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comment elle y fut reçue. Les témoins les mieux placés, Metternich, Talleyrand et M. de Vitrolles, nous en ont transmis le récit; les lecteurs qui savent ne nous sauront pas mauvais gré de le reproduire en substance, et ceux qui ignorent y trouveront des détails piquants.

A Vienne, le congrès tirait à sa fin. Les souverains se préparaient à retourner dans leurs Etats. L'empereur de Russie avait fixé son départ au 20 mars, pour être rentré à Saint-Pétersbourg au moment de la Pâque russe. L'empereur d'Autriche s'apprêtait à aller visiter ses provinces d'Italie. Le congrès ne dansait plus, selon le mot du prince de Ligne, sur le volcan, dont une nouvelle éruption se préparait, mais il se divertissait à des jeux innocents dans lesquels la galanterie avait sa part. On avait organisé chez la princesse Marie Esterhazy une loterie où les choses avaient été arrangées de façon que le lot le plus magnifique échût à une femme que le Tsar distinguait particulièrement. La combinaison fut dérangée par le fils du prince de Metternich, qui tira un billet hors de son tour et gagna l'objet. L'Empereur en eut du dépit, et c'était le sujet principal des conversations lorsque dans la nuit du 6 au 7 mars, M. de Metternich, qui s'était couché fort tard et avait recommandé qu'on le laissât dormir, fut réveillé par son valet de chambre, qui lui apportait une dépêche pressée; le prince lut sur l'enveloppe qu'elle venait du consul général d'Autriche à Gênes. M. de Metternich, n'y attachant pas d'importance, cherchait à se rendormir, mais le sommeil ne venait pas, et la dépêche était toujours là. M. de Metternich se décida à la décacheter et il y lut que Napoléon avait disparu de l'île d'Elbe. Il s'habilla à la hâte, et avant neuf heures les souverains d'Autriche, de Russie et de Prusse étaient mis au courant, et une heure plus tard les aides de camp partaient dans toutes les directions, pour porter aux armées qui se retiraient l'ordre de s'arrêter dans leur marche. A dix heures, les plénipotentiaires des puissances étaient reçus dans le cabinet de M. de Metternich. M. de Talleyrand parut le premier. Le chancelier lui fit lire l'avis qu'il venait de recevoir de Gênes. Talley

rand resta impassible; quelques mots furent échangés. Talleyrand jugea que Bonaparte débarquerait sur quelque côte d'Italie et se porterait vers la Lombardie. Metternich vit plus clair : il prophétisa que l'Empereur irait droit à Paris.

A Paris, les choses se passèrent d'une manière moins. simple. M. de Vitrolles, secrétaire d'Etat, était dans son cabinet le 5 mars, vers une heure, lorsque M. Chappe, directeur des télégraphes, se fit annoncer. Il était fort agité et tendit à M. de Vitrolles une dépêche cachetée. Ce dernier conclut de son trouble qu'il en savait le contenu, que le traducteur seul devait connaître. Prévoyant quelque chose de grave, M. de Vitrolles aima mieux apporter la dépêche au Roi pour qu'il l'ouvrît lui-même. La goutte tenait en ce moment Louis XVIII fortement aux mains; il brisa avec peine le cachet de l'enveloppe et resta quelques instants les yeux fixés sur le message: « Vous ne savez pas « ce que c'est? » dit-il à M. de Vitrolles avec un calme parfait. «Non, Sire, je l'ignore. C'est Bonaparte qui est « débarqué sur les côtes de la Provence. Il faut porter << cette dépêche au ministre de la guerre, qui verra ce qu'il «< y a à faire. »

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Après avoir rempli ce message, M. de Vitrolles alla au pavillon Marsan pour voir Monsieur. On lui apprit qu'il était à vêpres. « Comment, à vêpres, dans un pareil « moment, se dit M. de Vitrolles. Jacques perdit son << royaume pour une messe; mais ils perdront le leur pour << des vêpres. » Enfin Monsieur parut. « A propos, « demanda-t-il à M. de Vitrolles, que dites-vous de la << grande nouvelle ? » Celui-ci trouva le à propos un peu léger pour la circonstance et insista vivement pour que le prince se montrât à l'armée. « Je pense, répondit le prince, « que vous avez raison et qu'il faut graisser mes bottes. << Non, Monseigneur, répliqua M. de Vitrolles, il faut partir sans que vos bottes soient graissées, immédiatement. >> Le prince partit le soir même.

Dans les premiers moments, Louis XVIII considéra l'aventure de Napoléon comme devant être fatale à celuici, et il en prévoyait le prompt échec.

Il écrit à Talleyrand le 7 mars: «Avant de recevoir <«< cette dépêche, vous serez instruit, sans doute, de l'au<< dacieuse entreprise de Bonaparte. J'ai pris sur-le-champ <«<les mesures nécessaires pour l'en faire repentir et je << compte avec confiance sur leur succès 1. » Talleyrand ne paraît pas plus alarmé. Il se contente de traiter d'incident désagréable l'apparition de Napoléon en France, et il s'en félicite même, puisque cet événement décidera les puissances à en finir d'une manière définitive avec Bonaparte. La déclaration du 13 mars, publiée par les États signataires du traité de Paris, réunis en congrès à Vienne, vint lui donner raison en mettant l'évadé de l'île d'Elbe au ban de l'Europe, comme ennemi public et perturbateur du monde.

Le 5 mars, Louis XVIII avait reçu la nouvelle du débarquement à Fréjus ; le 20 mars, il quittait les Tuileries. Dans cet intervalle de quinze jours, le trône des Bourbons s'était effondré par secousses rapides. La foi dans la résistance, qui avait été assez générale d'abord, s'était promptement affaiblie. Déjà très ébranlée par l'accueil fait à l'Empereur à Grenoble, son entrée à Lyon l'avait réduite à néant.

Le peuple était conquis d'avance à la restauration impériale par la magie de l'aventure. Ainsi que le dit un écrivain royaliste 2, les vives images par lesquelles l'Empereur annonçait le retour de ses aigles, volant de clocher en clocher jusqu'à Notre-Dame, entraînaient les masses. Ceux qui avaient été attachés à la fortune de Napoléon et qui la croyaient perdue sans retour saluaient l'heure prochaine de sa rentrée aux Tuileries.

Dans un sens opposé à ces courants favorables, éclatait la colère indignée des amis récents ou anciens des Bourbons, et un mouvement d'opposition se dessinait dans les salons politiques qui s'étaient ouverts avec la Restauration. M. Villemain nous a laissé 3 le tableau intéressant et

1. Correspondance du prince de Talleyrand avec le roi Louis XVIII, pendant le Congrès de Vienne, par G. Pallain, p. 316.

2. Histoire de la Restauration, par Alfred Nettement, II, 75.

3. Souvenirs contemporains d'histoire et de littérature, seconde partie, P. 15.

animé d'une de ces réunions où l'élite de la société parisienne se rencontrait chez Mme de Rumfort, la veuve de l'illustre Lavoisier. Là se trouvaient Benjamin Constant, Lafayette, de Sismondi, Lemercier, Cuvier, Maine de Biran, Mme de Staël. On écoutait d'une oreille distraite Garat et la comtesse Merlin alors dans tout l'éclat de sa voix et de sa beauté. Les rumeurs du dehors, contradictoires et confuses, ne trompaient personne, dans ce milieu, sur le dénouement qui devait éclater quarante-huit heures après (on était au 18 mars), et que tous, royalistes modérés et constitutionnels, républicains, voyaient avec effroi pour la France.

L'accueil fait à Louis XVIII à la séance royale des deux Chambres, le 16 mars, lui donna l'illusion qu'avec de la fermeté la situation pouvait être sauvée. Le Roi dit : « J'ai revu ma patrie. Pourrai-je, à soixante ans, mieux « terminer ma carrière qu'en mourant pour sa défense? » Monsieur ajouta, au nom de la famille royale : « Nous << jurons sur l'honneur de vivre et de mourir fidèles à « notre roi et à la charte constitutionnelle qui assure le << bonheur de la France. » Cet éloge de la Constitution était assez nouveau chez le comte d'Artois. Louis XVIII, comme pour mieux marquer le souci, un peu tardif, qu'il prenait de l'opinion publique, portait pour la première fois, ce jour-là, la plaque de la Légion d'honneur. Les acclamations furent unanimes; la preuve qu'elles ne manquaient pas de sincérité, même en dehors du parti foncièrement royaliste, c'est que l'on vit se grouper ensemble des hommes appartenant aux nuances les plus diverses du parti modéré: M. Lainé, M. Benjamin Constant (qui ne devait pas tarder à renier la cause royaliste), M. de Chateaubriand, M. de Lafayette, qui se déclarèrent résolus à soutenir le roi, pourvu qu'il se maintint dans la voie libérale. Ces sentiments se retrouvaient dans l'adresse de la Chambre des députés en réponse au discours du trône, où une politique de modération, de liberté et de justice était recommandée au gouvernement.

Le 17 mars, au soir, on apprit la défection du maréchal Ney, suivie du soulèvement de la vieille garde commandée par le maréchal Oudinot. Ce fut comme un coup de foudre,

LOUIS XVIII A GAND. T. I.

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et le départ du roi fut résolu pour le lendemain. Il eut lieu dans la nuit du 19 au 20, après bien des tergiversations, car le sentiment intime de Louis XVIII était d'attendre les événements à Paris. Obligé de quitter la capitale, son plan fut de se retirer à Lille avec Monsieur et le duc de Berry; il espérait, si la garnison lui restait fidèle, pouvoir s'y maintenir le temps nécessaire pour que les secours lui arrivassent du dehors, en attendant le succès des tentatives du duc de Bourbon, qui partait pour soulever la Vendée, et des efforts du duc et de la duchesse d'Angoulême pour s'assurer la fidélité du Midi.

On trouve dans les Souvenirs du maréchal Macdonald le récit le plus complet de cet exode de Louis XVIII, avec des épisodes tantôt voisins du tragique, tantôt touchant au bouffon', comme c'est presque toujours le cas dans l'odyssée des souverains prenant la route de l'exil. Le Roi s'installa à l'auberge, le 20, à Abbeville, sans avoir été rejoint par sa maison militaire, qui avait quitté Paris presque en même temps que lui, et que Macdonald avait rencontrée en désarroi à Beaumont. Le maréchal n'obtint point sans peine que le Roi renonçât, avant d'aller plus loin, à voir arriver les troupes de sa maison, et se dirigeât sur Lille par le chemin le plus court, Hesdin et Béthune.

Le duc d'Orléans, nommé au commandement en chef des troupes stationnées dans le département du Nord, par une ordonnance royale du 16 mars, était à Lille depuis le 19, avec le maréchal Mortier. L'exaltation de la population contre Bonaparte s'y manifestait de la manière la plus énergique, suivant les expressions du prince 2. Quant aux dispositions des troupes, elles ne paraissaient

1. « En quittant Paris, on n'avait eu que le temps de faire un portemanteau pour le Roi; il fut volé en route. Sa Majesté y fut d'autant plus sensible, que ce portemanteau contenait son seul rechange six chemises, une robe de chambre et des pantoufles auxquelles le Roi tenait beaucoup, car en me racontant le vol, il me dit : « On m'a pris mes chemises, je n'en avais pas déjà trop; » puis il ajouta tristement : « Ce sont mes pantoufles que je regrette davantage; vous saurez un jour, mon cher Macdonald, ce que c'est que la paire de pantoufles qui ont pris la forme du pied. » (Souvenirs du maréchal Macdonald, p. 376.

2. Mon journal, par Louis-Philippe d'Orléans, I, p. 173.

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