Page images
PDF
EPUB

de deux régimes contradictoires, l'un constitutionnel et l'autre arbitraire; qu'il faut établir des constitutions partout, ou nulle part; il insiste surtout sur la sainteté des engagemens contractés par des princes qui ont reçu dans le sang versé par leurs sujets le prix de la liberté qu'on leur avait promise à la face de l'Europe. Avouons-le : l'auteur n'a pas le moindre respect pour les moyens dilatoires, les subtilités, pour les vaines objections par lesquelles on élude de tenir aux peuples aliemands la parole qu'on leur a donnée, un bien qui appartient à tous les hommes, et particulièrement à celui qui a pris les armes pour affranchir sa patrie et son prince!

En défendant la cause allemande avec la chaleur d'un

philanthrope éclairé, notre publiciste discute un moment la question de savoir quel est le pouvoir qui a le droit de donner des chartes, des constitutions, des lois fondamentales; il ne fait qu'effleurer cette question que jusqu'ici l'amour de la paix l'a empêché de discuter avec sévérité ; mais il craint que les peuples, fâchés d'une injure et d'un déni de justice, ne s'avisent de l'examiner à leur tour; il craint que leurs désirs ne deviennent des ordres, leurs décisions des lois, et il invite les gouvernemens à calculer combien il leur reste encore de temps pour accorder des constitutions, et pour n'avoir pas à les recevoir. On ne manquera pas de traiter ce langage de révolutionnaire; on dira même que l'auteur veut et conseille des révolutions. Misérable ressource de la faiblesse, qui se met aux genoux du pouvoir jusqu'au jour où nous la verrons insulter à sa ruine, s'il vient à succomber sous les pernicieux conseils de ses flatteurs! Non; M. de Pradt ne cherche pas des révolutions nouvelles, il sait ce qu'elles coûtent; non, les défenseurs de la liberté ne désirent pas de bouleversemens politiques; ils savent qu'on y perd des deux côtés, ces hommes généreux qui sont l'honneur de l'humanité, et que la liberté peut périr par les efforts désordonnés qu'une nation fait pour l'acquérir au milieu du choc de toutes les

passions. Loin de penser à attaquer la royauté, ils veulent la mettre en harmonie avec les peuples et le siècle; ils cherchent à substituer des fondemens éternels à la base fragile et minée par le temps, sur laquelle cette antique et utile autorité est assise; enfin tous leurs efforts tendent à ce que la liberté des nations soit une conquête paisible, et, s'il est possible, une réconciliation sincère des membres de la grande famille.

[blocks in formation]

Le sujet est vaste, et mon cadre est étroit: il faudrait un tableau, et je ne puis offrir qu'une esquisse. Des publicistes recommandables m'ont précédé dans la carrière; fanaux précieux, leurs ouvrages ont éclairé quelques routes, mais il en est d'autres qui sont encore dans l'obscurité. Je ne voudrais point répéter ce qu'on a dit, car je n'ai pas les moyens de mieux dire; il est cependant des vérités peu connues, et je crois qu'il importe de les émettre aujourd'hui que le pouvoir n'en saurait arrêter la circulation.

Au génie de la victoire, Napoléon unissait un esprit vaste et sûr. La collection de ses lois forme un code de despotisme. Toutes les parties se prêtaient un mutuel appui, toutes tendaient au même but. Les citoyens étaient abandonnés à la merci des fonctionnaires, les magistrats étaient livrés sans garantie au caprice du gouvernement, et l'empereur seul était tout le gouvernement. On éleva cet effroyable édifice en le couvrant de lauriers; quand il fut démasqué, il était imprenable, et la liberté n'eût pu jamais y faire brèche. L'Europe succomba sous la force militaire; la France se courba sous la puissance politique, les

citoyens furent sans sauvegarde contre des jurés choisis par des préfets.

En 1815, de petits hommes voulurent essayer de l'arbitraire; ils croyaient relever le despotisme, et ne firent que de la tyrannie. Or, la tyrannie ne saurait s'implanter en France; elle est escortée de je ne sais quelles mœurs insolentes avec bassesse, et cruelles avec fourberie, dont le caractère national s'indigne, et qu'il rejette. Les cours prevôtales, les commissions spéciales sont tombées devant l'opinion, et les hommes qui faisaient partie même de celles qui, ne s'étant jamais assemblées, se sont conduites. avec justice, sont encore regardés avec défaveur ; l'horreur qu'inspirait l'institution a rejailli sur les personnes.

Aujourd'hui, le ministère veut constituer la France; sa volonté n'est ni l'effet de sa prévoyance, ni le résultat de sa sagesse, elle est dictée par les choses mêmes qui viennent successivement heurter l'inertie du législateur. C'est l'ouvrage du temps, de l'opinion et de la nécessité. Mais tel est encore le malheur de l'époque où nous vivons, qu'elle manque d'un homme d'état. On nous donne des lois, des ordonnances, des règlemens qui nous arrivent pièce à piece, sans liaison et sans harmonie. Je vois des détails, et ne vois pas d'ensemble; je vois des parties et ne vois pas un tout. Jamais une chose ne se rattache à une autre; quelquefois tout se contredit, se choque et se repousse. Les volontés de la couronne nous arrivent toutes imprégnées des passions des ministres ou des intérêts des agens du pouvoir. Avec ce défaut de système, le gouvernement se décrédite, et l'opposition devient plus éclairée et plus populaire. L'autorité perd son plus fermé et plus juste appui. Lorsqu'il existe un système législatif, une loi protége une autre loi; le législateur doit donc les coordonner de manière à ce qu'elles se prêtent un mutuel soutien, et qu'elles partent du même principe pour arriver au même résultat.

Si cette idée est vraie, elle sera féconde. Il importe que

la loi sur le jury émane de la charte, et il importe encore qu'elle se rattache aux quatre grandes lois politiques sur les élections, sur le régime municipal, sur la liberté de la presse et sur la garde nationale. Il ne m'est pas donné de parcourir cette immense carrière, je l'ouvre pour de plus habiles.

Toute justice émane du roi; mais il ne faut pas que le juge nommé par le roi se place entre le pouvoir et la liberté, parce que la liberté n'aurait aucune garantie contre le pouvoir. Il ne faut pas que des corporations juridiques, réunies par une autorité commune, puissent aussi mettre en commun leurs passions et leurs haines. Il ne faut pas qu'elles possèdent la puissance du glaive, lorsqu'elles peuvent faire naître l'occasion de frapper injustement, mais légalement, le citoyen innocent et paisible.

L'exercice prolongé de la magistrature criminelle affaiblit dans le juge ces qualités morales qui empêchent de confondre un accusé avec un coupable, les présomptions avec les preuves, et la justice avec la cruauté. L'application des peines dégénère en habitude, et les condamnations en métier.

Il faut que le juge prononce la peine, parce que toute justice émane du roi; mais il ne faut pas que les agens du pouvoir signalent des coupables, parce que le pouvoir peut être intéressé à changer les innocens en coupables. Je ne veux point réveiller sans nécessité des souvenirs douloureux, et rappeler la condamnation de ces hommes dont le seul attentat fut de fatiguer des yeux jaloux par l'aspect d'une gloire importune, ou l'acquittement de ces coupables dont toute la vertu fut une obéissance passive dans le crime. Un seul fait fera juger, sinon du personnel des tribunaux, du moins de l'imperfection de la justice criminelle : ce fait consiste dans les récusations nombreuses et journalières. Si ces récusations sont provoquées par la crainte des juges....... Je n'ose achever, car je dirais des choses effroyables; si elles ont pour cause la législation actuelle

du jury, le mal est grand, mais il n'est pas sans remède.

On ne cessera d'effrayer Phumanité par des assassinats juridiques, que lorsque la loi aura détruit l'influence du pouvoir ou de ses agens sur les sentences criminelles. Dans l'état présent de la législation, cette influence s'exerce de plusieurs manières également déplorables. Mon cadre me force à passer sous silence tous les abus d'autorité qui se multiplient chaque jour et que l'usage sanctionne. Car, si les priviléges politiques ne furent que des vols dans l'origine, la plupart des droits juridiques, lorsqu'ils ne sont consacrés que par l'habitude, n'ont d'autre principe que l'usurpation. Je ne dirai rien du pouvoir discrétionnaire, rien de ces philippiques qu'on appelle réquisitoires, rien de la manière de poser les questions. Je me borne à signaler les trois plus graves inconvéniens de l'institution du jury actuel. Toujours l'autorité administrative choisit les jurés qu'elle veut donner pour juges au prévenu. -- Toujours l'autorité judiciaire récuse ceux des jurés qui ne lui conviennent point. Souvent les juges usurpent légalement les fonctions de jurés. — Or, lorsque le préfet choisit les membres du jury, il compose une commission. — Or, lorsque le procureur général récuse des jurés, il élit ceux qui, parmi les commissaires, lui semblent disposés à juger selon l'équité qui l'inspire ou la passion qui l'égare. — Or, lorsque l'autorité judiciaire vide le partage, l'institution du jury est anéantie, et le sort du prévenu est décidé, non par une cour d'assises, mais par un tribunal criminel.

--

[ocr errors]

Ces accusations sont graves; je dois les prouver. Je préviens que je n'en chercherai pas la preuve dans les écrits de ces honorables citoyens, dont le patriotisme est consacré à la défense de nos libertés. On se hâterait d'accuser la vérité d'imposture, les faits de mensonge, et l'incrimination de jacobinisme. Il vient de paraître une brochure, que nous devons à M. Le Graverend, maître des requêtes et chef de la division des affaires criminelles au ministère de la

« PreviousContinue »