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Ici se présente une question importante et qu'il n'est pas toujours facile de résoudre d'une manière satisfaisante. Doit-on permettre aux prostituées clandestines devenues malades de se faire traiter chez elles? ParentDuchatelet, dont l'immense expérience en matière de prostitution est incontestable et dont l'opinion doit faire loi, s'exprime ainsi sur ce sujet : « Il est évident que, dans le principe, des motifs d'économie et le défaut d'expérience ont pu seuls déterminer l'administration à favoriser ce mode de traitement; mais on ne tarda pas à en reconnaître les graves inconvénients........ Les filles isolées venaient rarement aux jours indiqués pour faire constater leur état de santé, et il fallait sans cesse les envoyer chercher par les inspecteurs, ce qui absorbait tout le temps de ces hommes; rien ne prouvait qu'elles missent en usage les moyens de traitement qu'on leur donnait, ou qu'on leur prescrivait; et pardessus tout, on ignorait si pendant ce traitement elles interrompaient l'exercice de leur métier; je me trompe, tout prouvait qu'elles le continuaient. Comment en effet, auraient-elles pu vivre sans cette ressource, et suffire en outre aux frais du traitement?

<«< Une seule classe pouvait offrir quelques garanties à l'administration; elle se composait de ces filles qui, ayant fait des économies et logeant dans leurs meubles, avaient un intérêt majeur à soigner leur santé et à se guérir promptement; mais cette classe est tellement minime dans la masse des prostituées, qu'on peut à

peine en tenir compte lorsqu'il s'agit de mesures générales. >>

A quelques exceptions près, aucune des filles exerçant la prostitution clandestine, à Clermont, ne pourrait suffire avec ses propres ressources aux frais d'un traitement antivénérien et en même temps à son existence, sans continuer l'exercice de son métier. Il serait donc d'un grand intérêt, tant pour leur santé que pour celle du public, qu'on leur fît comprendre la nécessité et l'avantage de se faire traiter à l'hôpital. Mais pour arriver à faire exécuter cette mesure sans opposition. ne devrait-on jamais perdre de vue la répugnance énorme qu'éprouvent les clandestines de se trouver en contact avec les prostituées inscrites, auxquelles elles prétendent ne pas être assimilées. Il faudrait donc, pour leur faire accepter sans murmurer ce mode de traitement, tenir compte de leur crainte de se trouver dans les mêmes salles, et par conséquent les placer dans des salles à part, mais cependant sous la surveillance secrète de l'administration, qui n'autoriserait leur sortie qu'après complète guérison. Il faudrait également qu'elles fussent traitées de manière à ne pas leur faire prendre l'hôpital en horreur, comme cela a eu lieu presque en tout temps; et qu'enfin on les laissât libres de s'y rendre ellesmêmes et non accompagnées par des agents, ce qui les humilie profondément et contribue à leur faire chercher tous les moyens possibles de se soustraire aux diverses mesures de surveillance administrative et sanitaire.

Du Médecin du Dispensaire.

Tout médecin qui se respecte et qui veut qu'on le respecte dans l'exercice de ses fonctions, doit apporter dans les rapports qu'il est obligé d'avoir avec les filles publiques, une grande circonspection et ne donner lieu, par son laisser-aller, à aucune familiarité à son égard. F. P.

Pour remplir dignement les fonctions de médecin du dispensaire, dit Parent-Duchatelet, il faut que celui qui les occupe réunisse un ensemble de qualités indispensables, sans lesquelles il compromet sa dignité personnelle, perd la confiance du public et de l'administration dont il relève, et ne peut faire rien de bien.

Il est nécessaire qu'il ne soit pas trop jeune, de peur que le public ne puisse se méprendre sur le zèle qu'il doit apporter dans l'accomplissement de ses devoirs. Pour le même motif, il est également plus convenable qu'il soit marié. Il doit avoir une grande moralité et une réserve extrême dans ses propos, car le monde, qui malheureusement est toujours disposé à dénaturer les meilleures intentions et à soupçonner le mal, arrête plus particulièrement son attention sur ses actions et ses paroles. Quant au secret que doivent garder tous les médecins en général et ceux du dispensaire en particulier, il suffit, dit encore Parent-Duchalet, pour en connaître la nécessité, de voir quelle est leur position:

<«< N'ont-ils pas connaissance des familles auxquelles appartiennent quelques prostituées? Ne savent-ils pas le nom et la position sociale d'une foule de personnes qui prennent toutes les précautions possibles pour agir dans l'ombre, et qui seraient au désespoir s'ils soupçonnaient que quelqu'un de répandu eût connaissance des lieux qu'ils fréquentent et des détails les plus secrets et les plus minutieux de leur conduite? Que penseraiton et que dirait-on de ces médecins, si on les entendait raconter tout ce qu'ils ont appris à cet égard? Pouvant compromettre la paix des familles et faire à quelquesunes des torts irréparables, ne les considèrerait-on pas comme des hommes dangereux dont-il faut se méfier? Qu'ils n'oublient jamais qu'ils seront toujours jugės plus sévèrement que les autres, et qu'ils règlent sur cela leur conduite. >>

Si ces qualités sont indispensables à Paris et dans une grande ville, où le cercle des connaissances est plus restreint, combien ne sont-elles pas plus nécessaires encore dans une ville de province, où tout le monde se connait et où l'indiscrétion des filles publiques de toutes les classes fait connaître au médecin du dispensaire, les faiblesses et les habitudes de leurs clients, qu'elles ne se font aucun scrupule de nommer?

Si de telles fonctions exigent d'un médecin une prudence et une discrétion éprouvées, que doit-on penser du public, quand on le voit ne tenir aucun compte des qualités de ce fonctionnaire et le reléguer parmi les parias de la médecine et de la société?

Dès qu'un médecin se décide à accepter ces fonctions dans notre ville (1), chacun le fuit et le repousse; sa clientèle, s'il en a une, l'abandonne; et s'il débute, il ne peut s'en créer aucune; il est tellement déconsidéré qu'il lui est impossible de se marier convenablement dans son pays, s'il n'a pas eu le bon esprit de prendre les devants. L'administration même qui lui a donné sa confiance, n'en fait en quelque sorte point de cas et le regarde comme un employé subalterne, dont elle aurait à rougir peut-être, si elle lui faisait l'honneur de quelques invitations officielles. Il ne faut pas que l'on se récrie, les précédents sont là pour répondre et pour démontrer que l'administration et les administrateurs sacrifient, eux-aussi, aux préjugés ridicules du vulgaire.

Quelle est donc la cause de cette déconsidération générale? Faut-il la rechercher dans l'incapacité et l'insuffisance des études médicales de ceux qui acceptent ces fonctions, ou bien dans quelques défauts personnels, ou bien encore dans la crainte que le contact permanent de la prostitution ne fasse de ce fonctionnaire un homme dangereux pour la vertu et les bonnes mœurs? Non, la cause n'en est pas là; l'administration n'accep

(1) Le tableau que j'ai fait de la position du médecin du dispensaire n'a rien d'exagéré, et je suis même convaincu d'être resté au-dessous de la vérité; seulement je dois dire qu'il n'en est pas ainsi pour tout le département : car, dans les autres villes, aux portes de la nôtre, les médecins du dispensaire non seulement sont bien considérés, mais encore ils occupent les positions les plus brillantes dans la société et dans la profession médicale.

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