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çut de secrètes inquiétudes; et, dès le premier jour de la mise en exécution du nouveau pacte, il y eut des germes trop visibles de défiance et de division.

Toutefois la force des choses était encore telle que ces germes ne menaçaient point la France d'un développement rapide ou d'une explosion violente. Personne, soit au dehors, soit dans l'intérieur du gouvernement, ne se sentait assez fort pour vouloir courir le risque d'une bataille. Personne ne connaissait les ressources de ses adversaires. Des hommes étrangers les uns aux autres depuis un quart de siècle, s'observaient, se mesuraient, et ne parvenaient ni à se juger, ni à se comprendre. Un instinct sourd avertissait les partis que ce n'était pas le moment d'une explication qui n'eût pas été francle, lors même qu'elle fût devenue hostile. Il n'y avait point de centre d'opposition qui pût alarmer l'autorité, et d'une autre part, la prolongation d'une chambre de députés à laquelle les intérêts de la révolution devaient être chers, et la composition même du ministère étaient rassurantes.

Certes, je ne veux point me constituer ici l'apologiste du ministère de 1814. Peu de ministères ont commis autant de fautes. Mais je n'en suis pas moins convaincu que ce n'est point avec intention qu'il a gouverné comme il l'a fait. La grande majorité de ses membres avait donné ce qu'on est convenu de nommer des gages au régime établi par la révolution. Dans cette majorité, les uns avaient suivi de leur mieux cette révolution sous toutes ses formes, en y conformant non-seulement leur vie publique, mais leur vie privée, en associant leurs noms à toutes ses crises remarquables. Les autres avaient servi avec moins d'éclat, mais avec autant de zèle le gouvernement impérial.

Un tel ministère pouvait bien concevoir l'idée trèsfausse d'étouffer la liberté par l'assoupissement (je me sers de l'expression inventée si ingénieusement par l'un des ministres). Il pouvait espérer que les décrets impériaux, les lois impériales, si bien calculées pour maintenir le re

pos par la pression, et pour constater l'unanimité par le srience, lui serviraient à gouverner un peuple qui avait paru s'y résigner quatorze ans. Il pouvait croire que ce. peuple, fatigué par les malheurs de la guerre, voudrait à tout prix jouir de la paix et s'y endormirait avec complaisance. Il ne songeait pas que l'habitude de l'activité rend l'inaction pénible, qu'il fallait suppléer à l'agitation belliqueuse par le mouvement patriotique, et remplacer les souvenirs de la gloire par les espérances de la liberté; que d'ailleurs l'amour du repos est précisément ce qui doit ar¬ mer contre le despotisme une nation éclairée, puisque le propre de l'arbitraire est de troubler le repos ; que les progrès de la civilisation font entrer l'avenir dans les calculs des hommes; qu'en conséquence, ils ne veulent pas seule. ment des jouissances, mais des garanties; et que, s'il est possible par des mesures tyranniques et atroces, exécutées inopinément et avec violence, de rejeter pour un temps plus ou moins long une nation dans la tyrannie, il ne l'est pas de l'y ramener doucement quand on lui laisse une tribune et surtout la presse, dont l'usage, quelque restreint qu'il soit, tient la pensée vivante, et lui rappelle ses droits par les cutraves mêmes qu'on veut lui imposer. Mais de ces erreurs trop naturelles à des ministres qui avaient fait leur éducation, les uns dans un exil, où ils n'avaient d'autre tâche que de conserver, autant que le permettaient les circonstances, quelques-unes des étiquettes de la royauté; les autres, sous un maître qui ne laissait à ses instrumens d'autres facultés qu'une obéissance aveugle et mécanique; de ces erreurs, dis-je, au projet hasardeux d'une contrerévolution complète, l'intervalle était vaste, et le ministère. de 1814 ne l'avait point franchi.

Je dirai plus, si cette contre-révolution se fût présentée à lui de front, ma conviction profonde est qu'il ne l'aurait point voulu. Tel ministre se fut alarmé pour ses propriétés nationales, tel autre pour son origine plébéienne. Le serment du clergé, le mariage des prêtres, mille circonstances

individuelles auraient rattaché le ministère de cette époque à une révolution dont il sacrifiait les principes, mais dont il ne pouvait renier les résultats.

Malheureusement, en dehors du ministère était une faction peu nombreuse, mais forte en apparence de l'éclat du rang, fière de l'élégance de ses formes, croyant que l'autorité est son droit, parce que le bon goût est sa prétention; se trompant sur son impuissance parce qu'elle s'étourdit par sa vanité, et destinée à ignorer éternellement la nation, parce que, trouvant la nation mauvaise compagnie, elle ne croit pas que ce soit la peine de s'en occuper.

Ici j'arrive à la première cause réelle des événemens du 20 mars, et je m'arrête pour la détailler dans une autre lettre.

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L'institution des gardes nationales se rattache d'une manière trop essentielle et trop intime aux bases d'une constitution libre, pour ne pas fixer au plus haut degré l'attention d'un peuple qui a fait tant de généreux sacrifices, et éprouvé tant de souffrances pour conquérir sa liberté et conserver son indépendance.

La garde nationale est tellement le palladium de la liberté, que du moment que l'anarchie se fut emparé du pouvoir, elle s'empressa de détruire avec violence les gardes nationales, dévouées au maintien du bon ordre et de la sécurité des citoyens. Le directoire, qui manquait d'unité, d'amour de la patrie, d'élévation de sentimens, craignit également une organisation vraiment civique. Le gouvernement qui lui succéda fut bien plus habile; revêtu d'a

bord des formes libérales, qui seules peuvent réunir les Français, il sentit qu'il ne pouvait y avoir d'apparence de constitution, si l'on ne voyait la garde nationale servir de base à cet édifice tutélaire. Aussi le gouvernement impérial, se modelant sur celui d'Auguste, parut dans les premiers temps donner tous les droits de l'adoption aux institutions filles de la liberté. La garde nationale ressuscita et reparut brillante comme aux champs de la fédération. Mais en même temps qu'on présentait cette noble décoration à la France, on s'occupait de saper les fondemens qui en constituaient la force on substituait à l'élection libre des citoyens pour la nomination des officiers, les choix du gouvernement. Dès lors, plus de garantie pour la liberté; au contraire, une puissance de plus pour la detruire.

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Les citoyens se connaissent entre eux, savent s'apprécier, ont le même intérêt; leur choix est flatteur parce qu'il est le résultat de l'estime; mais ce ne sont plus ces sentimens puisés dans la nature, nés de l'égalité civile, dictés par l'intérêt commun, qui président aux nominations. Elles ne sortent plus de l'urne qui avait recueilli le secret de tous les cœurs; elles apparaissent dans une ordonnance méditée par la politique; elles sont un ordre, un brevet; ce n'est plus un simple citoyen qui réclame l'obéissance, c'est l'homme de l'autorité qui la commande, et, lorsqu'on n'est pas soldat, l'obéissance devient pénible. Avant de reconnaître les modifications qu'a subies la garde nationale depuis la restauration, je veux examiner quelle fut son origine. Si je démontrais qu'elle est bien antérieure aux croisades, bien plus ancienne que les plus anciens titres, qu'elle appartient à des temps qui ont précédé l'ère chrétienne, alors, peut-être, pourrait-elle trouver grâce auprès des hommes qui ne pardonnent pas aux institutions, quelque utiles qu'elles puissent être d'ailleurs, si elles n'ont pas été créées par des diplômes, si elles ne nous sont pas parvenues par des chroniques; mais si elles sont le résultat du progrès des lumières qui, comme les astres, suit les lois éternelles qui lui ont été données pour le plus grand avantage de l'espèce humaine.

Le droit de se garder, de pourvoir à sa propre police au maintien du bon ordre, à la garantie des propriétés, a été exercé par les peuples aussitôt qu'ils ont eu commen

cement de civilisation. Il y a plus, ce droit a même résisté depuis à la violence et à l'oppression de la conquête. Lorsque les Romains eurent subjugué les Gaules, ils respecterent les droits des municipes; les légions campaient hors des murs; elles étaient destinées à contenir les peuples, mais elles ne s'immisçaient pas dans leurs affaires privées; elles n'attentaient pas à la liberté individuelle; les droits civils étaient protégés par les lois du pays.

Lorsque l'affranchissement sortit des décombres de la barbarie, le droit de se garder elles-mêmes fut le premier réclamé par les cités. Quoique la plupart eussent été obligées de racheter ce droit imprescriptible, elles en furent depuis dépouillées en France, à mesure que l'autorité royale, fortifiée par leurs efforts, eut acquis plus de prépondérance. Cependant quelques villes surent maintenir leurs droits, sous le nom de priviléges. Bordeaux (1) et Lyon avaient celui de ne recevoir aucune troupe dans leurs murs; elles ne pouvaient même les traverser en voyageant. Abbeville, Bayonne, étaient devenues des places de guerre; des généraux y commandaient, et cependant, jusqu'à la révolution, les clefs de la ville étaient portées le soir chez le maire. A Paris, les gardes françaises et les gardes suisses étaient casernées dans les faubourgs, et n'exerçaient la police que sur les militaires; celle des bourgeois était faite par des officiers civils et des troupes municipales.

En Allemagne toutes les villes anséatiques, et plus tard les villes libres seulement, conservèrent le droit de se garder et le maintinrent toujours avec le plus grand soin. Tel était l'état des choses en 1789.

La situation de la ville de Paris, sur laquelle marchait une armée composée presque entièrement de régimens étrangers, la défiance qu'inspirait le guet-à-pied et la déconsidération dans laquelle il était tombé, firent naître la pensée de confier la sûreté de la ville à la garde des citoyens; Mirabeau proposa le rétablissement (2) de la garde bourgeoise.

(1) A Bordeaux, lorsque le colonel du régiment qui était en garnison au Château-Trompette logeait dans la ville, il ne pouvait avoir une sentinelle pour l'honneur et la sûreté des drapeaux, qu'avec la permission du corps municipal.

(2) Je dis le rétablissement, parce que l'usage des gardes municipales soldées n'était pas ancien. On voit que pendant la ligue et lu

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