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berté trouvent encore parmi nous des adversaires et des ennemis!

Qu'ils sont coupables les ministres qui, méconnaissant les leçons de l'expérience, sacrifient à leurs passions, à leur intérêt personnel le droit des nations, la sûreté des trônes, et qui, après tant de sang versé pour l'obtenir, compromettent encore le repos de l'Europe. Que veulent les Allemands? Ils veulent ce que voulaient les Français, il y a trente ans, la liberté. Assurez-leur donc cette liberté qu'ils appellent de tous leurs vœux ; et, puisque l'Allemagne est encore en 89, évitez-lui du moins nos sanglantes catastrophes de 93 et de 1815.

11 octobre. Depuis quelques jours il n'est question dans les gazettes que de matières religieuses. On reçoit des bulles, on sacre des évêques, on installe des archevêques, des coadjuteurs; on rencontre des capucins sur les boulevarts, des ignorantins aux Tuileries, des jésuites à Amiens et des missionnaires partout. Si les calvinistes, les luthériens, les juifs, les quakers faisaient autant de bruit que les catholiques ou ceux qui se disent tels, on ne s'entendrait plus en France. Au surplus, toutes ces pompes mondaines, toutes ces vaines ostentations ne séduisent plus personne; on sait que les gens véritablement pieux ne prient que dans le silence et le recueillement, et tout le monde connaît Tartufe. Les jongleries de nos dévots du jour ne sont dangereuses que pour la religion.

12 octobre. Les cérémonies religieuses ne font pas oublier les diners, qui, par le temps qui court, sont l'âme de la politique et les soutiens de la religion. On dîne à l'archevêché, et on dîne à Madrid. M. Decazes a réuni hier à sa maison de campagne tous les ministres, ce qui a fait suspendre un moment les bruits d'un changement dans le ministère. On a supposé que nos ministres feront comme nos députés, et que puisqu'ils dinent chez M. Decazes, ils voteront avec lui.

13 octobre. Les politiques ont suivi avec attention_les assemblées électorales qui viennent d'avoir lieu à Londres pour la nomination d'un lord maire. C'est le candidat ministériel qui l'a emporté. Il n'en faut pas conclure que les ministres aient eu plus d'influence que le peuple. La li

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LA MINERVE FRANÇAISE.

very, c'est-à-dire, les électeurs, présentent aux alder. men (les officiers municipaux ) deux candidats parmi lesquels est choisi le premier magistrat de la cité. Le peuple avait donc désigné d'avance deux concurrens, pris dans ses rangs, lesquels ont réuni plus de 4000 suffrages, tandis que le candidat des ministres n'en a obtenu que 3030. Il est donc clair qu'à Londres les ministres comptent plus d'adversaires que de partisans; mais, malgré l'évidence qui frappe tous les yeux, ils se font encore illusion, et ils persistent dans leur système de gouvernement. Les ministres britanniques ne sont pas les seuls qui s'obstinent à méconnaître les vœux de la nation, et l'on dirait que tous les ministres de l'Europe sont allés à leur école.

14 octobre. Lorsqu'il y a quelques mois, lord Witworth arriva à Paris, tous les ultras témoignèrent une joie égale à celle qu'ils ont dernièrement éprouvée en apprenant les résolutions de la diète de Francfort. Dans les cercles, dans les salons, dans les coulisses, il n'était question que de lord Witworth. Ce ministre étranger fait un second voyage en France; il est de nouveau dans la capitale depuis huit jours, et les journaux ont à peine annoncé son arrivée. On lui prête encore une mission diplomatique, et l'on suppose qu'il est chargé de faire auprès de notre ministère des réclamations relatives à la traite des nègres. Les Anglais ne sont pas sûrs, dit-on, que nous ne fassions plus le commerce des esclaves, et ils réclament le privilége de visiter désormais tous les navires quelconques qui viendront des côtes de Guinée, et surtout du Sénégal. Cette affaire intéresse particulièrement le ministre de la marine, et l'on croit que M. Portal éprouve quelqu'embarras pour repousser les injurieuses prétentions du cabinet britannique. Il n'est pas possible de croire que des intérêts privés aient pu déterminer un ministre français à nous mettre dans la nécessité de placer le commerce maritime de la France sous la surveillance et le bon plaisir de l'Angle

terre.

E. D.

LA MINERVE

FRANÇAISE.

POÉSIE.

LE TEMPS.

CHANSON.

AIR: Ce magistrat irréprochable.

'bis.

Près de la beauté que j'adore,
Je me croyais égal aux dieux,
Lorsqu'au bruit de l'airain sonore,
Le Temps apparut à nos yeux.
Faible comme une tourterelle
Qui voit la serre des vautours,
Ah! par pitié, lui dit ma belle,
Vieillard, épargnez nos amours! bis.

Devant son front, chargé de rides,
Soudain nos yeux se sont baissés;
Nous voyons à ses pieds rapides
La poudre des siècles passés.
A l'aspect d'une fleur nouvelle
Qu'il vient de flétrir pour toujours,
Ah! par pitié, lui dit ma belle,
Vieillard, épargnez nos amours!
T. VII.

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Je n'épargne rien sur la terre;
Je n'épargne rien même aux cieux,
Répond-il d'une voix austère;
Vous ne m'avez connu que vieux.
Ce que le passé vous révèle
Remonte à peine à quelque jours.
Ah! par pitié, lui dit ma belle,
Vieillard, épargnez nos amours!

Sur cent premiers peuples célèbres,
J'ai plongé cent peuples fameux
Dans un abîme de ténèbres,
Où vous disparaîtrez comme eux.
J'ai couvert d'une ombre éternelle
Des astres éteints dans leurs cours.
Ah! par pitié, lui dit ma belle,
Vieillard, épargnez nos amours!

Mais, malgré moi, de votre monde
La volupté charme les maux,
Et de la nature féconde

L'arbre immense étend ses rameaux.
Toujours sa tige renouvelle
Des fruits que j'arrache toujours.
Ab! par pitié, lui dit ma belle,
Vieillard, épargnez nos amours!

Il nous fuit, et, près de le suivre,
Les plaisirs, hélas! peu constans,
Nous voyant plus pressés de vivre,
Nous bercent dans l'oubli du temps.
Mais l'heure en sonuant nous rappelle
Combien tous nos rêves sont courts,
Et je m'écrie avec ma belle,

Vieillard, épargnez nos amours!

P.-J. DE BÉRANGER

LETTRES SUR LES CENT JOURS.

(Huitième lettre.)

J'ai retracé dans ma dernière lettre les efforts des constitutionnels qui se dévouaient pour une cause ‹à peu près désespérée. J'ai maintenant à parler d'un autre parti, qui n'agissait point pour sauver la France, mais qui, au contraire, semblait vouloir rendre le mal sans remède, afin de recourir à un remède plus affreux que le mal.

Pour concevoir la marche dont ce parti fit choix avec un genre d'habileté, qui n'est accordé qu'aux hommes indifférens au sort de l'humanité et de leur patrie, il faut suivre cette marche pas à pas, jour par jour, heure par heure. En examinant de la sorte, on découvre deux époques bien distinctes, deux mouvemens successifs et en apparence opposés.

Le premier de ces mouvemens eut évidemment pour but de profiter du retour de Bonaparte, pour détruice tout ce que la restauration de 1814 avait été forcée de conserver de la révolution de 1789. Au lieu d'adopter des mesures populaires et préservatrices, les royalistes exagérés en proposèrent d'injustes et d'illégales. Tandis que les constitutionnels étaient réunis autour du trône, en faveur de la liberté, et cherchaient à sauver la France en satisfaisant au vou-national, sans sacrifier l'autorité nécessaire du monarque, les hommes dont je viens de parler ne concevaient que des coups d'état. Ils voyaient dans l'événement qui plaçait la patrie au bord d'un abîme une heureuse occasion de déchirer la charte, et ils ne voulaient pas laisser échapper cette occasion. Ils répétaient que ceux qu'ils nommaient les bonapartistes, devaient être combattus avec les mêmes armes que Bonaparte avait

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