Page images
PDF
EPUB

sur celui qui s'y livre une défaveur injuste, qu'entretiennent les mille préjugés de cette partie ignorante du public qui a la sotte habitude de blâmer sans savoir, et de condamner sans entendre.

Si quelques hommes, dont le mérite est depuis longtemps reconnu et la réputation bien établie, ont eu quelque hésitation pour se mettre au-dessus de ces préjugés absurdes, combien plus devra hésiter celui qui débute dans la carrière, et qui n'a d'autre titre à la bienveillance de ce public que sa bonne volonté et le désir d'être utile? Ne devra-t-il pas craindre aussi qu'on ne lui fasse un crime d'avoir abordé une étude aussi remplie d'écueils, et qui inspire en général une répulsion dans laquelle se trouve trop souvent compris celui qui l'entreprend; et cette considération ne devra-t-elle pas l'engager à ménager ses intérêts, qui peuvent être compromis si ses intentions sont dénaturées ou incomprises? Je crois qu'il est de son devoir de ne pas se laisser arrêter, s'il pense que son entreprise est utile: l'approbation des gens sensés le dédommagera amplement du dédain ridicule des faux esprits.

Parent-Duchatelet, qui a tracé de main de maître l'histoire de la prostitution dans la ville de Paris,

n'a été surpassé, il faut bien le dire, par aucun de ceux qui après lui ont abordé le même sujet; mais s'il l'a fait d'une manière complète pour Paris, c'est à peine s'il en a dit quelques mots pour la province; aussi émet-il le vœu que son œuvre soit continuée, et en quelque sorte complétée par d'autres; et l'importance d'une telle entreprise a été si bien comprise, que déjà l'histoire de la prostitution dans les villes de Lyon, Bordeaux, Marseille, Nantes, Brest, Strasbourg, et dans l'Algérie, a été tracée par des hommes du plus grand mérite. Cet exemple a trouvé des imitateurs en dehors de notre pays, et la même étude a été faite en Angleterre, en Suisse, en Ecosse, en Belgique, en Prusse, en Danemark, en Norwège, en Hollande, en Piémont, en Espagne, à Rome et à Hambourg.

Si j'entreprends aujourd'hui l'histoire de la prostitution dans la ville de Clermont, ce n'est pas que j'aie la prétention de me placer à côté de ceux qui avant moi et mieux que moi ont traité ailleurs ce sujet, mais bien pour combler une lacune que je considère comme des plus regrettables, tant au point de vue de l'hygiène publique qu'au point de vue statistique et administratif.

La position que j'ai occupée d'une manière provisoire pendant huit à dix mois au dispensaire de salubrité, pour remplacer un de nos confrères durant sa longue et douloureuse maladie, m'a permis d'étudier le sujet jusque dans ses moindres détails. J'ai pu et j'ai dû, pour remplir mon devoir, pénétrer un grand nombre de fois dans les maisons de tolérance, et là j'ai trouvé des sujets d'observation variés et intéressants. J'ai su assez capter la confiance des malheureuses qui y habitent pour être à peu près certain de n'avoir pas été trompé lorsque je leur demandais des renseignements; quelques-unes même m'ont fait connaître certaines de leurs habitudes les plus cachées et celles plus secrètes encore et plus bizarres de quelques-uns de leurs habitués. Si dans leur narration quelques noms bien connus ont été victimes de leur indiscrétion, qu'on soit bien persuadé que ces indiscrétions resteront enfouies dans ma mémoire; et s'il m'arrive de raconter quelques anecdotes dans le cours de mon récit, ce ne sera certes pas dans l'intention de faire la moindre peine à ceux qui en auront été les héros et qui se reconnaîtront, mais bien pour faire comprendre ce à quoi l'indiscrétion des filles publiques peut

exposer ceux qui ont l'habitude de les fréquenter. Ce que je dis là des prostituées en maisons, s'applique encore bien davantage aux filles exerçant la prostitution clandestine, que j'ai été appelé à connaître; et le nombre en est grand!

Aussi dans notre ville, où la prostitution s'exerce sur une aussi grande échelle, et où elle est pourtant si peu connue, il importait beaucoup qu'elle fût signalée et décrite, afin que nos administrateurs pussent, en parfaite connaissance de cause, modifier ce qui est susceptible d'amélioration, retrancher ce qui est inutile ou mauvais, et compléter ce qu'il y a de bon; pour ma part je m'estimerai très-heureux si j'ai pu contribuer pour quelque chose dans les réformes sur lesquelles j'appelle l'attention, et dont j'espère faire comprendre la nécessité.

« PreviousContinue »