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Ou bien encore en vertu de l'article 5 de la même ordonnance, qui porte:

« ART. 5. Enjoignons à toutes personnes tenant hôtels, maisons et chambres garnies, au mois, à la quinzaine, à la huitaine, à la journée, d'écrire de suite, jour par jour, et sans aucun blanc, les personnes logées chez eux, et de ne souffrir dans leurs hôtels, maisons et chambres, aucuns gens sans aveu, femmes ni filles de débauche se livrant à la prostitution, le tout à peine de 200 livres d'amende. >>

Si l'administration se décidait à invoquer ces articles, qui ont été appliqués de 1845 à 1854 à Paris, les filles clandestines auraient bien vite trouvé moyen de se mettre à l'abri de ces poursuites, qui n'en atteindraient du reste qu'un petit nombre; l'échec qu'éprouverait dans ce cas l'autorité, ne servirait qu'à démontrer son impuissance, et la prostitution prendrait dès lors des proportions effrayantes.

Ces considérations doivent donc engager l'autorité à préférer la douceur et la persuasion aux actes de rigueur, pour obtenir des filles clandestines une soumission qu'elle ne peut exiger. On arriverait bien plus facilement, ce me semble, par le raisonnement et même par quelques égards, à leur faire comprendre que, puisqu'elles se livrent au public, elles s'exposent nonseulement à contracter des maladies, mais encore à les communiquer à d'autres personnes; qu'elles peuvent porter en elles, pendant quelque temps, ces maladies

sans le savoir, et qu'ainsi elles compromettent leur santé et celle de la société; que par conséquent il vaut mieux, dans l'intérêt de tous, se soumettre à des visites qui doivent leur être d'autant moins pénibles qu'elles restent ignorées du public, et qu'elles les subissent de la part de médecins de leur choix.

Des Maisons de passe.

Le plus grand de tous les abus que se permettent les hommes opulents est d'employer leurs richesses à séduire l'innocence et à corrompre la jeunesse. J.-J. ROUSSEAU.

Les maisons de passe sont des maisons qui, sous des apparences convenables, servent aux prostituées clandestines pour y exercer leur industrie. Elles y amènent les hommes qu'elles ont raccrochés ou qui les ont raccrochées, et moyennant une rétribution qu'ils paient l'un ou l'autre, et souvent l'un et l'autre, la maîtresse de l'établissement leur loue une chambre.

On ne compte pas moins de quinze de ces repaires à Clermont, répartis dans tous les quartiers, mais principalement situés dans les rues désertes. Quelques-uns cependant existent dans des rues très-fréquentées, mais ne se font remarquer par aucun signe extérieur.

C'est là que se rendent le soir, et même pendant le jour, ces grisettes qui ont dans le monde l'apparence de l'honnêteté et de la décence la plus trompeuse; les femmes les mieux entretenues, les courtisanes même, et, ce qu'il y a de plus pénible à dire, la femme du monde, et quelquefois aussi la jeune mère de famille ! C'est dans ces maisons que s'adressent ces hommes qui dans la société jouent le rôle menteur de moralistes, qui

se montrent les plus intolérants, et qui, dépouillant tout sentiment d'honneur et de délicatesse quand ils se croient à l'abri du regard des hommes, vont assouvir leur passion brutale sur la beauté indigente et sage que de fallacieuses paroles leur ont livrée (1).

La police, qui connaît toutes ces maisons, a toujours vu sa vigilance mise en défaut par les mille ruses qu'emploient les proxénètes pour éviter les surprises. Elle est dont totalement désarmée pour mettre quelque entrave à cette espèce de débauche privée qui alimente la prostitution publique. Comment, en effet, pourrait-elle surprendre le flagrant délit d'adultère ou d'excitation à la débauche exercée sur des mineures, alors que, pour pénétrer dans ces maisons, qui sont après tout des maisons particulières, il faut qu'elle soit nantie d'un mandat de perquisition, mesure nécessaire, mais qui paralyse trop souvent la promptitude avec laquelle l'autorité doit agir pour faire quelque chose d'utile en cette matière ?

Le seul moyen d'entraver ce genre de débauche, aussi

(1) Quelquefois le contraire a lieu, et je saisis avec plaisir l'occasion de le constater. Il m'a été raconté qu'une pauvre jeune mère, abandonnée de son indigne mari, adonné à l'ivrognerie et qui avait vendu tout ce qu'ils possédaient pour se livrer à sa triste passion, s'adressa inutilement à diverses personnes pour en obtenir quelques secours; toutes lui refusèrent à cause de la mauvaise conduite de son mari. En désespoir de cause, elle fut obligée, pour donner du pain et des hardes à son enfant, de s'adresser à une maison de passe où elle rencontra un homme opulent qui, lui voyant un air triste et abattu peu commun dans ces sortes de maisons, lui en demanda la cause. Elle lui raconte sa position, et celui-ci, mu par un sentiment de charité, la renvoya en lui donnant l'argent qu'il comptait dépenser en plaisir,

pernicieuse pour la morale que pour la santé publique, serait d'assimiler ces maisons à des maisons garnies, et faire à celles qui les tiennent l'application des articles 2, 4 et 5 de l'ordonnance du 16 novembre 1778 citée plus haut; ou bien de les contraindre à prendre un livret spécial de tolérance, en leur enjoignant de ne recevoir chez elles que des filles notoirement connues pour exercer la prostitution et munies d'une carte que l'administration leur délivrerait dans ce cas, pour constater qu'elles sont soumises à une surveillance sanitaire.

Par ce moyen au moins la santé publique serait sauvegardée, et les bonnes mœurs n'auraient rien à y perdre, puisque, là comme dans les maisons de tolérance, les habitués n'y auraient des rapports qu'avec des filles déjà débauchées. Pour assurer la bonne exécution de ces mesures, il leur serait enjoint de se soumettre à des visites toutes les fois que l'autorité le jugerait convenable. On pourrait ainsi plus facilement constater le délit d'excitation à la débauche et dresser des procès-verbaux contre les proxénètes, toutes les fois qu'elles seraient surprises avoir reçu des filles ou des femmes non pourvues de cartes.

Ce serait là une réforme heureuse dont bien des familles sentiraient le prix, et qui empêcherait la plupart de ces marchés honteux qui ont pour but de faire succomber l'innocence de la jeune fille ou la vertu de la mère aux séductions de cet or qu'étalent impudemment ces hommes opulents qui se parent devant le

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