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Tels sont les seigneurs des justices dont les justiciables sont traduits devant le juge royal. Ces seigneurs, pour l'intérêt de leurs justices, peuvent revendiquer la cause, et le juge, en ce cas, doit la renvoyer à leur justice.

Cette revendication ne peut être faite qu'au nom du seigneur qui doit, pour cet effet, intervenir en la cause, et en demander le renvoi, ou par lui-même en personne, ou par un procureur du siége fondé de sa procuration.

Elle ne pourrait être faite au nom de son procureur fiscal, parce qu'en France, il n'y a que le roi qui plaide par procureur; car le seigneur n'a pas droit de plaider par procureur ailleurs qu'en sa justice; mais ce procureur fiscal, s'il est procureur du siége, peut faire cette revendication au nom du seigneur, et il n'est pas tenu de rapporter de procuration, sa qualité de procureur fiscal lui en tenant lieu, et renfermant un pouvoir général de faire, pour le seigneur, tout ce qui est de l'intérêt de sa juridiction.

Lorsque le juge est incompétent, le juge, à qui la connaissance de la cause appartient, peut aussi la revendiquer.

53. Ces revendications de causes peuvent se faire en tout état de cause, en quoi elles diffèrent des exceptions de renvoi, qui ne peuvent être proposées par le défendeur après qu'il a contesté, et le juge doit statuer sur ces revendications de la même manière que sur les renvois; la raison de différence est que le défendeur, en proposant d'autres exceptions ou défenses, a reconnu la juridiction, et par conséquent n'est plus recevable à la décliner: on ne peut pas opposer une pareille fin de non-recevoir à ceux qui revendiquent la cause. § V. De la peine du juge qui dénie le renvoi, ou connaît des causes qui ne sont pas de sa compétence.

54. L'ordonnance de 1667, tit. 6, art. 1er, défend aux juges de retenir des causes qui ne sont pas de leur compétence, à peine de nullité des jugements, et à peine contre les juges de pouvoir être pris à partie.

Il paraît, par le procès-verbal, que MM. du Parlement s'opposèrent beaucoup à la prononciation de la peine de prise à partie (1), qui néanmoins a passé.

SECT. V. DES RECUSATIONS DE JUGES.

55. Les récusations de juges ont quelque rapport avec les exceptions déclinatoires; c'est pourquoi nous avons cru qu'il était de l'ordre d'en traiter après avoir parlé des exceptions déclinatoires.

La principale différence entre les exceptions déclinatoires et les récusations, est que la partie qui propose une exception déclinatoire, décline le juge du tribunal devant lequel il est cité, au lieu que la récusation ne tend pas à décliner le tribunal, mais seulement à décliner la personne de quelqu'un des juges de ce tribunal.

Quelquefois on peut récuser un tribunal entier.

§ Ier. De la récusation du tribunal entier (2).

56. On peut récuser un tribunal entier, si la partie assignée a un procès contre le tribunal. Arrêt du 23 février 1708, tom. 5 du Journ. des Audiences. Voy. le procès-verbal, p. 341, édit. de 1724.

(1) Il n'y a plus lieu dans ce cas à la prise à partie.

(2) La récusation contre un tribunal entier n'est plus admise, elle ne peut résulter que de la récusation portée individuellement contre chacun des ju

ges qui le composent, ou tout au moins, contre un nombre tel de ces juges qu'il ne soit plus possible de constituer le tribunal. Le Code de procédure admet seulement la demande en renvoi à un autre tribunal, pour parenté ou

Si c'est le demandeur qui a un procès contre le tribunal, dont la partie qu'il veut assigner est justiciable, il doit présenter requête au juge où ressortit le tribunal et obtenir une ordonnance qui lui permette d'assigner sa partie directement au tribunal supérieur, attendu le procès qu'il a avec le tribunal inférieur.

Si ce tribunal ressortit nûment au Parlement, il doit donner la requête en la Cour, pour être renvoyé dans quelque tribunal voisin.

Si le défendeur prétend que ce procès n'est qu'imaginaire, et que le demandeur n'a pas droit de récuser le tribunal, dont lui défendeur est justiciable, il peut s'opposer à l'ordonnance du juge supérieur, ou à l'arrêt de la Cour qui a renvoyé dans un autre siége, et y assigner le demandeur pour être statné sur cette opposition.

Lorsque, parmi les officiers d'un siège et parmi les praticiens qui peuvent les substituer, n'y en a aucun contre qui il n'y ait quelque cause de récusation, c'est un cas où on peut récuser le tribunal entier.

57. Lorsqu'un seigneur de justice me fait assigner dans sa justice, je peux, pour cette raison, récuser le tribunal entier, quoique j'en sois justiciable, et évoquer la cause devant le juge supérieur où il ressortit; car tous ceux qui le composent étant ses officiers, ont une cause de récusation qui leur interdit lá cause de ce seigneur.

Par la même raison, si j'ai une demande à former contre ce seigneur, je l'assignerai devant le juge supérieur, et non point à sa justice.

58. Il y a néanmoins quelques demandes (quoique données au nom du seigneur) desquelles son juge peut connaître, ce sont celles qui concernent les domaines, droits et revenus ordinaires et casuels, tant en fief que roture de la terre, même des baux et jouissance; tit. 24, art. 11.

Suivant cet article, un seigneur peut plaider devant son juge contre ses vassaux censitaires, ou fermiers reconnus pour tels, pour le paiement des redevances seigneuriales, rentes foncières, fermages, profits féodaux ou censuels, amendes ou autres droits de sa terre qui lui sont dus; mais si le fond des droits lui est contesté, son juge n'en peut plus connaître.

59. Le même article interdit aux juges de seigneurs la connaissance de toutes les causes où les seigneurs sont parties intéressées.

Par cette raison, les arrêts ont jugé qu'un juge de seigneur ne pouvait mettre le scellé après la mort du seigneur sur ses effets, car il est l'officier

alliance (V. art. 368, C. proc.), à quoi | « Cour, l'autre partie pourra demander il faut ajouter la demande en renvoi « le renvoi. »

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pour suspicion légitime, dont le Code Art. 542, C. inst. crim. : « En made procédure ne fait pas mention, mais « tière criminelle, correctionnelle et de dont le principe est posé en matière police, la Cour de cassation peut, sur criminelle par l'art. 542, C. inst. crim.« la réquisition du procureur général Art. 368, C. proc. « Lorsqu'une « près cette Cour, renvoyer la connaispartie aura deux parents ou alliés, «sance d'une affaire, d'une Cour royale jusqu'au degré de cousin issu de« ou d'assises à une autre, d'un tribunal germain inclusivement, parmi les « correctionnel ou de police à un au« juges d'un tribunal de première in- « tre tribunal de même qualité, d'un «stance, ou trois parents ou alliés au << juge d'instruction à un autre juge << même degré dans une Cour royale; « d'instruction pour cause de sûreté " ou lorsqu'elle aura un parent audit «< publique ou de suspicion légitime.-degré parmi les juges du tribunal de « Ce renvoi peut aussi être ordonné " première instance, ou deux parents « sur la réquisition des parties intédans la Cour royale, et qu'elle-même « réssées, mais seulement pour cause « sera membre du tribunal ou de cette « de suspicion légitime. »

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des héritiers de ce seigneur qui succèdent à la seigneurie, et qui sont parties intéressées à l'apposition du scellé. Arrêts des 6 fév. 1702 et 17 janv. 1708, au 5 tome du Journal des Audiences.

Cette raison cesse si la justice dépend d'un bénéfice du défunt, le bailli de la justice peut mettre le scellé sur les effets de son défunt seigneur, car il n'est pas son officier puisqu'il est mort, ni de ses héritiers qui ne succèdent point à son bénéfice. Arrêt du 23 avril 1704, pour le bailli de Saint-Germain, à Paris, rapporté par Augeard, t. 2, ch. 61.

GO. C'est aussi une espèce de récusation du tribunal entier lorsqu'une partie fait évoquer d'une Cour souveraine en une autre le procès qu'elle y a, à cause des parents que sa partie adverse a dans cette Cour (').

Les évocations font la matière de l'ordonnance du mois d'août 1737, à laquelle nous renvoyons (2); nous nous contenterons seulement d'observer qu'une partie peut aussi évoquer d'un Présidial en un autre les affaires qui doivent s'y juger en dernier ressort, lorsque la partie adverse y est officier, ou lorsqu'elle a dans ce siége son père, son fils, ou son frère. Ordonn. de 1737, art. 87, tit. 1er.

On ne peut évoquer des autres siéges inférieurs, ni même des présidiaux lorsque l'affaire n'est pas de nature à y être jugée en dernier ressort. L'ordonnance néanmoins laisse à la prudence de la Cour de renvoyer l'affaire dans un autre siége, lorsque, par le grand nombre des parents ou autre cause, il У aura des raisons suffisantes de soupçon () contre le siége où elle aurait dů être portée. Ordonn. de 1737, art. 90.

§ 11. Des causes de récusation contre la personne des juges.

61. Comme rien n'est davantage requis dans un juge que le désintéressement, le juge est récusable toutes les fois qu'il se trouve avoir quelque avantage indirect à la décision de l'affaire portée devant lui (“).

(1) V. art. 368, C. proc., note précédente.

(3) Le juge supérieur ne peut plus évoquer aujourd'hui que dans le cas prévu par l'art. 473, C. proc. civ. V. ci-dessus, p. 29, note 1.

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« parties, ou si le juge est parent ou « allié de la femme de l'une des par« ties, au degré ci-dessus, lorsque la <«< femme est vivante, ou qu'étant dé« cédée, il en existe des enfants: si « elle est décédée et qu'il n'y ait point (3) La demande en renvoi pour « d'enfants, le beau-père, le gendre suspicion légitime, qui était accordée « ni les beaux-frères ne pourront être par l'ancienne ordonnance de 1737, juges;-La disposition relative à la doit encore être admise, malgré le si- « femme décédée s'appliquera à la lence du Code de procédure; il y a, « femme divorcée, s'il existe des endans ce cas, une sorte de nécessité pu- « fants du mariage dissous; - 3o Si blique qui fait une loi à la juridiction « le juge, sa femme, leurs ascendants supérieure de dessaisir, sur la demande des parties intéressées, la juridiction inférieure contre laquelle une juste suspicion s'élève. V. p. 30, note 2. (4) V. art. 378, C. proc.

« et descendants, ou alliés dans la « même ligne, ont un différend sur « pareille question que celle dont il

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s'agit entre les parties ;—4o S'ils ont << un procès en leur nom dans un triArt. 378: « Tout juge peut être ré- « bunal où l'une des parties sera juge; « cusé pour les causes ci-après ; << s'ils sont créanciers ou débiteurs « 1° S'il est parent ou allié des parties, « d'une des parties; 5° Si dans les << ou de l'une d'elles, jusqu'au degré « cinq ans qui ont précédé la récusa« de cousin issu de germain inclusi- « tion, il y a eu procès criminel entre << vement; 2o Si la femme du juge« eux et l'une des parties, ou son «<est parente ou alliée de l'une des « conjoint, ou ses parents ou alliés

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Par cette raison, l'ordonnance, tit. 24, art. 5, décide que le juge pourra être récusé, s'il a un différend avec quelque autre personne sur pareille question (1).

62. Observez que le juge, contre qui on proposerait cette cause de récusation, doit être reçu à sa déclaration (2), « s'il a effectivement un différend sur pareille question,» à moins que la partie qui le récuse n'en eût à la main la preuve par écrit. Ibid.

La raison d'intérêt fait aussi que, si le juge était associé (3) à l'une des parties tellement que le gain du procès pût tourner à son avantage, ou à sa perte, il serait récusable.

63. Par la même raison, s'il est créancier (4) de sommes considérables de l'une des parties, et que le procès soit si important, que de l'événement de ce procès dépende la conservation ou la perte de ses créances, le juge doit s'abstenir.

C'est peut-être aussi par cette raison que l'ordonnance défend aux juges de connaître des causes de ceux dont ils sont héritiers présomptifs (5); tit. 24, art. 10.

C'est pour cette raison qu'un juge ne peut pas connaître aussi des causes d'un chapitre, collége ou communauté dont il est membre (6), car il a un intérêt à cette cause, et un membre s'intéresse naturellement aux affaires de son corps. Ibid., art. 10.

64. Non-seulement l'intérêt pécuniaire que le juge peut avoir à la décision de la cause l'en doit faire abstenir, quelque autre espèce d'intérêt, soit d'honneur, soit d'affection doit le rendre récusable; c'est pour cela que l'ordon

« en ligne directe;-6° S'il y a procès « lui et l'une des parties; s'il y a eu, « civil entre le juge, sa femme, leurs « de sa part, agressions, injures ou << ascendants et descendants, ou al-« menaces, verbalement ou par écrit, << liés dans la même ligne, et l'une des « depuis l'instance, ou dans les six mois parties, et que ce procès, s'il a été « précédant la récusation proposée. » « intenté par la partie, l'ait été avant (1) V. même art. 378, no 4. « l'instance dans laquelle la récusation (2) Cette exception est abandonnée « est proposée; si, ce procès étant l'appréciation des juges. V. art. 389, terminé, il ne l'a été que dans les C. proc., p. 41, note 5.

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« six mois précédant la récusation ;-
7° Si le juge est tuteur, subrogé tu-

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à

(3) Le juge qui est associé à l'une des parties, est directement partie en

teur ou curateur, héritier présomp-cause.

(5) V. art. 378, C. proc., no 7, cidessus, p. 32, note 4. « Si le juge est « héritier présomptif de l'une des << parties. >>

tif, ou donataire, maître ou com- (*) « Si le juge, sa femme, leurs asmensal de l'une des parties; s'il est «cendants et descendants, on alliés administrateur de quelque établis-« dans la même ligne, sont créanciers sement, société ou direction, partie « ou débiteurs d'une des parties. » Art. dans la cause; si l'une des parties 378, C. proc., n° 4. est sa présomptive héritière ;-8° Si le juge a donné conseil, plaidé ou « écrit sur le différend; s'il en a pré<cédemment connu comme juge ou « comme arbitre; s'il a sollicité, re<< commandé ou fourni aux frais du procès; s'il a déposé comme témoin; si, depuis le commencement du procès, il a bu ou mangé avec l'une ou l'autre des parties dans leur maison, ou reçu d'elle des présents; -9° S'il y a inimitié capitale entre

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TOM. X.

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(6) V. même article, même numéro. « Si le juge est administrateur de quelque établissement, société ou « direction, partie dans la cause. » L'expression employée par l'ancienne ordonnance était plus générale, «chapitre, collége où communauté dont « il est membre. »

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nance, art. 6, décide qu'un juge peut être récusé, lorsqu'il a sollicité ou recommandé le droit de l'une des parties (1); car, par cette sollicitation, il a fait connaître qu'il n'était pas lui-même désintéressé, et qu'il avait un intérêt au moins d'affection à la décision de la cause.

Il est décidé par le même article que le juge peut être récusé lorsqu'il a donné conseil, ou connu du différend comme juge ou comme arbitre, ou lors qu'il a ouvert son avis (2); car, dans tous ces cas, il a un intérêt d'honneur, ou du moins d'affection, à ce que la cause soit décidée conformément à l'avis qu'il a donné, ou au jugement qu'il en a porté ; il n'est donc point juge désintéressé, et par conséquent il est récusable.

65. Les relations de parenté, amitié, et autres, que le juge a avec une des parties (3), pouvant intéresser le juge à ce que la cause soit décidée en faveur de la partie avec laquelle il a ces relations, elles doivent être des cause. de récusation.

C'est pourquoi 1o La parenté ou affinité est cause de récusation en matière civile jusqu'au quatrième degré de la ligne collatérale, selon la computation canonique, c'est-à-dire jusqu'aux enfants des cousins issus de germain inclusivement (4); tit. 24, art. 1.

2o Elle l'est en matière criminelle jusqu'au cinquième degré inclusivement, et si le juge est de même nom et armes que l'accusateur ou l'accusé, il sera récusable, en quelque degré de parenté où alliance que ce soit (5); titre 24, art. 2.

3o Le juge dont la femme est parente ou alliée de la partie, est récusable, comme s'il était lui-même parent; et vice versâ, le juge, parent ou allié de la femme de la partie, est récusable, comme s'il était parent de la partie même (*). Ibid., art. 4.

L'affinité et la récusation qui en est l'effet, s'éteint lorsque le mariage qui la formait est dissous, et qu'il ne reste aucun enfant de ce mariage (7), néanmoins un beau-père, un gendre, ou un beau-frère, sont récusables, même après la dissolution du mariage qui formait l'affinité, quoiqu'il n'en reste point d'enfant (3). Ibid.

4o Le juge n'en est pas moins récusable, quoiqu'il soit le parent ou l'allié commun des deux parties et au même degré (9). Ibid., art. 3.

La parenté spirituelle, telle qu'est celle qui se trouve entre un parrain et

(1) V. art. 378, C. proc., n° 8, cidessus, p. 32, note 4 : « Si le juge a « sollicité, recommandé ou fourni « aux frais du procès. »

|On sait qu'en matière criminelle, et relativement aux jurés, les récusations ne sont pas motivées; mais la question se présenterait si, après que le nom(*) V. même article, même numéro.bre des récusations non motivées « Si le juge a donné conseil, plaidé a été épuisé, le prévenu ou le mia ou écrit sur le différend; s'il en a nistère public alléguait, contre l'un « précédemment connu comme juge des douze jurés dont les noms seraient ⚫ ou comme arbitre. >> restés dans l'urne, l'une des causes péremptoires de récusation admises par l'art. 378, C. proc., précité.

(3) V. art. 378, C. proc., nos 1 et 2, ci-dessus, p. 32, note 4.

(4) Même disposition, V. art. 378, C. proc., no 1, ci-dessus, ibid.

Le Code d'instruction criminelle ne renferme aucune disposition sur la récusation des juges; en sorte qu'il

() V. art. 378, C. proc., no 2. (7) Même disposition, art. 378, C. proc., no 2.

(*) Même observation.

(9)« S'il est parent ou allié des par

faut se reporter aux règles posées à cet « lies ou de l'une d'elles » porte l'art. égard par le Code de procédure civile. (378, C. proc., no 1.

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