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HISTOIRE

STATISTIQUE, MÉDICALE ET ADMINISTRATIVE

DE

LA PROSTITUTION

DANS

LA VILLE DE CLERMONT-FERRAND.

INTRODUCTION.

La honte du libertinage consiste peut-être moins à s'y livrer, qu'à se cacher pour déclamer lâchement contre ceux qui, plus ouverts dans leur conduite, sont infailliblement moins corrompus dans leurs

mœurs,

DIDEROT,

La prostitution, dans l'acception la plus large du mot, est l'acte par lequel une personne fait servir son corps aux plaisirs d'une autre, dans les cas défendus par les mœurs.

Ainsi définie, on peut dire qu'elle a existé de tout temps. Chez les Hébreux et chez la plupart des peuples de l'antiquité, elle se pratiquait librement; et même chez quelques-uns elle était regardée comme un acte religieux ! La jeune fille ou la jeune femme ne faisait qu'une chose agréable au dieu de son pays en se livrant

à celui qui la choisissait. A Babylone, les gens du peuple prostituaient leurs filles pour s'assurer de quoi vivre; et pour les classes élevées, une loi exigeait que toute femme se prostituât au moins une fois dans le temple de Vénus. Cette loi existait également en Chypre. Chez les Lydiens, les filles n'avaient le droit de se marier qu'après avoir gagné leur dot par la prostitution. Dans presque toute l'Asie, les femmes et les filles se livraient aux étrangers pour le moindre présent, et il en était de même chez un grand nombre de peuplades de l'Afrique. La Grèce et Rome ont eu leurs courtisanes; à Corinthe, elles étaient le premier objet qui flattait les yeux dans les fêtes publiques, et entretenaient par leur luxe et leur beauté l'enthousiasme dont elles étaient l'objet; par toute la Grèce enfin elles obtinrent un degré incroyable de gloire et de considération; elles se mêlaient de la politique et encourageaient les arts et les sciences; les philosophes même ne croyaient pas leur dignité compromise en briguant leurs faveurs. En étudiant les mœurs de cette époque, disent les auteurs de l'Encyclopédie, et en les comparant à celles du siècle de Louis XIV et de la Régence, on est frappé de plus d'un point de similitude. Chez nous comme à Athènes, leurs maisons étaient le rendezvous des hommes les plus remarquables. Les poètes, les orateurs, les philosophes, les grands artistes, les profonds politiques y venaient puiser leurs inspirations et les connaissances les plus variées. Socrate et Périclės

se rencontraient chez Aspasie, comme Saint-Evremond et Condé chez Ninon. A Rome, les mœurs belliqueuses et plus sévères se prêtaient moins aux séductions de la beauté; néanmoins le nombre des courtisanes était considérable, et sur la fin de la République on leur rendait des honneurs qui indiquaient assez que ces hommes à âme de fer n'étaient pas absolument insensibles aux charmes des jolies femmes, et que le gouvernement ne voyait pas toujours avec déplaisir l'empire qu'elles se donnaient.

Si aujourd'hui nous regardons la prostitution sous un tout autre point de vue, c'est que la civilisation a modifié notre manière de voir; et si nos mœurs ont changé, la prostitution est malheureusement restée, non parce qu'on n'a rien fait pour tenter de la détruire, mais parce qu'elle a résisté à toutes les tentatives de ce genre. Si donc son existence est inhérente à toutes les sociétés, si elle a résisté à tous les moyens de destruction dirigés contre elle, n'est-il pas bien évident que c'est une plaie, un malheur qu'il faut savoir accepter; car « de même qu'il y a des bras pour faire des fonctions viles, il faut qu'il y ait des femmes moins délicates pour rétablir entre les hommes, au moins imparfaitement, des jouissances dont l'inégale distribution de la propriété priverait une partie des hommes pour donner tout à l'autre (1). »

(1) Loc. cit.

à celui qui la choisissait. A Babylone, les gens du peuple prostituaient leurs filles pour s'assurer de quoi vivre; et pour les classes élevées, une loi exigeait que toute femme se prostituât au moins une fois dans le temple de Vénus. Cette loi existait également en Chypre. Chez les Lydiens, les filles n'avaient le droit de se marier qu'après avoir gagné leur dot par la prostitution. Dans presque toute l'Asie, les femmes et les filles se livraient aux étrangers pour le moindre présent, et il en était de même chez un grand nombre de peuplades de l'Afrique. La Grèce et Rome ont eu leurs courtisanes; à Corinthe, elles étaient le premier objet qui flattait les yeux dans les fêtes publiques, et entretenaient par leur luxe et leur beauté l'enthousiasme dont elles étaient l'objet; par toute la Grèce enfin elles obtinrent un degré incroyable de gloire et de considération; elles se mêlaient de la politique et encourageaient les arts et les sciences; les philosophes même ne croyaient pas leur dignité compromise en briguant leurs faveurs. En étudiant les mœurs de cette époque, disent les auteurs de l'Encyclopédie, et en les comparant à celles du siècle de Louis XIV et de la Régence, on est frappé de plus d'un point de similitude. Chez nous comme à Athènes, leurs maisons étaient le rendezvous des hommes les plus remarquables. Les poètes, les orateurs, les philosophes, les grands artistes, les profonds politiques y venaient puiser leurs inspirations et les connaissances les plus variées. Socrate et Périclės

se rencontraient chez Aspasie, comme Saint-Evremond et Condé chez Ninon. A Rome, les mœurs belliqueuses et plus sévères se prêtaient moins aux séductions de la beauté; néanmoins le nombre des courtisanes était considérable, et sur la fin de la République on leur rendait des honneurs qui indiquaient assez que ces hommes à âme de fer n'étaient pas absolument insensibles aux charmes des jolies femmes, et que le gouvernement ne voyait pas toujours avec déplaisir l'empire qu'elles se donnaient.

Si aujourd'hui nous regardons la prostitution sous un tout autre point de vue, c'est que la civilisation a modifié notre manière de voir; et si nos mœurs ont changé, la prostitution est malheureusement restée, non parce qu'on n'a rien fait pour tenter de la détruire, mais parce qu'elle a résisté à toutes les tentatives de ce genre. Si donc son existence est inhérente à toutes les sociétés, si elle a résisté à tous les moyens de destruction dirigés contre elle, n'est-il pas bien évident que c'est une plaie, un malheur qu'il faut savoir accepter; car « de même qu'il y a des bras pour faire des fonctions viles, il faut qu'il y ait des femmes moins délicates pour rétablir entre les hommes, au moins imparfaitement, des jouissances dont l'inégale distribution de la propriété priverait une partie des hommes pour donner tout à l'autre (1). »

(1) Loc. cit.

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