke. Je ne sais si M. Pitt a jamais pleuré, mais assurément ce n'a jamais été sur de vieilles amitiés brisées. M. Fox a eu des amis; M. Pitt des associés ou plutôt des subalternes.

Le ministère de M. Pitt a été en 1789 probablement une grande calamité pour l'Europe. Je ne sais quel auteur a dit que l'âme avait encore plus d'esprit que l'esprit tout seul, Un ministre plus cosmopolite et moins anglais que M. Pitt aurait vu, dans le grand mouvement imprimé à la France, une époque qui pouvait devenir heureuse pour l'humanité. M. Pitt n'y aperçut qu'une crise qui affaiblissait la nation rivale de l'Angleterre. Il voulut accroître le mal au lieu de seconder le bien. Il réussit à plonger la France dans un épouvantable chaos; mais la destinée est équitable; la France est sortie de ce désordre, et peut-être l'Angleterre est sur le point d'y entrer.

Je ne veux point ici, comme des écrivains exagérés et trop soupçonneux, accuser M. Pitt d'avoir soudoyé toutes les horreurs de la démagogie sanguinaire de 1793. Il y a des crises durant lesquelles les factions n'ont pas besoin d'être séduites pour être folles. Les torts de M. Pitt remontent plus haut. C'est en 1789 et en 1790 qu'il combattit, , par tous les moyens secrets qui étaient entre ses mains, les efforts de M. Necker pour apaiser la France; et je tiens de ce dernier, qu'entre autres obstacles à toutes les mesures qui pouvaient rétablir le calme, au succès des approvisionnemens, par exemple, durant le terrible hiver de 1789, il rencontra souvent l'influence anglaise,

M. Fox, on n'en peut douter, aurait agi bien différem→ ment. Il eût favorisé la tendance amicale qui se dévelop→ pait alors entre les deux nations. Il eût offert aux Français agités, tourmentés par les fléaux des saisons, par ceux des divisions intestines et par des intrigues étrangères, une noble et loyale alliance. Au lieu d'exciter les souverains de l'Europe à lever l'étendard contre un peuple qui voulait respecter l'indépendance de ses voisins, sous la seule con

dition que la sienne serait respectée, il eût employé l'influence du cabinet de Saint-James à faire sentir à la première coalition qu'il ne fallait pas irriter vingt-cinq millions d'hommes enthousiastes de la liberté : et, par cette conduite, il eût vraisemblablement sauvé Louis xvi et les milliers de victimes de toute contrée qui l'ont précédé et qui l'ont suivi.

A la vérité, l'Angleterre n'eût pas durant vingt ans exercé au même point le monopole du commerce: elle n'aurait pas été l'unique puissance maritime de l'Europe. Mais aussi elle ne verrait pas à Stockport, à Manchester, à Smithfield des rassemblemens de soixante-dix mille mécontens. La constitution ne serait pas menacée, l'obéissance aux lois ne serait pas remise en problème, d'insensés démagogues ne croiraient marcher à la liberté l'anarpar chie, et à la justice par l'assassinat. Tristes résultats d'un insolent triomphe.

pas

M. Pitt est le fondateur de l'école politique qui domine actuellement en Angleterre. L'égoïsme, le mépris des hommes et l'amour de l'argent en sont les mobiles. M. Pitt néanmoins était personnellement audessus des considérations intéressées. Son intégrité pécuniaire était reconnue. La médiocrité seule est avide, et le talent qu'avait M. Pitt et qui ne distingue aucun de ses élèves, le préservait des calculs sordides. Mais il y a, dans les hommes qui ont soif du pouvoir, une sorte d'arrogance qui fait qu'ils ne sont pas fàchés de voir leurs instrumens dirigés par des passions moins nobles. Outre qu'ils jouissent de se sentir supérieurs à ces instrumens, ils s'en croient plus sûrs, parce qu'on regarde comme sa propriété ce que l'on achète.

Durant la longue administration de M. Pitt, les titres se sont multipliés, les sinécures se sont accrues. Il avait oublié, au timon des affaires, ce qu'il avait dit lors de son entrée au parlement.

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Messieurs, disait-il, les ministres devraient au moins

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pas

ils'

fait

» donner au peuple la consolation de voir que le souverain prend part à ses souffrances, et offre lui-même l'exemple honorable d'une sage économie, dans un moment » si critique; ils devraient consulter la gloire et l'honneur » de leur maître, et le relever encore, s'il est possible, » dans l'opinion de ses sujets, en lui faisant le mérite de » retrancher ce qui appartient à la magnificence, pour » ne conserver que ce qui est nécessaire au besoin. Au » lieu d'attendre les demandes d'un peuple accablé, » devraient accroître sa popularité par un abandon volon»taire de revenus superflus. Si les ministres n'ont >> leur devoir, ce n'est pas une raison pour que cette chambre » ne fasse pas le sien. Actifs en tout ce qui concerne » l'intérêt de leurs représentans, les membres de cette >> chambre saisiront toutes les ressources, tous les moyens » raisonnables qui se présenteront d'eux-mêmes; et certes » nul n'est plus positif et plus flatteur que celui de l'écono» mie. Leur caractère leur impose le devoir de suivre ce principe jusqu'aux pieds du trône même, en conseillant » à la couronne d'abandonner une ostentation inutile, » afin de conserver le pouvoir nécessaire; de diminuer un » peu de sa pompe royale, afin d'assurer d'autant le res» pect qui lui est dû; de restreindre enfin de sa grandeur » extérieure, pour augmenter encore sa dignité person»^nelle.... Ce n'est pas déroger à la grandeur royale que » d'écouter avec intérêt les plaintes du peuple. Parler de la » tutelle de cette chambre serait peut-être employer une expression trop forte; mais avouer sa curatelle ne peut >> offenser un roi constitutionnel. La diminution de ses dépenses superflues n'attaque pas la royauté; et loin que » sa magnificence et sa grandeur puissent être atteintes » par une sage économie, dans un temps aussi critique, » son existence semble au contraire prendre une force plus réelle par la réduction des dépenses... La liste civile a été accordée à S. M. par le parlement pour tout autre » motif que pour son usage personnel. Elle a été allouée

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