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pellerons seulement que les deux priviléges établis par les deux lois du 5 septembre 1807, l'un pour la garantie de la gestion des comptables, l'autre pour les frais de justice criminelle, quoique affectant, entre autres choses, la généralité des meubles du débiteur, ne viennent cependant qu'à la suite des priviléges spéciaux sur certains meubles, les lois précitées du 5 septembre 1807 leur ayant expressément donné rang non-seulement après les priviléges de l'art. 2101, mais encore après ceux de l'art. 2102 du Code Napoléon.

Pareillement, il n'y a pas de difficulté possible relativement aux priviléges sur les cautionnements des titulaires d'offices, le concours ayant été réglé nettement par la loi entre les deux seuls priviléges dont les cautionnements puissent être grevés (suprà, no 174).

Enfin, l'art. 2102, qui contient l'énumération des priviléges spéciaux établis par le Code Napoléon, prévoit lui-même trois hypothèses distinctes dans lesquelles il fait le classement des priviléges qu'il met en conflit. Ces trois hypothèses sont : 1° le conflit entre le bailleur d'un immeuble et le créancier pour prix de vente ou de réparation d'ustensiles; 2o le conflit entre le bailleur d'un immeuble et le vendeur de semences ou ceux qui ont travaillé à la récolte; et 3° le conflit entre le bailleur d'un immeuble et le vendeur des meubles garnissant la maison ou la ferme louée. Nous nous sommes expliqué sur les deux premières hypothèses dans le commentaire de l'art. 2102 (voy. nos 133 et suiv.); nous y renvoyons le lecteur. Quant à la dernière hypothèse, que nous avons réservée (voy. n° 144), nous ferons remarquer, avec le texte de ce même art. 2102, que « le privilége du vendeur d'effets mobiliers ne s'exerce qu'après celui du propriétaire de la maison ou de la ferme, à moins qu'il ne soit prouvé que le propriétaire avait connaissance que les meubles ou autres objets garnissant sa maison ou sa ferme n'appartenaient pas au locataire. » C'est ici une conséquence des principes généraux qui gouvernent la possession de bonne foi relativement aux meubles. La loi suppose que le propriétaire de l'immeuble a reçu les meubles de son locataire dans la croyance qu'ils étaient libres de toute charge, de toute affectation, et dans cette supposition elle donne la préférence à ce propriétaire sur le vendeur des meubles dont le locataire n'aurait pas payé le prix. C'était au vendeur de prendre ses sûretés, ce qu'il lui était beaucoup plus facile de faire qu'au propriétaire de s'assurer que les meubles, qui, au moment de leur introduction chez lui, allaient devenir son gage, étaient libres entre les mains de son locataire (1). Mais pourtant, si cette supposition est détruite par la preuve contraire, s'il est établi que le propriétaire a su, au moment où les meubles ont été transportés chez lui, qu'ils étaient grevés du privilege du vendeur (car c'est cela que l'art. 2102 veut dire), alors la situation change; le vendeur est préféré au propriétaire de l'immeuble; le privilége du vendeur l'emporte sur celui du locateur : telle est la disposition de la loi. Elle est suffisamment explicite, et nous n'avons pas

(1) Voy. Fenet (t. XV, p. 353 et suiv.); Locré (t. XVI, p. 242 et suiv.).

à insister, au point de vue du privilége, si ce n'est pour faire remarquer que le privilége du locateur serait primé par celui du vendeur seulement 'dans le cas où la preuve apportée en justice établirait que le bailleur a eu connaissance des droits du vendeur au moment même où les meubles ont été transportés dans les lieux loués. C'est à ce moment, en effet, que la convention a été consommée entre le locataire et le locateur; et si celui-ci a pu croire alors que tout le mobilier apporté était libre entre les mains de son locataire, il a acquis de bonne foi un droit de gage qui doit subsister définitivement en vertu des règles générales précédemment exposées (suprà, nos 119 et 122).

181. Mais l'art. 2102 du Code Napoléon, dans la disposition dont nous nous occupons ici, ne parle que du privilége du vendeur. De là est née la question de savoir si la bonne foi du bailleur, qui a pour effet d'exclure ce privilége, ou du moins de le faire passer après celui du bailleur, doit aussi mettre obstacle à l'exercice du droit de revendication dans le cas particulier où ce droit a été accordé par la loi (suprà, n° 155) au vendeur non payé. Dans l'ancienne jurisprudence, où, comme nous l'avons dit (voy. loc. cit., et aussi no 157), il était permis au vendeur de poursuivre sa chose en quelque lieu qu'elle fût transportée, la question paraît n'avoir pas fait de difficulté. « Si une personne, dit Pothier, vend des meubles à mon locataire, sans jour et sans terme, et que, dans l'espérance de recevoir son argent comptant, il les laisse enlever et porter en la maison que mon locataire tient de moi, pourrai-je prétendre qu'ils me sont obligés, et empêcher qu'il ne les revendique peu après, faute de payement? Je pense que non car le vendeur étant supposé avoir vendu sans terme et au comptant, et par conséquent n'avoir voulu se dessaisir de la chose qu'autant qu'on le payerait, on ne peut pas dire qu'il ait consenti à ce qu'elle fût obligée à mes loyers. » (1) Dans le droit actuel, la même solution a été reproduite aussi, bien que, sous l'influence de la maxime qu'en fait de meubles possession vaut titre (plus nette aujourd'hui qu'elle ne l'était autrefois), le droit de revendication attribué au vendeur ait été subordonné à la condition que la chose soit en possession de l'acheteur. La Cour de Paris a jugé, en effet, que la revendication accordée par l'art. 2102 du Code Napoléon au vendeur de meubles et d'objets mobiliers met obstacle, lorsqu'elle est reconnue régulière et bien fondée, à l'exercice du privilége du propriétaire de la maison dans laquelle les meubles ont été apportés pour la garnir (2); et cette même doctrine est admise par plusieurs auteurs (3). Nous la croyons cependant contraire aux principes du droit. Le locataire, en transportant les choses par lui achetées dans les lieux loués, a transmis au propriétaire de ces lieux une sorte de possession qui fait défaillir l'une des conditions auxquelles est subordonné le droit de revendication donné au

(1) Voy. Pothier (Du Louage, no 244).

(2) Paris, 24 juill. 1847 (J. Pal., 1847, t. II, p. 251).

(3) Voy. MM. Duranton (t. XIX, no 121); Ballot (Rev. de droit franç., t. V, p. 128); Mourlon (no 135).

vendeur d'effets mobiliers non payés. Et, d'un autre côté, ce propriétaire qui acquiert ainsi cette espèce de possession est fondé à placer son droit sous l'autorité de la maxime: «En fait de meubles possession vaut titre. » Cette maxime, nous l'avons vu plus haut (voy. no 119), protége le bailleur contre les tiers qui ont même la propriété des meubles transportés par le locataire dans les lieux loués, par exemple, contre ceux qui auraient remis ces meubles au locataire à titre de gage, de prêt, de location ou de dépôt; à plus forte raison elle doit le protéger contre le vendeur dont le droit est moins énergique, puisqu'il a pour objet non point la propriété (le vendeur l'ayant aliénée), mais une simple faculté de rétention (voy. suprà, no 155). Nous concluons donc qu'il en est du droit de revendication comme du privilége accordé au vendeur d'effets mobiliers non payés; que même dans ce bref délai de huitaine où elle est renfermée elle ne peut, pas plus que le privilége, être exercée au préjudice du bailleur, qui a reçu ces effets mobiliers de bonne foi et dans l'ignorance des charges ou des affectations dont ils étaient grevés (1).

182. Dans tous les autres cas où les priviléges spéciaux sur certains meubles peuvent se trouver en conflit, la loi garde un silence absolu : elle abandonne à la sagacité des juges l'application de la règle générale d'après laquelle, entre les créanciers privilégiés, la préférence se règle par les différentes qualités des priviléges. Ici les circonstances particulières peuvent exercer une influence décisive sur la question de classement. En thèse générale, cependant, la préférence est due aux priviléges dont la cause est dans un nantissement exprès ou tacite : ainsi au créancier gagiste, à l'aubergiste, au voiturier; il en serait de même des créances résultant d'abus et prévarications commis par les fonctionnaires publics dans l'exercice de leurs fonctions, puisqu'il est vrai de dire, par application de l'art. 2076 du Code Napoléon, que le cautionnement constitue un véritable gage déposé entre les mains d'un tiers; mais nous avons dit plus haut que le classement de ces dernières créances ne peut pas souffrir difficulté (voy. nos 174 et 180). Après les priviléges fondés sur la constitution d'un gage exprès ou tacite, viendront ceux des frais faits pour la conservation de la chose. Mais il y aura ceci à remarquer, que les frais de conservation ne devront venir après la créance fondée sur l'idée de gage exprès ou tacite qu'autant qu'ils n'auront pas été utiles à cette créance elle-même. Ainsi les frais de conservation ont-ils précédé la constitution du gage, ils seront primés: c'était à celui qui les a faits de les répéter; s'il a négligé de le faire, tant pis pour lui; sa négligence ne saurait retomber sur celui qui a reçu la chose en gage, et qui, l'ayant reçue de bonne foi, doit exercer sur elle son droit dans son intégrité. Mais supposons que les frais de conservation aient été faits postérieurement à la constitution du gage, alors il en est autrement : les frais, dans ce cas, ont été utiles au créancier gagiste lui-même, puisqu'ils ont conservé son gage, ils auront donc

(1) Conf. M. Valette (n° 113, p. 152).

le pas sur sa créance. Enfin, en troisième ligne viendra le privilége dont la cause est dans le droit de propriété, c'est-à-dire le privilége du vendeur sur lequel nous nous sommes suffisamment expliqué (1).

V. 183. Un dernier cas peut se présenter, qui est commun à toutes les hypothèses de concours : c'est celui où, parmi les priviléges qui sont en conflit, il s'en trouve plusieurs auxquels le même rang doit être assigné. L'art. 2097 nous dit que, dans ce cas, les créanciers privilégiés sont payés par concurrence. Mais que faut-il entendre par « le même rang » dans le sens de notre article? Anciennement, il n'y avait pas de règle bien précise à cet égard; et l'on voit, par exemple, que, d'après nombre d'auteurs, le privilége attaché aux frais de dernière maladie allait de pas égal avec celui des frais funéraires (2). Aujourd'hui cela ne pourrait plus être mis en question, en présence de l'art. 2101 qui assigne aux frais funéraires un rang de préférence par rapport aux frais de la dernière maladie. Mais on peut se demander toujours dans quels cas des créanciers venant à une distribution peuvent être considérés comme étant au même rang, et comme devant, à ce titre, être payés par concurrence; à quoi il faut répondre, en thèse générale, que la qualité de la créance déterminant le rang, des créanciers sont au même rang quand leurs créances sont de qualité égale, et cela encore que ces créances aient pris naissance à des dates différentes, puisque la date n'est d'aucune considération dans la matière des priviléges (voy. no 24), sauf l'exception relative à l'hypothèse de ventes successives (voy. suprà, n° 150). Ainsi, tous les marchands qui ont fait des fournitures de subsistances, tous ceux qui ont concouru à donner des soins au débiteur pendant la maladie qui a précédé sa mort ou sa faillite (suprà, no 76), tous les domestiques qui ont continué leur service auprès du débiteur, etc., sont de condition égale, dans la catégorie à laquelle ils appartiennent, à quelque époque que leur créance soit née; et ils doivent être payés par concurrence, dans cette catégorie, car ils sont sur le même rang (3). Nous en dirons autant des divers créanciers qui ont pu concourir par leurs avances aux frais funéraires (voy. no 73); et aussi, sauf le droit particulier que la loi consacre en faveur de l'officier qui a procédé à la vente de meubles (voy. no 70), des frais de justice. Voilà pourquoi nous regardons comme mal rendu un arrêt de la Cour de Paris, duquel il résulte que les frais de scellés doivent être colloqués

(1) Voy. sur le classement MM. Zachariæ (t. II, p. 121 et suiv.); Valette (no 116'; Troplong (n° 40 et suiv.).

(2) Voy. Charondas (art. 162 Cout. de Paris, et liv. 7 Rép., 86); Loyseau (Des Offices, liv. 3, ch. 8, no 50). Voy. cependant Pothier (Introd. à la Cout. d'Orléans, tit. 20, 9, no 118, et Proc. civ., part. 4, ch. 2, ¿ 2).

(3) Sur ce fondement repose la jurisprudence d'après laquelle les cessionnaires partiels d'une même créance privilégiée n'ont aucun droit de préférence entre eux à raison de la date ou de l'antériorité de leurs cessions; ils doivent être colloqués en concurrence et par contribution sur les deniers à distribuer, à moins qu'il n'ait été dérogé à cette règle par la convention des parties. Cass., 29 mai 1866 (J. Pal., 1866, p. 1063; S.-V., 66, 1, 393; Dall., 66, 1, 481). Voy. cependant Req., 20 nov. 1865 (J. Pal., 1866, p. 523; S.-V., 66, 1, 201; Dan., 66, 1, 161). Mais ces décisions ont trait plus particulièrement à une difficulté sur laquelle nous aurons à nous expliquer ultérieurement (infrà, no 239).

RE:

avant ceux de garde, et les frais de garde avant ceux d'inventaire (1). Évidemment, tous ceux qui ont fait ces frais ont concouru dans une mesure égale à un but commun, qui est la conservation de la chose; ils sont donc d'égale condition et doivent, suivant la disposition formelle de notre article, être payés par concurrence. La Cour de cassation s'est prononcée en ce sens (2).

SECTION II.

DES PRIVILEGES SUR LES IMMEUBLES.

2103. Les créanciers privilégiés sur les immeubles sont, 1o Le vendeur, sur l'immeuble vendu, pour le payement du prix; S'il y a plusieurs ventes successives dont le prix soit dù en tout ou en partie, le premier vendeur est préféré au second, le deuxième au troisième, et ainsi de suite;

2o Ceux qui ont fourni les deniers pour l'acquisition d'un immeuble, pourvu qu'il soit authentiquement constaté, par l'acte d'emprunt, que la somme était destinée à cet emploi, et, par la quittance du vendeur, que ce payement a été fait des deniers empruntés;

3o Les cohéritiers, sur les immeubles de la succession, pour la garantie des partages faits entre eux, et des soulte ou retour de lots;

4o Les architectes, entrepreneurs, maçons et autres ouvriers employés pour édifier, reconstruire ou réparer des bâtiments, canaux, ou autres ouvrages quelconques, pourvu néanmoins que, par un expert nommé d'office par le tribunal de première instance dans le ressort duquel les bâtiments sont situés, il ait été dressé préalablement un procès-verbal, à l'effet de constater l'état des lieux relativement aux ouvrages que le propriétaire déclarera avoir dessein de faire, et que les ouvrages aient été, dans les six mois au plus de leur perfection, reçus par un expert également nommé d'office;

Mais le montant du privilége ne peut excéder les valeurs constatées par le second procès-verbal, et il se réduit à la plus-value existante à l'époque de l'aliénation de l'immeuble et résultant des travaux qui y ont été faits;

5o Ceux qui ont prêté les deniers pour payer ou rembourser les ouvriers, jouissent du même privilége, pourvu que cet emploi soit authentiquement constaté par l'acte d'emprunt, et par la quittance des ouvriers, ainsi qu'il a été dit ci-dessus pour ceux qui ont prêté les deniers pour l'acquisition d'un immeuble.

(1) Voy. Paris, 27 mars 1824.

(2) Req., 8 déc. 1825. - Voy. aussi MM. Troplong (no 89 bis); Mourlon (no 39).

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