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que nous croyions apprendre, n'étoit qu'un ref fouvenir de ce que nous fçavions déja. Quand fon divin Disciple a confirmé après lui, que ces Ames ainfi pré-exiftantes, connoiffoient, penfoient, fçavoient pendant qu'elles étoient fans Corps. Quand le fublime Pindare, par un divin Entoufiafme, a dit dans une de fes Odes ; que le Sage eft né fçavant? Ne voit-on pas que tous ces grands Hommes ont cru que les principales fonctions de l'Ame, & fes veritables proprietez ont précedé celles du Corps, par conféquent font indépendantes du Corps.

Je ne prétens pas rétablir ce reservoir des Ames qui attendoient le moment de leur entrée dans le Corps ; je crois que l'Ame a été créée au même temps que le Créateur a formé le Corps qu'il vouloit unir avec elle. Je ne penfe pas non plus à renouveller la Tranfmigration des Ames, après les avoir plongées dans le Fleuve Lethe, pour leur faire oublier qu'elles avoient habité d'autres Corps. Mais enfin ces Imaginations philofophiques & poëtiques ne laiffent pas, malgré l'erreur & la fiction qui s'y trouvent, de prouver que ceux qui ont médité le plus profondément fur la nobleffe & la nature de l'Ame, ont été forcez de reconnoître & de fentir en eux-mêmes ces Idées propres à l'Ame, fans le mélange du Corps.

Encore aujourd'hui les Chinois & les In

diens, & plufieurs autres Peuples qui ne font pas éclairez par la vraye Religion fur ce qui regarde l'état & la nature des Ames, penfent comme une infinité d'hommes ont pensé autrefois. La conviction interieure que notre Ame n'eft point de la condition du Corps, qu'elle a fes fonctions feparées de lui, & qu'elle eft incorruptible, entraîne naturellement l'Esprit à l'opinion de ce paffage perpetuel des Ames en des Corps differens où elles exiftent toujours. Paffant ainfi fucceffivement d'un Corps dans l'autre, on les fait également détachées, & du Corps qu'elles quittent, & de celui où elles vont entrer. Je fçai bien que les Bonzés & les Bramins font bien éloignez de connoître la veritable spiritualité des Ames, fur-tout quand ils font paffer celles des Hommes dans le Corps des Bêtes, & celles des Bêtes dans le Corps des Hommes; néanmoins cette feconde Erreur de leur fauffe Théologie eft encore fondée fur le fentiment obfcur qu'ils ont d'une autre verité, touchant les peines & les récompenfes de la vie future.

Je m'apperçoi que la fatisfaction de vous entretenir, me méne trop loin, & je me fuis plus laiffé emporter à la chaleur & à la liberté de la converfation, que je n'ai fuivi les regles d'un raisonnement exact. Mais enfin je réduis tout le mien à ces trois confiderations. La premiere, que le Corps, quoiqu'uni avec l'Ame, agit fans

elle, & féparement, en des fonctions purement materielles par la configuration & le reffort des organes, que l'Ame ne regle point, & dont même elle n'a pas connoiffance. La feconde, que l'Ame peut agir auffi fans le Corps, dans des fonctions purement intellectuelles, où les organes des fens n'ont point d'ufage, & qui font uniquement refervées à l'entendement. La troifiéme, que le Corps & l'Efprit ont des actions qui leur font communes par la Loi de leur union. Ils agiffent ensemble; elle par le fentiment des impreffions que reçoivent les fens; lui par les mouvemens qui excitent ces perceptions, c'eft une perpetuelle liaison des mouvemens de l'un & des fenfations de l'au tre. L'Ame forme fes pensées felon les difpofitions de ce Corps organifé, qui eft agité de tant de manieres differentes; mais comme il a toujours fa constitution & fes proprietez, elle a toujours auffi fes fonctions particulieres. Elle a fes facultez qui ont été créées avec elle feule. Ses idées, ou fes connoiffances, quoique rappellées, ou excitées par les fens, ne font point produites par les fens, ni avec les fens, ils n'en font au plus que la cause instrumentale, ou occafionnelle, & point du tout la cause efficiente.

Voilà, Monfieur, les difficultez qui m'ont arrêté dans votre fçavant Ouvrage. C'est ce mot de Caufe efficiente, que je ne puis à l'égard des pensées attribuer au Corps; ce font ces

Idées innées dont je ne puis concevoir la dépendance avec le Corps, à moins que de confondre la nature du Corps avec celle de l'Esprit.

La préoccupation, où je fuis depuis longtemps, m'a peut-être empêché de me rendre à votre opinion, & m'attache trop à mon fens. Mais je fuis perfuadé qu'on trouvera dans les trois états que je viens d'obferver, tout ce qui fe paffe dans l'Homme. Par là on explique aifément les prééminences de l'Ame, & fes affujetiffemens au Corps; la grandeur & la baffeffe de l'Homme; fa force, fes foibleffes; fes penchans, les contrarietez ; fes vices, ses vertus.

Mais après tout c'eft à vous qu'il appartient de m'inftruire. Vous m'apprendrez à quoi je dois m'en tenir, & vous m'éclaircirez, fi je ne vous ai pas bien entendu. Vous penetrez mieux que moi tout ce qui regarde la nature de l'Ef prit, & vous en avez toujours parlé très-dignement. Il vous fera aifé de lever mes fcrupules fur quelques-unes de vos exprefsions, si j'ai bien-tôt le bonheur de vous voir, comme je l'efpere. Je rappelle fouvent en ma memoire ces agréables foirées, où j'étois fi content de vous entendre philofopher en presence de M. le Duc de Nevers, de M. le Duc de Vivonne, & de votre cher Ami & le mien M. le President de Donneville. Quoique la fortune nous ait prefque toujours feparez, mon Efprit eft demeuré attaché au vôtre; j'ai toujours

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298 LETTRE A M. REGIS. admiré dans vos Ecrits cette force, cette clarté & cette fageffe qui les rendent fi recommandables. J'ai rempli au moins þar mes desirs les devoirs de cette amitié que l'amour commun de la Philofophie nourrit dans les cœurs touchez du veritable bien.

Magnum eft amicitie vinculum Studiorum fimilitudo.

Ou fi vous ne vouliez pas me recevoir comme votre Compagnon dans ce noble travail, ne laiffez pas de m'aimer comme votre Difciple, & foyez für de la déference & de la docilité d'un homme qui vous honore avec passion.

FIN.

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