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faction qui imposa à Louis XVIII le duc d'Otrante. « Je n'ai » jamais vu, » dit le noble pair, en parlant de ceux qui étaient avec lui à Arnouville, « un vertige plus étrange; » on criait de toutes parts que, sans le ministre proposé, » il n'y avait ni sûreté pour le roi, ni salut pour la » France que lui seul avait empêché une grande bataille, que lui seul avait sauvé Paris, que lui seul pou» vait achever son ouvrage.... Il fut presque impossible >> aux meilleurs esprits d'échapper à la force des choses et » à l'illusion du moment. » (De la Monarchie selon la charte, chap. 45.) Je ne demanderai pas à M. de Châteaubriant si lui-même, avant le 20 mars, s'était toujours préservé de ce vertige. Ce que je sais, c'est qu'antérieurement à cette époque, les royalistes exagérés réclamaient déjà le duc d'Otrante. Ils lui attribuaient l'affermissement du despotisme impérial, et ils le voulaient, comme un habile constructeur de despotisme. Au moment du danger, ils redoublerent d'efforts pour le porter au pouvoir. M. Laîné partageait seul avec les constitutionnels une répugnance que les autres traitaient de vain scrupule et de nia serie. J'étais entièrement de l'opinion de M. Laîné. Je n'ai jamais pu concevoir l'un des hommes qui ont condamné Louis xvi, au nombre des conseillers de Louis xvIII. Je m'en étais expliqué avec le duc d'Otrante luimême, chez madame de Staël, qui était de mon avis. Je pense, d'ailleurs , que ce qu'on nomme les gages donnés à la liberté sont des garanties trompeuses. Les véritables garanties se puisent bien plus dans le caractère que dans les intérêts apparens. Les hommes ambitieux s'aveuglent facilement sur leurs intérêts. Quand, pour conquérir la faveur d'un parti, ils se jettent dans l'apostasie, le soin qu'ils prennent de mettre leurs personnes sous la sauvegarde d'une exception les occupe en entier, et, pour mériter l'exception, ils servent avec d'autant plus de fureur leur nouveau système. D'ordinaire ils sont la dupe de ce calcul. Ce ne serait qu'un demi-mal si la liberté ne

portait comme eux, avec eux, et souvent plus qu'eux la peine de leur folie.

Puisque j'ai fait ici mention du duc d'Otrante, je raconterai une anecdote bizarre, qui donne une idée assez exacte de l'esprit des royalistes exagérés au milieu de cette crise. Après avoir ouvert l'avis de recourir à ce ministre fameux, ils lui avaient procuré des entrevues avec les personnages les plus augustes; mais, par une suite de leurs velléités d'arbitraire dont je parlerai plus tard, ils sollicitèrent et ils obtinrent presqu'en même temps l'ordre de F'arrêter. J'avais combattu sa nomination je combattis son arrestation également, et l'on parut se rendre à mes conseils. Je le rencontrai le lendemain. Ses longues habitudes de police lui avaient donné quelques inquiétudes, bien qu'il sortît à l'instant d'une conversation qui aurait dû le rassurer. Il me demanda si je croyais qu'il y eût des incarcérations illégales : je l'assurai que non, et, deux heures après, la garde nationale vint pour l'arrêter.

En insistant sur un changement de ministère, les constitutionnels n'agissaient donc point comme une faction qui aurait voulu profiter d'un péril imminent pour saisir le pouvoir et pour l'exercer. Ils voyaient l'état des choses et la disposition des esprits. Ils n'avaient point créé cette disposition; ils n'en étaient point responsables : c'était un fait qu'ils déclaraient. Ils disaient au gouvernement une chose éminemment raisonnable : Vous voulez que la nation vous soutienne, prenez pour auxiliaires des hommes que la nation considère comme ses amis.

L'idée de ce renouvellement du ministère fut, comme je l'ai dit, l'espoir des deux chambres et la base de leurs délibérations, jusqu'à l'époque du départ du roi. Le ministère était encore, le 18 au soir, en négociation avec les députés, d'après cette hypothèse. M. l'abbé de Montesquiou et M. Ferrand se rappelleront sans doute les comités secrets des derniers jours, les instances qui leur furent adressées, et leurs réponses évasives, que je n'attribue

point précisément à de la mauvaise foi personnelle, mais à l'embarras où les jetait l'indécision de la cour.

Ceux qui ont retardé une opération indispensable, la seule qui laissât quelque espoir de salut, ceux qui ont mieux aimé courir la chance de tout ce qui est arrivé, ceux qui ont opposé à la volonté bien déclarée du roi l'intérêt prétendu que l'autorité croit avoir quelquefois à se montrer inflexible, choisissaient mal leur temps pour élever une question d'amour-propre. Je ne sais s'il est beau, pour les serviteurs d'un prince, dans un système de monarchie qui assurément n'est plus le nôtre, de préférer la fatigue d'un voyage au désagrément de céder à l'opi-nion; mais, certainement, la préférence n'est excusable que lorsque la fatigue du voyage n'entraîne pas la chute du trône et la destruction du pays, et ce n'est pas dans un parti, quoi que l'on en dise, un si grand mérite, que de disparaître sans résistance, pour revenir ensuite vaincre

sans combat.

A cette mesure solennellement et itérativement promise, on en ajouta d'autres qui furent également approuvées. Un ministre de la guerre, à la fois loyal et constitutionnel, devait profiter des ressources militaires. Des commissaires patriotes devaient traverser les départemens, en unissant le nom du roi à toutes les idées de liberté. Le choix des hommes devait garantir la réalité des choses et la sincérité des intentions. Des proclamations royales devaient parler au peuple le langage de 1789. L'une de ces proclamations fut rédigée devant un homme actuellement pair de France. Elle contenait les assurances les plus formelles, que le roi se réunissait non-seulement aux intérêts, mais aux principes de la liberté. Cette proclamation fut, dit-on, soumise au roi, et son approbation lui fut accordée. On proposa, de plus, de compléter la chambre des députés, déconsidérée depuis qu'elle avait violé la constitution dans la question de la liberté de la presse, et d'augmenter le nombre des

pairs en élevant à cette dignité les membres les plus éminens de l'assemblée constituante, et en fortifiant ainsi, de l'appui des souvenirs les plus purs, la monarchie menacée. Les traces de ces propositions se retrouvent dans le projet de loi, présenté par le ministre de l'intérieur le 13 mars. (Moniteur du 14.) Le complément de la chambre des députés pouvait au moins, pour Paris et pour les départemens voisins, s'effectuer en peu de jours, et ranimer l'esprit public dans les provinces éloignées, où cette opération eût été plus lente. La chambre des pairs pouvait être renforcée en peu d'heures , par des hommes courageux, dont la voix populaire eût donné à la France cet ébranlement unanime, que l'éloquence et la vérité impriment toujours aux nations sensibles et généreuses.

Quant aux précautions et aux opérations purement défensives, il était naturel de penser que le gouvernement s'en occuperait de lui-même, et l'on se borna à le solliciter de donner pour chefs aux soldats des hommes associés à leurs anciens triomphes, et qui leur inspirassent cette confiance morale, garantie ou supplément de la subordination militaire. Mais on espérait aussi que ces chefs ne resteraient pas sans instructions, sans directions, astreints, par des injonctions formelles, à n'agir que d'après des ordres qui ne leur étaient point transmis, et forcés à une inaction funeste par l'absence, le retard ou l'insuffisance de ces ordres (1).

Ces diverses mesures, qui devaient s'exécuter simultanément, et qui étaient essentiellement liées les unes aux autres, auraient-elles suffi pour sauver le trône et la liberté? Je ne puis m'empêcher de remarquer que le doute qu'on exprime à cet égard ne fait qu'attester le dévouement des constitutionnels, puisqu'il en résulte qu'ils exposaient leur vie pour une chance fort incertaine. Quant à la question en elle-même, ou ne peut maintenant la résoudre, ni dire ce

(1) Voyez le Procès du maréchal Ney.

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qui serait arrivé, si l'on eût fait ce qu'on a négligé de faire. Beaucoup de gens sont intéressés à prétendre que le mal était sans remède, et ceux qui se sont enfuis et qui, comme on le verra, ont forcé le roi à les suivre, malgré lui, doivent, pour leur honneur, établir que la fuite était ce qu'il y avait de mieux. Toutefois, ce qui rend vraisemblable qu'une conduite conforme au vœu général aurait pu obtenir quelque succès, c'est l'effet que produisit le peu qu'on essaya dans ce sens; par exemple, la séance royale du 16 mars Si la confiance eût été complète, si le maréchal Soult eût été remplacé par quelque ministre connu par son attachement à la liberté, qui peut affirmer que cette conduite loyale n'eût pas été d'un heureux effet? Quoi qu'il en soit, ces mesures, efficaces ou non, étaient les seules qu'on pût essayer. On s'était engagé à les adopter. Dans une lettre suivante, je dirai comment l'engagement fut rempli; l'on verra que ce ne fut pas le roi, que ce ne furent pas les amis de la liberté qui manquèrent à leur parole.

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I

Congrès de Carlsbad, par l'auteur du Congrès de Vienne, M. de Pradt, ancien archevêque de Malines. Première partie (1).

"Encore un congrès! Eh! pourquoi? s'agit-il uniquement de faire droit aux doléances des médiatisés, de гарpeler à l'ordre une jeunesse émancipée, ou de remettre

(1) A Paris, chez F. Béchet l'aîné, libraire-éditeur, quai des Augustins, no. 57. Prix: 2 fr., et 3 fr. 30 cent.

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