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nelle les édits de la monarchie absolue, faire servir à des condamnations des lois et ordonnances qui n'étaient pas encore rendues; n'avons-nous pas vu des ministres fixer pour l'exécution de leurs ordres des peines que le pouvoir législatif seul avait le droit d'établir, n'avons-nous pas vu des généraux, des préfets, créer des commissions, des supplices et des bourreaux; placer des citoyens hors la loi et pousser l'arbitraire jusqu'à mettre des têtes à prix ? C'est contre le retour de ces mesures ty→ ranniques que la France demande une garantie que le jury peut seul offrir, lorsqu'il sera constitutionnellement organisé.

Mais il ne suffit pas de trouver dans les jurés un abri contre les lois, c'est encore contre les juges qu'il faut s'abriter dans les jours où nous vivons. Ces procureurs géné raux, instrumens du ministère, organes du ministère, que le ministère nomme, conserve ou destitue; ces procureurs généraux, maîtres absolus du parquet de la cour royale et de tous les parquets du ressort, à qui nul subordonné ne peut résister, et qui n'ont sous eux que des lieutenans passifs; ces procureurs généraux qui ont introduit le funeste usage de se croire les accusateurs, non de tous les coupables, mais de tous les inculpés, et qui attachent leur gloire à faire déclarer coupables tous ceux qu'ils ont inculpés; ces procureurs généraux qui ont poussé la déraison de l'arbitraire, jusqu'à forcer leurs substituts près les petits tribunaux à relever appel des décisions des chambres du conseil et des jugemens correctionnels, lors même que ces décisions et ces jugemens étaient conformes à leurs réquisitoires; ces procureurs généraux, nommés pour la plupart en 1815 et selon l'esprit de 1815, offrent une institution salutaire, lorsqu'elle est légale; hostile, lorsqu'elle est usurpatrice. Il faut donc posséder contre elle une garantic nationale, et, puisqu'elle peut devenir tyrannique, il faut pouvoir lui opposer un jury indépendant.

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Les tribunaux, qui jadis furent le boulevart des libertés françaises, qui défendirent notre indépendance contre les entreprises du pouvoir absolu, contre les prétentions des papes, contre les réclamations de l'étranger, contre les usurpations de la noblesse; les tribunaux qui de nos jours étaient enchaînés, ici, par le défaut d'institution inamovible, là, par l'espoir de l'avancement, et qui ont offert quelques exemples ou d'un funeste aveuglement ou d'une déplorableservilité les tribunaux, réorganisés par un ministre qui céda avec une déplorable faiblesse à toute la violence de la réaction; réorganisés par un autre ministre sur lequel on a tout dit, et qui destitua un digne magistrat parce que l'honorable indépendance de M. Dupont de l'Eure ne lui offrait pas cette flexible servitude qu'il attendait des tribunaux; réorganisés enfin par un dernier ministre sur qui la liberté avait fondé quelques espérances, et qu'on voit avec peine achever l'œuvre de ses prédé cesseurs; les tribunaux se présentent aujourd'hui forts de leur institution inamovible, et c'est contre la justice qu'ils pourraient vouloir distribuer, qu'il faut chercher une garantie dans un jury national.

Le jury doit donc nous protéger contre les lois et contre les juges. Pour qu'il remplisse son objet il faut qu'il soit puissant; et il ne peut acquérir une grande considération, s'il ne tient, par son institution même, à toutes les institutions protectrices de nos libertés.

Le grand nombre, de lois ne forme qu'un inextricable chaos, l'harmonie entre toutes les lois peut seule constituer une législation. Il faut donc que toutes les lois politiques forment un tout homogène.

Depuis la promulgation de la charte, il n'existe en France qu'une loi politique, c'est celle des élections. Si j'en juge par les cris de douleur qu'elle arrache à un parti, elle n'est pas favorable aux factions; si j'en juge par les alarmes que fit naître la proposition d'un noble pair, et par les pétitions de la presque totalité des dé

partemens contre cette proposition, cette loi est nationale. Or, s'il est vrai qu'elle limite convenablement cette portion de démocratie qui peut et doit exister sous un gouvernement monarchique, c'est à la loi des élections qu'il faut rattacher toutes les garanties que nous réclamons sans cesse, qu'on nous promet toujours, et qu'on ne nous accorde jamais.

A Dieu ne plaise que je veuille abandonner, soit à l'élection des agens du pouvoir, soit à une élection popuJaire, l'institution du jury! Le jury ne peut se concevoir sans le sort; mais le sort, électeur aveugle, choisit au hasard, et le hasard ne doit pas être l'arbitre de la destinée des citoyens.

Il est cependant une manière d'éclairer le sort et de fixer le hasard. On peut leur dire : Vous ne choisirez que parmi ces hommes. Alors le sort ne peut tomber que sur l'élite des citoyens, et le hasard ne peut pas susciter de personnes inhabiles.

Or, le gouvernement, en présentant la loi des élections a désigné comme électeurs tous les Français qui lui of fraient toutes les garanties désirables. Il a fait son choix sur la masse de la nation, et le pouvoir politique dont il a investi ces citoyens nous garantit qu'il est permis de lui confier des pouvoirs secondaires.

Si l'on veut donner à la France les garanties nécessaires à la liberté qui lui fut promise, il faut permettre au sort ou à l'élection populaire de désigner, sur la liste des électeurs, les jurés, les officiers de la garde nationale, et les membres de l'administration départementale et municipale. Alors, et alors seulement, nous aurons un faisceau de lois politiques qui, sans porter atteinte aux droits de la couronne, conservera les droits de la nation à l'abri des atteintes d'un pouvoir toujours prêt à empiéter. C'est le seul terrain sur lequel puisse s'opérer l'alliance de la mo narchie et de la liberté. Hors de là, les temps calmes seront funestes au peuple, et les jours d'orage ébranleront le

tròne; hors de là tout pourra être oppression, et tout pourra devenir résistance.

Je m'arrête, je ne parle que du jury; je crois avoir prouvé qu'il existe dans l'ordre constitutionnel français un grand nombre de citoyens honorables, dont les noms inscrits déjà sur des listes politiques, offrent aux citoyens. une sauvegarde presque assurée contre ce qu'il peut y avoir d'arbitraire dans les lois et dans les hommes. La liste des électeurs formerait donc la liste des jurés, et pour les départemens qui, comme la Corse, n'en offriraient qu'un nombre insuffisant, on pourrait prendre les citoyens les plus imposés, afin de compléter les quatre jurys annuels et nécessaires. Les noms de tous les électeurs seraient déposés dans l'urne, et le sort viendrait, dix jours avant l'ouverture de chaque session des assises, indiquer les noms de quarante-huit électeurs qui seraient tenus, sauf les empêchemens légaux et légalement constatés, de remplir les fonctions qui leur auraient été commises.

Mais le sort, quoique aveugle, peut être complaisant, et lorsqu'il place sa main dans l'urne, il peut se laisser guider par l'autorité. Or, dans les réactions politiques, je crains le sort, lorsqu'il est duit par l'autorité. Il faut donc, pour la sécurité des citoyens, détruire l'influence que le pouvoir peut exercer sur le hasard. Malheureusement, la France ne possède aucune institution nationale; magistrats de l'ordre judiciaire ou de l'ordre administratif, tout nous est donné par le ministère, et je ne sais par quelle fatalité un individu semble destitué de la confiance publique, dès qu'il est investi de la confiance ministérielle. Puisque le peuple n'a pas de magistrat qui lui appartienne, puisque le passé nous a prouvé qu'il ne pouvait pas s'en rapporter au magistrat institué par le gouvernement, il faut choisir un mode nouveau pour le tirage du sort. On a proposé d'opérer ce tirage devant plusieurs fonctionnaires réunis; mais, qui pourra garantir qu'ils ne se coaliseront pas contre l'infortune? T. VII.

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Avons-nous oublié déjà la tendre confraternité des agens du gouvernement dans la Gironde, dans la Haute-Garonne, dans le Gard, dans le Rhône, dans l'Isère, dans Vaucluse? Ne nous hâtons pas de perdre la mémoire avant que de sages institutions, prenant l'avenir sous leur sauvegarde, nous permettent d'oublier le passé. Réunir pour cette opération des préfets, des maires, des procureurs généraux, c'est ne mettre en jeu qu'une seule machine, puisque le levier qui la fait mouvoir est entre les mains du gouvernement. Sans doute, le tirage au sort ne peut souffrir de mystère; sans doute, il faut appeler sur cette opération une grande publicité; sans doute, les agens de l'autorité ont le droit d'y assister dans l'intérêt de la vindicte publique, comme il est du devoir du malheureux qu'on attaque d'y assister par lui-même ou par ses défenseurs. Mais, s'ils doivent être spectateurs parce qu'ils sont intéressés, ce même intérêt les force à ne pas insulter à la décence publique jusqu'à devenir acteurs.

Ou l'autorité exercerait quelque influence sur le tirage au sort, et dans ce cas, il faut l'éloigner; ou elle demeurerait impassible, et alors il lui suffit d'être spectatrice. Une sage surveillance est tout ce qu'elle peut demander avec quelque pudeur.

A qui cependant pourra-t-on confier cette opération? Ou je me trompe, ou il n'est dans ce moment qu'une seule manière impartiale d'y procéder. Les électeurs réunis éliront chaque année cinq de leurs collègues sous l'inspection desquels le tirage au sort s'opérera dans le lieu où siége la cour d'assises, en séance publique et en présence des agens que l'autorité désignera et des défenseurs que les accusés auront choisis.

Lorsque le sort aura désigné les quarante-huit jurés, le ministère public devra d'abord récuser les parens du prévenu, et celui-ci devra ensuite réduire la liste à vingtquatre. Avant l'audience il formera ses récusations, et on doit lui laisser la latitude d'éloigner tous ceux qui pour

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