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A ce témoignage des étrangers, observateurs indifférens et impartiaux de nos troubles, faut-il ajouter des faits nationaux? Je crois devoir citer un homme dont le nom s'allie intimement à la liberté dans toute son étendue, mais aussi dans toute sa pureté, un homme que notre siècle doit remercier d'unir les lumières modernes à un caractère antique, un homine dont les vertus ont vaincu l'injustice, et qui, après trente ans d'une vie admirable, est l'objet au→ jourd'hui du respect de l'Europe, comme il le fut dans sa jeunesse de l'enthousiasme des Américains. On devine facilement à ces traits M. de La Fayette : voyons quelle fut sa conduite lors des événemens du 20 mars.

La nouvelle de l'entreprise de Bonaparte lui fut portée à la Grange par son fils. Il n'avait, depuis long-temps, aucun rapport avec la cour. Cependant la crise qui s'annonçait lui donna le besoin de voir à Paris même s'il était possible de sauver la France. Il trouva les chambres disposées à soutenir le roi; mais, dans celle des députés, le parti de la cour se montrait beaucoup plus timide que celui de l'opposition; c'est que les sentimens généreux se tiennent, répondit-il à M. Laîné, lorsqu'il s'étonnait de n'être secondé que par ceux qui, dans l'autre session, avaient défendu, malgré lui, la liberté de la presse et les droits de la nation. Mais, du reste, la défiance pour les intentions du parti de Coblentz était si forte, les blessures faites à tous les sentimens, à tous les intérêts, à toutes les vanités, étaient si profondes, qu'une illusion étrange, et, en quelque sorte volontaire, s'était emparée de beaucoup de têtes. Des généraux destitués par Napoléon, des sénateurs ayant voté sa déchéance, des républicains qu'il avait persécutés, voyaient, dans l'adversaire obligé de la contre-révolution

par le traducteur, elles se ressentent de cette double et fâcheuse opération. La suite de ces lettres indiquera ce qu'il y a de vrai dans ces anecdotes, et rectifiera ce qu'il y a de faux.

dont on leur avait inspiré la crainte, un défenseur rendu à la liberté. Il était loin de partager ce sentiment. Quoique M. de La Fayette vît, du côté de l'exagération royaliste, une haine dont il avait reçu de récens témoignages, de l'autre, une disposition qui eût été bienveillante, s'il ne l'avait pas repoussée; d'un côté, les souvenirs de sa captivité d'Olmutz, de l'autre, ceux de sa délivrance, il n'apportait de sa retraite que des vœux contraires à Napoléon. Sa disposition fut bientôt connue. On lui demanda si, dans la ligne de ses opinions, l'on pouvait compter sur lui; il se dévoua sans hésiter.

L'on ne résiste guère à la tentation de se placer dans les rangs où l'on rencontre M. de La Fayette. Je dirai donc, au risque d'être accusé d'amour-propre, que des motifs d'une nature analogue me dictèrent la même conduite dans la même circonstance. J'avais, dans mes écrits, combattu plusieurs des actes du ministère. Je venais d'essuyer des attaques officielles, de la part d'un ministre en faveur, au sujet de mon ouvrage sur la responsabilité. Je n'avais prêté aucun serment, je ne remplissais aucune fonction. Je n'avais nul devoir de prendre le parti d'un gouvernement qui me traitait avec malveillance. Je n'hésitai point cependant. Les articles signés de moi, dans les journaux, contenaient ce qui a peut-être été dit de plus véhément, de plus propre à soulever les Français, et à les rallier autour du roi qui régnait par la charte. Ces articles sont assez connus. Ils m'ont été suffisamment reprochés par ceux avec qui j'offrais d'exposer ma vie, mais non de tourner mon bras contre mon pays. Je publiai le second de ces articles lorsque Bonaparte était à Fontainebleau.

Les membres de l'opposition, dans la chambre des députés, agirent avec la même franchise et le même zèle.

Mais, en se dévouant ainsi, pour soutenir le trône contre une invasion inattendue, les constitutionnels avaient bien le droit de proposer les mesures saus lesquelles ils prévoyaient que leur dévouement serait inutile. Ces me

sures ne pouvaient être qu'un retour sincère aux maximes de la charte, et l'adoption franche, non-seulement de ces intérêts accidentels que les révolutions introduisent dans l'état social des peuples, mais aussi des principes dont l'oubli produit des révolutions, principes que la nation avait proclamés en 1789, loin desquels la terreur l'avait entraînée en dépit d'elle-même en 1793, vers lesquels elle avait espéré revenir en 1800, et qu'elle avait, en 1814, puni Bonaparte d'avoir méconnus ou dédaignés.

Avant de détailler ces mesures, je crois devoir répondre à une objection plausible, qui m'a été souvent opposée par ceux avec qui je me suis entretenu des événemens de 1815. Toute résistance n'était-elle pas inutile ? Aussitôt que Bonaparte eut touché le sol de la France, son triomphe n'était-il pas assuré? Que servait donc un péril sans but? Quand le succès est impossible, la persistance dans un vain effort ne cesse-t-elle pas d'être du courage? Ne devient-elle pas de l'ostentation et de la folie? J'essaierai de résoudre ces questions dans la lettre suivante.

B. G.

NOUVELLES LITTÉRAIRES.

Histoire de Samuel, inventeur du sacre des rois. Fragment d'un voyageur américain, traduit sur le manuscrit anglais (1).

L'histoire de Samuel est l'une des époques les plus singulières des annales hébraïques; elle nous offre le phéno

(1) Paris, à la librairie constitutionnelle de Brissot-Thivars, rue Neuve-des-Petits-Pères, no. 3. Prix: 2 fr. 25 cent; et, par la poste, a fr. 70 cent.

mène d'un peuple à demi sauvage, qui, par l'effet d'une volonté énergiquement manifestée, s'efforce d'échapper au joug de la théocratie, et ne trouve que dans la royauté despotique un refuge contre l'anarchie sacerdotale; cette transition, considérée sous un vrai point de vue, peut fournir d'utiles leçons. Nous devons savoir gré au modeste et savant voyageur, dont la raison lumineuse a pénétré les ténèbres des anciens jours, et a découvert les causes natu→ relles d'un changement d'autant plus remarquable, qu'il fut exécuté sans efforts, et ne produisit ni déchiremens, ni guerre civile, ni aucune de ces calamités qui nous paraissent les inévitables conséquences des révolutions politiques.

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On sait qu'avant l'établissement de la royauté, les Hébreux, épars dans leurs montagnes, comme les Druses de nos jours, n'avaient d'autres liens sociaux que les mêmes mœurs, les mêmes habitudes, les mêmes croyances, le même culte. Les devoirs religieux attiraient sans cesse les familles au point central de l'arche, dont le grand-prêtre était le gardien, dont tous les mâles de la tribu de Lévi formaient la milice. « En lisant l'histoire des Juges, dit l'auteur, on ne voit pas qu'aucun grand-prêtre ait délivré la nation d'aucune servitude; ces servitudes ne furent repoussées et dissoutes que par l'insurrection d'individus. courageux qui appelaient la nation aux armes, et qui, pour prix de leur audace et de leurs succès militaires, étant regardés comme des envoyés de Dieu, s'investissaient euxmêmes ou étaient investis par l'opinion publique, sous le nom des juges, d'un pouvoir suprême, qui ne fut temporaire que faute d'héritiers de leur valeur. Alors l'autorité du grand-prêtre était comme suspendue et limitée aux fonctions de chef des sacrifices et d'interprète des oracles. "

Tant que vivaient les juges, le peuple hébreu jouissait de la paix et de l'indépendance: étaient-ils morts, l'anarchie

ne tardait pas à reparaître et à ramener une nouvelle servitude. « L'expérience et l'observation de ces alternatives, ajoute l'auteur, ne purent manquer de faire naître et de répandre dans les esprits l'opinion que, pour obtenir un état durable et solide, il eût fallu avoir un juge, un chef militaire permanent. On sent que les grands-prêtres, appelés par la simple naissance et le droit héréditaire au pouvoir suprême, n'y apportaient pas également la capacité requise; on sent que ces chefs du culte et toute la classe sacerdotale, nourris aux frais de la nation dans une oisive abondance, vivaient presque nécessairement dans une mollesse et un relâchement de mœurs qui devaient tout à la fois affaiblir leurs facultés morales, leur considération et leur crédit. Le peuple dut remarquer que les étrangers qui le subjuguaient avaient toujours des rois combattans à la tête de leurs armées; il dut attribuer leurs succès à ce régime qui effectivement en fut une cause; par une conséquence naturelle, il dut concevoir l'idée et former le vœu d'avoir aussi des rois. Un obstacle à ce vou se trouvait dans l'habitude de la théocratie, c'est-à-dire dans le respect, dans l'obéissance rendus aux prêtres, comme agens immé diats du Dieu de la nation, et dans l'intérêt qu'ils avaient de maintenir cette soumission et ce respect, unique base de leur autorité et de leur abondance. »

Ces réflexions, pleines de sens et de justesse, expliquent la révolution qui, du temps de Samuel, s'opéra dans l'état politique des Hébreux. Le dernier grand-prêtre était un homme d'une faible capacité, nommé Héli. « Or, dit l'Écri»ture, les enfans d'Héli étaient des enfans de Bélial qui » ne connaissaient point le Seigneur, ni le devoir des prê» tres à l'égard du peuple; car, qui que ce soit qui eût » immolé une victime, le serviteur du prêtre venait quand » on en faisait cuire la chair; et, tenant à la main une » fourchette à trois dents, il la mettait dans la chaudière » ou dans le chaudron, dans la marmite ou dans le pot,

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