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Que les moralistes qui déplorent sans cesse les malheurs causés par la prostitution, réfléchissent bien à ce qui résulterait de sa suppression absolue, et ils verront bientôt que tout dans les choses humaines sera troublé, bouleversé par les passions les plus détestables. En effet, « dans l'état de nature, où l'autorité pater>> nelle n'existait que très-imparfaitement, et où les » lois n'avaient point établi un ordre de rang et de >> condition parmi les hommes, les désordres que pro>> duisait l'amour n'étaient ni si grands ni si multipliés >> que dans la société; mais au sein de l'ordre social, >> l'homme s'est trouvé dépouillé de femme comme le » pauvre l'a été de propriété; et si la fortune et les >> convenances ne lui permettent pas de satisfaire ses >> besoins pressants, et Dieu sait si le cas se présenterait » souvent, il faut qu'il recoure à la violence et à la » fraude, qu'il séduise la femme ou la fille de son >> voisin comme le pauvre s'empare du bien qui ne lui >> appartient pas (1). »

Au lieu donc de chercher à la détruire, cherchez à l'empêcher de s'étendre; créez des écoles et des ateliers, et faites que les enfants sans fortune les fréquentent; ne donnez pas aux jeunes filles un salaire qui soit une dérision, encouragez dignement le travail et la bonne conduite, et vous aurez plus fait pour l'extinction de la prostitution que toutes les mesures rigoureuses dont vous voudriez l'accabler.

(1) Loc. cit.

Clermont possède des filles publiques inscrites, les unes reléguées dans les maisons de tolérance, les autres autorisées à loger dans des chambres particulières. Ces deux classes de prostituées sont soumises à des règlements de police et à des visites sanitaires. La prostitution clandestine, la vraie prostitution de la ville, y a été longtemps à peu près abandonnée à tous les désordres; aujourd'hui on arrive peu à peu à la règlementer. Quant aux vraies courtisanes, malgré leur nombre assez grand, elles passent en quelque sorte inaperçues ; elles ne sont ni ne peuvent être soumises à aucune espèce de règlement, et cela se comprend. Cette classe se compose des plus jolies femmes, ayant un domicile à elle, des mieux entretenues et des mieux soutenues; elles prennent les manières et les habitudes de la haute société qui les fréquente, et quelquefois même elles lui donnent le ton. Par calcul, ne causant aucun scandale, elles n'ont jamais de démêlés avec la police administrative, et le soin que par intérêt elles prennent de leur personne est en quelque sorte une garantie pour la santé publique. Aussi, si toutes les prostituées étaient des courtisanes, les ouvrages du genre de celui-ci seraientils tout à fait inutiles, et les médecins auraient-ils rarement à intervenir. Alors même, ne regarderions-nous pas cet état de choses comme l'ont fait certains auteurs d'un autre siècle et nous ne dirions pas avec eux: << L'on criera tant qu'on voudra, il est plus agréable, plus flatteur, plus honorant pour un peuple de voir

ses promenades, ses spectacles garnis d'un monde élégant et policé, d'y rencontrer de belles femmes, de riches courtisanes qui entretiennent la douceur et le goût des arts, qu'une troupe de moralistes farouches, de fanatiques se haïssant pieusement, d'intolérants qui croient une nation au bord du précipice parce qu'elle fait usage de carrosses ou de dorures. Ce rigorisme est la ruine du bonheur public, tend à concentrer la propriété dans un petit nombre de mains, à établir des distinctions outrageantes à l'humanité, et à faire d'une grande ville un conseil de censeurs toujours prêts à se persécuter les uns les autres. >>

Aujourd'hui il n'en est pas ainsi; et de même qu'il y a un grand nombre de classes dans la société, il y a aussi un grand nombre de classes de prostituées. Si quelques-unes ne paraissent avoir aucune influence sur la santé publique, toutes malheureusement contribuent à relâcher les mœurs en blessant la morale.

Les courtisanes n'ayant donc pour nous qu'un intérêt secondaire, je négligerai d'en parler plus au long, pour ne m'occuper que de la prostitution inscrite, tolérée, et de la prostitution clandestine.

PREMIÈRE PARTIE.

Quand on a assez fait auprès de certaines personnes pour avoir dû se les acquérir, si cela ne réussit pas, il y a encore une ressource qui est de ne plus rien faire. LA BRUYÈRE.

La ville de Clermont-Ferrand, avec sa population flottante et la garnison, compte, en temps ordinaire, plus de 40000 âmes. Son importance commerciale et topographique en fait le centre d'un grand mouvement d'affaires qui, à l'époque de ses trois grandes foires, devient considérable par l'affluence des étrangers qu'y amène le chemin de fer. C'est surtout alors que la prostitution tolérée, et surtout la prostitution clandestine, s'exercent avec une activité qui ne le cède tout au plus qu'aux villes de premier ordre.

La prostitution avait été en quelque sorte abandonnée à elle-même jusqu'en 1836, époque à laquelle on retrouve des traces de registres d'inscription et

de règlements de police; mais, à cette époque, il n'est fait aucune mention de la prostitution clandestine, et ce n'est qu'en 1858 qu'on a commencé à s'en occuper sérieusement.

Dans une période de 23 ans, de 1836 à 1858, il a été inscrit sur les registres de la police 1601 filles publiques. Le tableau suivant indique, mois par mois et année par année, le nombre de ces inscriptions. Pour 1836 et 1837, l'inscription de chaque mois n'étant pas indiquée sur les registres, je n'ai pu en avoir que le total; de sorte que, pour les moyennes indiquées au bas du tableau, ces deux années ne sont pas comptées. Ces moyennes sont celles de chaque mois correspondant de vingt et une années. On peut voir que le mois d'août est celui pendant lequel il a été fait le plus d'inscriptions, et le mois de novembre celui qui en a eu le moins. On remarquera aussi que l'année 1843 est celle où il y a eu le plus d'inscriptions, et 1853, au contraire, celle où il y en a eu le moins. Si on compare cependant ces deux années à celles de 1851 et 1852, l'erreur apparente qu'on rencontre s'explique facilement, parce que, à cette dernière époque, il y eut un changement de registres et d'employés à la police, et que les inscriptions faites pendant le commencement de 1852 furent mêlées à celles faites en 1851; de telle sorte que cette dernière année comprendrait les inscriptions faites pendant six mois seulement, et 1852 celles faites pendant dix-huit mois.

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