Page images
PDF
EPUB

Bonaparte n'avait donc pour lui, ni la totalité de l'armée, ni les amis des lumières, ni les nobles, ni les négocians, ni même la majorité des acquéreurs de biens nationaux, ni enfin le plus grand nombre de ceux qui avaient commencé sous lui leur carrière, mais qui auraient voulu la poursuivre sous le roi. Ses partisans véritables étaient les habitans des campagnes, qui avaient peu souffert des vices de son administration antérieure, la conscription exceptée, et qui avaient eu à supporter, plus que toute autre classe, les outrages de la noblesse, dont l'arrogance, durant sa courte prospérité, venait de réveiller des haines un peu amorties par ses longs malheurs. Ce fut par ces campagnards que Bonaparte se vit entouré, porté en triomphe, dès qu'il eut touché le sol de la France (1).

La popularité de Bonaparte laissait donc beaucoup de chances à une résistance combinée avec tous les actes de réparation et de justice qui auraient apaisé la classe mécontente; et les constitutionnels, qui croyaient que le triomphe de Bonaparte serait un malheur, parent, sans obstination et sans folie, vouloir mettre à profit ces moyens de résistance. Le succès ne leur paraissait pas assuré, mais il leur semblait désirable et possible.

D'ailleurs, admettons qu'il y eût difficulté et incertitude ne faut-il donc rien risquer dans la vie, et dès qu'il

[ocr errors]

(1) Si l'on croyait voir une contradiction, entre ce que je dis maintenant et ce que j'ai dit dans une lettre antérieure, du mécontentement universel que le gouvernement avait excité, ce serait à tort. J'ai déjà observé que ce mécontentement n'avait aucun rapport avec l'arrivée de Bonaparte. La gravité des circonstances créées par son retour frappaient tous ceux qui se voyaient jetés inopinément au milieu d'incalculables orages. La fable de la mort et du bûcheron se réalisait pour beaucoup de gens, qui, dans leur irritation qui était justé, dans leur crainte qui était exagérée, dans leur impatience qui était imprudente, avaient formé vaguement des vœux assez confus, dont l'accomplissement produisait en eux, au lieu d'espérances, de alarmes, au lieu de satisfaction, de l'effroi.

y a péril, doit-il y avoir débandade? Je ne le pense pas. Faire dans chaque circonstance ce qu'il y a de mieux mériter le succès si on ne l'obtient pas, et, si l'on est vaincu, partir de sa défaite même pour être encore utile, telle a été, telle sera toujours ma règle de conduite.

B. C.

HISTOIRE DE L'IMPÔT EN FRANCE.

Si les Français du temps jadis étaient gouvernés pitoyablement, du moins l'étaient-ils à bon marché, ce qui ne Jaissait pas d'offrir une consolation. Payer beaucoup pour être mal est une misère toute moderne. Il ne paraît pas que ni les assemblées populaires du Champ-de-Mars, sous la première race, ni les états aristocratiques du Champ-deMai, sous la seconde, aient jamais voté d'impôts; les rois, alors, vivaient du produit de leurs biens, et les peuples aussi. Deux horribles fléaux, l'invasion domestique, c'est la féodalité que je veux dire, et l'invasion étrangère, nous ont amené peu à peu l'assiette et la perception dẹ l'impôt, telles qu'elles avaient lieu sous l'ancien régime, et telles qu'on voudrait bien nous les rendre aujourd'hui, sauf quelques vaines formalités d'enregistrement.

Les plus anciens rôles de contributions publiques durent être faits sous Louis-le-Gros, par les communes, pour payer leur établissement. Sans doute il eût été mieux de ne pas vendre à prix d'or la jouissance d'un droit ; mais il est juste d'observer que le roi avait besoin de subsides, soit pour réparer la dévastation de ses propres domaines, soit pour combattre le brigandage des seigneurs; et cette création de municipalités qui, sous sa protection, s'administraient elles-mêmes et formaient leurs milices, était un si immense bienfait, que jamais argent ne dut

être donné avec plus de transport. Si l'on réfléchit que le brigandage féodal était arrivé à ce point que les hommes libres se vendaient pour acquérir la sécurité des esclaves, on peut se figurer avec quelle ivresse les esclaves se rachetaient pour acquérir l'indépendance d'hommes vrai

ment libres.

Mais ce n'était encore là que le prix d'une vente, qu'un contrat spécial. Les premiers impôts publics furent assis sur les denrées, à l'imitation des taxes des seigneurs, par les communes elles-mêmes, et à leur profit, puisqu'elles devenaient chargées de leur propre défense et de leur propre administration. Ce fut, plus tard, Philippe-leBel qui, ayant commencé à reconstituer la monarchie par d'imparfaites assemblées de la nation, attira les subsides à la couronne, en les obtenant des trois ordres, à titre de don gratuit. Les tailles alors s'étendirent, et peu à peu devinrent générales. Quant aux aides et aux gabelles, elles ne furent consenties que sous Philippe-de-Valois, par les états de 1345, et c'était toujours comme don volontaire; c'était pour fournir au prince les moyens de défendre sa couronne contre les violentes attaques d'Édouard III, car c'est une circonstance fort remarquable, que cette indépendance dans laquelle les Français se maintinrent trèslong-temps, relativement à l'impôt ; nous allons voir comment ils la perdirent.

Les états de 1355, assemblés par le roi Jean, au milieu de l'irritation qu'avait jetée dans les esprits le despotisme de son père, avaient une belle occasion pour ressaisir la puissance législative, et pour donner à la France au moins une esquisse de constitution qui, peut-être, eût prévenu quatre siècles de calamités; ce qui leur manqua, ce fut les lumières et non la volonté ; la presse n'avait pas encore émancipé la pensée humaine; mais défendre son argent est une science que les plus ignorans possèdent, et les états de 1355 défendirent bien le leur. Ils établirent, pour la perception et l'emploi des subsides ou dons gratuits, une

commission permanente d'administrateurs des finances, choisis dans leur propre sein, et qui prirent de là le nom d'élus. C'était aller trop loin; c'était introduire le désordre dans l'état, en brouillant ensemble les idées de législation et d'administration; aussi Charles v sut-il tirer avantage de cette faute pour s'abstenir de convoquer les états pendant tout le cours de son règne, et pour usurper la plus respectable des prérogatives nationales, en ordonnant des impôts de sa propre autorité. Triste avantage, hélas ! semences des troubles affreux qui agitèrent le règne suivant, et que Charles prévit lui-même, lorsqu'à son lit de mort il supprima les impôts établis sans le consentement des états. Mais il était trop tard; le dernier souffle d'un roi mourant n'avait plus assez de force pour éteindre des brandons de discorde et d'anarchie, si imprudemment allumés; la révolte de Paris et celle des provinces, lorsque le duc d'Anjou, régent du royaume, voulut rétablir les impôts illégitimes; le massacre des receveurs, les horribles représailles que le conseil exerça par le pillage des campagnes, par la ruine de Paris et par le supplice de ses principaux habitans; enfin, tous les désastres du règne de Charles vi sont des fruits trop connus de la sagesse de Charles v, pour qu'il soit besoin de les rapporter. Avec le libre vote des impôts, tout équilibre était détruit; dès lors il n'y avait plus ni nation, ni roi, mais un despote lorsque le prince était ferme; plusieurs, lorsqu'il était faible, et des troupeaux d'esclaves travaillant et payant pour être opprimés. Cette faute grave d'un monarque qui mérita d'ailleurs la reconnaissance publique pour avoir rendu à l'état une paix et une indépendance momentanées, ne doit pas moins être méditée par les peuples que par les rois; des deux côtés, il y avait eu excès, envahissement de pouvoir; les saintes barrières, protectrices de l'ordre public, avaient des deux parts été renversées; l'anarchie fut organisée en France, et quelques règnes despotiques, qui la compri

mèrent par intervalles, ne servirent qu'à lui préparer de plus violentes irruptions.

L'histoire des impôts ne vaut plus la peine d'être suivie depuis leur perpétuité établie sous Charles vii, pour entretenir la perpétuité des armées. Le parlement qui, à dater de Charles vi, avait usurpé un simulacre de représentation nationale (tant il était indispensable que le pouvoir arbitraire eût quelque contre-poids); le parlement, dis-je, n'était ui assez fort ni assez populaire pour opposer par ses remontrances une digue suffisante à la cupide ambition des rois, ou aux déprédations effrénées des courtisans. Aussi la taille perpétuelle qui, lorsque Charles vn la créa, n'était pas de deux millions, fut portée immédiatement à près de cinq millions, par Louis xi; et, depuis ce temps, la progression des impots devint si rapide qu'ils s'élevaient au total à plus de six cents millions, lorsque la révolution éclata. On sait que le dernier budget en porte la masse entière à près d'un milliard.

Si l'on ne peut, sans injustice, reprocher au gouvernement actuel l'énormité de ces charges, dont les causes sont connues, du moins le devoir rigoureux des députés est-il de tendre sans cesse à en diminuer le poids accablant par l'examen sévère et la censure inflexible des dépenses de l'état. L'austere acomplissement de ce devoir, trop méconnu, maintient seul au député sa conscience et son caractère. Que les privilégiés, que les fonctionnaires votent en faveur des abus dont ils profitent, il ne faut pas s'en étonner; pourquoi nomme-t-on députés des privilégiés et des fonctionnaires? mais que des propriétaires, des négocians, des savans, que des hommes de la nation trahissent leur mandat par complaisance ou par calcul, c'est le spectacle le plus affligeant que puisse présenter la France consti

tutionnelle.

A.

« PreviousContinue »