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citer à l'appui de ce que je viens de dire, je me contente de raconter le suivant.

Il y a quelque temps, dans une ville munie d'un dispensaire, trois jeunes officiers envoyés à l'hôpital pour une maladie vénérienne, crurent échapper à la nécessité de dénoncer celles qui les avaient si bien dotés, en déclarant qu'ils n'avaient eu des rapports qu'avec des femmes comme il faut et mariées.

Leurs chefs, ne tenant aucun compte de cette circonstance, qui semblait à ces jeunes gens devoir les affranchir de révélations plus positives, les contraignirent à mieux préciser leurs déclarations. Ceux-ci dénoncèrent alors deux filles publiques qu'ils connaissaient depuis peu, et qui la veille avaient été soumises à la visite ordinaire et reconnues saines. On fit passer à ces prétendues coupables une contre-visite qui eut pour résultat de confirmer leur état de santé. L'autorité militaire, mécontente cependant de se voir trompée, ou soupçonnant peut-être chez le médecin du dispensaire un défaut de connaissances suffisantes, en écrivit à l'autorité civile et envoya un aide-major pour contrôler une nouvelle visite. Mais ce fut en vain : les femmes dénoncées étaient saines, et les officiers furent cette fois obligés de signaler, sous peine de punitions sévères, celles qui les avaient infectés. Ce fut donc avec une grande répugnance qu'ils indiquèrent deux de ces rouleuses des plus sales et des plus dégoûtantes, non assujetties aux visites périodiques, et qu'ils n'avaient pas

osé dénoncer d'abord, pour échapper à la honte d'avouer qu'ils avaient eu des rapports avec de telles femmes.

Je ne sais à quoi attribuer la répulsion qu'ont presque toutes les femmes de notre pays pour les ablutions et autres soins de propreté. Ce défaut de soins qui les caractérise presque toutes, et qui en apparence ne peut être soupçonné, est bien certainement la cause première de plusieurs affections tout au moins incommodes pour elles, et capables, dans certaines circonstances, de communiquer à leurs maris des écoulements quelquefois très-douloureux. Ce que je dis des femmes d'un certain rang, doit s'appliquer encore bien davantage aux filles publiques en général, mais surtout aux grisettes, et plus encore aux prostituées de la classe la plus inférieure. Quant aux femmes entretenues, elles ont en général un soin extrême de toute leur personne; et cette habitude de propreté qu'elles ont acquise dans la longue expérience de leur métier et par le contact de la haute société qui les fréquente ordinairement, peut bien avoir quelque influence sur la recherche dont elles sont l'objet de la part de certains hommes.

Il ne suffit pas toujours que les filles clandestines soient soumises à des visites périodiques, si le médecin appelé à donner son avis sur l'état de leur santé ne peut les faire séquestrer que pour des maladies contagieuses et non pour défaut de propreté; cependant, combien de fois ce manque de soins n'a-t-il pas été cause d'affections qui ont engagé ceux qui en étaient

atteints à dénoncer celles qu'ils croyaient les leur avoir communiquées !

Ce cas s'est présenté souvent; des individus, militaires ou autres, ont fréquemment contracté des écoulements, pour avoir eu avec des femmes malpropres des rapports immodérés à la suite de libations trop copieuses. Il serait donc à désirer que les médecins du dispensaire prissent des mesures pour que cet état de choses cessât complètement, et que l'administration pût infliger quelque punition à celles qui feraient les récalcitrantes.

Ici se présente une des questions les plus graves qu'on puisse soulever, et des plus difficiles à résoudre : c'est celle de savoir si l'on a le droit d'attenter à la liberté individuelle en forçant les filles non inscrites à se soumettre à des visites sanitaires périodiques et à une partie des règlements auxquels sont assujetties les prostituées. Pour les filles soumises, cela ne fait pas un doute; en se faisant inscrire, elles ont par cela même admis qu'elles se plaçaient en dehors de l'ordre naturel qui régit la société; et en passant, pour ainsi dire, un contrat avec l'administration, elles ont reconnu à celle-ci le droit de les soumettre aux divers règlements administratifs et sanitaires. Mais peut-il en être de même à l'égard de celles qui, se prostituant clandestinement, ont un domicile, souvent une famille, ou qui, en travaillant ou par mille autres moyens, peuvent démontrer qu'elles ont des moyens suffisants

d'existence? Comment prouver qu'elles se prostituent, alors, qu'il faut la réunion d'un grand nombre de circonstances pour constituer l'état de prostituée, telles que récidive ou concours de plusieurs faits particuliers légalement constatés, notoriété publique, arrestation en flagrant délit prouvé par des témoins autres que le dénonciateur ou l'agent de police? Ne pourront-elles pas dire qu'elles ont le droit de recevoir chez elles qui bon leur semble, pourvu que le repos des voisins n'en soit pas troublé, et quelle est l'autorité qui s'exposera à outrepasser ses pouvoirs en violant leur domicile alors qu'elles voudront s'y opposer? Ce sont là autant de difficultés insurmontables sous l'empire de notre législation actuelle. On pourra bien les accabler de tracasseries, user de moyens arbitraires pour les faire céder, mais les actes de l'administration n'auront jamais ce cachet de légalité qui leur est indispensable. Quoique tout cède à l'administration, disait M. de Belleyme, un des préfets de police les plus éclairés, et que rien en apparence n'entrave sa marche, un sentiment intérieur lui a toujours dit qu'elle employait des moyens illégaux; qu'elle dépassait les bornes de son pouvoir, que si on lui pardonnait en raison de la population qu'elle régissait ainsi, et des motifs qui la faisaient agir, elle pouvait d'un jour à l'autre être attaquée et se trouver dans la nécessité de se défendre; elle a toujours reconnu que la gêne dans laquelle un pareil état de choses la tenait perpétuellement, para

lysait ses forces et lui ôtait dans bien des circonstances la possibilité de mettre à exécution certaines améliorations dont la société et les prostituées elles-mêmes auraient tiré de grands avantages. Cet administrateur, dans sa haute sagesse, allait même jusqu'à exiger de ses agents qu'en cas de contravention ils aient à procéder avec douceur et circonspection, parce que mieux vaudrait laisser un délit sans répression que de s'adresser à une femme contre laquelle on n'aurait rien à dire.

Il est vrai que, si celle qui se prostitue clandestinement demeure dans un garni, l'autorité pourra toujours l'en expulser en vertu des articles 2 et 4 de l'ordonnance du 16 novembre 1778, articles ainsi conçus :

« ART. 2.-Défendons à tous propriétaires et principaux locataires des maisons de cette ville et faubourgs (Paris), d'y louer ni sous-louer les maisons dont ils sont propriétaires ou locataires qu'à des personnes de bonne vie et mœurs et bien famées, et de ne souffrir en icelles aucun lieu de débauche, à peine de 500 livres d'amende.

» ART. 4. Défendons à toutes personnes, de quelque état et condition qu'elles soient, de sous-louer jour par jour, huitaine, quinzaine, au mois ou autrement, des chambres et lieux garnis à des femmes ou filles de débauche, ni de s'entremettre directement ou indirectement auxdites locations, sous peine de 400 livres d'amende. >>>

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