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LA MINERVE

FRANÇAISE.

LETTRE A MM. LES HABITANS DE LA SARTHE.

Messieurs,

Au moment où vous m'avez honoré de vos suffrages, j'ai cru devoir vous exposer franchement quels principes je professais et quelle ligne de conduite je me proposais de

suivre.

J'ose espérer que durant la session dernière je suis resté fidèle à mes engagemens, et que mes actions vous auront semblé conformes à mes paroles.

Depuis la clôture de cette session, je me suis efforcé de m'acquitter d'une double tâche; celle de votre représentant auprès des autorités qui ont à prononcer sur vos intérêts; et celle de défenseur, par mes écrits, des intérêts plus généraux de la liberté et de la France.

Comme député, j'ai sollicité assidûment les réparations nombreuses et de plusieurs genres auxquelles notre département avait droit : et je puis me rendre ce témoignage que ce n'est pas la faute de ma persistance ou de mon zèle, si mes sollicitations ont souvent échoué devant je ne sais quelle inertie, quelle inexécution de promesses, quelle versatilité de mesures, quelle inexplicable déférence pour un pouvoir occulte quelconque qui semble protéger, du fond d'un nuage, les hommes dont vous avez eu tant à vous plaindre. T. VII.

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"Comme écrivain, je me flatte d'avoir toujours consacré ma plume au développement de ces maximes de liberté constitutionnelle qui me paraissent le seul moyen de salut et de prospérité pour la France.

Maintenant qu'une nouvelle session va s'ouvrir, je viens, Messieurs, vous indiquer en peu de mots et les objets qui devront fixer l'attention des mandataires du peuple, et les circonstances dans lesquelles la France se trouve.

Ces circonstances sont de deux espèces; les unes, communes à tous les départemens du royaume; les autres, particulières à notre département.

Les circonstances générales sont, à quelques égards, satisfaisantes; sous d'autres rapports, elles laissent beaucoup à désirer.

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J'écarterai d'abord des considérations que je vous soumets, tout ce qui n'est relatif qu'à l'étranger. Je sais que l'on a voulu rattacher à notre situation politique des mesures prises récemment par divers princes de l'Allemagne, et qu'une faction, dès long-temps connue et dévoilée, a poussé des cris de joie, dans l'espoir que les décrets d'une diète germanique influeraient sur la marche du gouvernement français. Mais je ne désespère pas tellement et de ce gouvernement et de nous-mêmes, que je puisse craindre jamais de voir ce coupable espoir se réaliser.

Des calamités inouïes nous avaient ravi notre indépendance. Nous l'avons reconquise par des traités, et nous l'avons chèrement payée. Elle ne nous sera plus enlevée. J'en ätteste et les généreux efforts des départemens frontières pour repousser deux invasions successives, et surtout les souvenirs des maux causés par ces invasions, dans tous les lieux qui en ont subi le fléau. Ces souvenirs ne sauraient être effacés de votre mémoire. Vous avez vu vos cités et vos bourgs occupés par l'ennemi. Vos meilleurs citoyens, arrachés de leur domicile, ont été livrés à des commissions composées de juges qui n'étaient pas leurs compatriotes; et la Sarthe se ressent encore des dévastations qu'elle a sup

portées, et pour lesquelles le gouvernement français dans sa pénurie n'a pu lui offrir que des dédommagemens trop peu proportionnés à ses pertes. De pareilles leçons ne seront pas perdues. Si le joug des étrangers nous menaçait de nouveau, nous nous rappellerions que, dans des circonstances analogues, et dans plusieurs contrées de l'Europe, ce sont les peuples qui en ont affranchi leurs gouvernemens. Je me bornerai donc, Messieurs, à vous entretenir de notre position intérieure. C'est d'elle que nous avons devoir, et c'est d'elle seule que nous avons le droit de nous occuper: Lo: sque des monarques voisins nous semblent se tromper sur la route que leur tracent les règles de la justice et leurs véritables intérêts, nous pouvons accorder à leurs sujets une pitié légitime. Si quelqu'infortuné cherche parmi nous un asile, nous pouvons nous complaire à soulager ses maux; mais la doit se borner notre sympathie. Nous n'avons rien à voir hors des limites de notre France; et pour que les souverains du dehors respectent notre indépendance nationale, pour qu'ils s'abstiennent de la prétention insultante de prescrire à notre gouvernement ce qu'il doit faire, nous devons nous abstenir nous-mêmes de toute intervention indiscrète et rester dans une réserve prudente.

Je vous ai dit que, sous quelques rapports, notre situation s'était améliorée. Nous avons certainement fait plusieurs pas assez importans depuis une année dans la carrière constitutionnelle.

Malgré les doctrines encore étranges de quelques magistrats inférieurs, nous jouissons à un haut degré de la liberté de la presse, cette première de toutes les garanties. L'abus qu'en font des écrivains sans mesure, sans conscience et sans pudeur, ne parvient plus à nous inspirer des terreurs exagérées et à nous détacher de ce droit précieux. C'est une preuve de nos progrès. A l'exception de la faction de 1815, il n'y a plus parmi nous de ces partis aveugles et exclusifs qui ne

voulaient la liberté que pour eux. Tous les Français sont assez éclairés pour sentir que la violation du droit d'un seul citoyen, quelles que soient les opinions qu'il professe, est l'anéantissement des droits et de la sécurité de tous.

La liberté individuelle, compague inséparable de celle de la presse, a aussi remporté plusieurs victoires. Les violations de domicile, les détentions arbitraires, sont moins

équentes qu'autrefois. Nous n'avons certainement pas atteint la perfection de la garantie. Les administrateurs de plus d'un département ont conservé de leurs longues habitudes d'insolence et de tyrannie des formes tranchantes et vexatoires, et ils oublient que le respect envers les gouvernés est un devoir dans les gouvernans. Nos lois mêmes sont hérissées toujours de dispositions qui mettent les citoyens à la discrétion de l'autorité, Mais l'application de ces dispositions funestes et vicieuses n'est cependant pas, comme il y a trois années, un usage quotidien. Lors même que les hommes qui, à des époques dont l'oubli ne sera complet que lorsque les réparations seront suffisantes, foulaient aux pieds nos droits les plus saints et se montraient sourds à nos réclamations les plus justes, conservent, par une fatalité inexplicable, un pouvoir dont ils ont cruellement abusé, plusieurs d'entre eux l'exercent déjà avec une sorte de réserve, et s'ils nuisent encore, c'est plutôt par les souvenirs que leur présence rappelle que par les actes positifs de leur administration. Sans doute cette présence seule est un inconvénient grave, elle entretient des haines naturelles, des ressentimens que la raison ne saurait calmer, et ce qui est plus fâcheux mille fois, elle met un obstacle invincible à ce sentiment de stabilité qui constitue la véritable force des gouvernemens. Tous les esprits prévoyans se disent qu'au premier événement imprévu qui rendrait quelque puissance à la faction dont ces hommes furent si long-temps les instrumens, ils jetteraient loin

d'eux un masque hypocrite, et que puisque l'armée administrative de 1815 n'est point licenciée, nous reverrions 1815 dans toutes ses fureurs.

En essayant de vous parler de ce qui s'est fait de bien, je me suis trouvé conduit à vous indiquer déjà le mal qui subsiste.

Pénétrer jusqu'à la cause de ce mal m'est impossible. Après l'étude la plus opiniâtre et les observations les plus consciencieuses, je n'ai pu me l'expliquer à moi-même.

Des intérêts évidemment conformes à ceux que la révolution a créés, rendent d'autant plus inconcevables d'opiniâtres ménagemens envers des ennemis qui n'en témoignent aucune reconnaissance, qui ne s'interdisent aucun outrage, et qui, pour prix de faveurs illégales et d'une connivence qui compromet ses auteurs, leur prodiguent le mépris, l'insulte, les invectives sur le passé et les menaces pour l'avenir. La conservation dans des fonctions amovibles d'adversaires jadis déclarés, aujourd'hui même à peine secrets de la charte et de l'administration actuelle; l'institution dans des fonctions inamovibles d'hommes pareils à ceux dont les ministres eux-mêmes ont plus d'une fois proclamé les fautes et déploré l'inamovibilité; l'impunité assurée à des accusés qui pour récompense se portent accusateurs de ceux qui les protégent; des encouragemens prodigués à je ne sais quelle église errante qui prêche, an nom d'une religion qu'elle décrédite, l'anéantissement du gouvernement constitutionnel; la protection la plus manifeste accordée à des congrégations que les princes absolus eux-mêmes et nos anciens parlemens avaient repoussées comme tyrannisant les peuples et sapant les trônes ; l'éducation confiée de préférence à l'intolérance et au fanatisme (1); toutes ces choses sont des

(1) On m'écrit de la Sarthe. « Le ministre a décidé que les pré» fets donneraient des autorisations d'instruire à tous les membres » des congrégations religieuses, sur la simple représentation de la » lettre d'obédience. »

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