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sont des causes légitimes de préférence, il ne nous dit pas, et il ne faudrait pas dire que ce soient là les seules causes légitimes de préfé

rence.

IV. — 21. Il y faut ajouter d'abord le nantissement. Mais ici il y a à distinguer entre le nantissement des choses mobilières ou le gage, et le nantissement des choses immobilières ou l'antichrèse. Dans le gage, qui confère un droit sur la chose même (C. Nap., 2073), le droit du créancier gagiste est un privilége; la loi le qualifie ainsi expressément (art. 2073 et suiv.), et elle le classe même au rang des priviléges sur certains meubles (art. 2102, no 2) : le gage est donc virtuellement compris dans l'énumération de notre article (1). L'antichrèse, au contraire, qui n'est ni un privilége ni une hypothèque, et dont la loi parle même par opposition aux priviléges et hypothèques (art. 2091), n'est pas comprise dans cette énumération. Cependant l'antichrèse permet au créancier antichrésiste de se payer, au moyen des fruits de l'immeuble, par préférence à tous autres créanciers, et de retenir l'immeuble jusqu'à parfait payement, sans avoir à tenir compte des aliénations que son débiteur en aurait pu faire même de bonne foi. A ce titre, l'antichrèse doit être ajoutée aux causes légitimes de préférence indiquées par notre article. Et toutefois cela a été gravement contesté. M. Troplong, notamment, a soutenu, avec l'éclat qu'il met habituellement au développement de ses théories favorites, le caractère purement personnel du droit résultant de l'antichrèse. A ses yeux, la défense que la loi fait au débiteur de retirer l'immeuble des mains de l'antichrésiste jusqu'à l'entier acquittement de la dette créerait une obligation personnelle qui n'engagerait que le débiteur, et le droit corrélatif du créancier de retenir l'immeuble ne serait conséquemment qu'une exception personnelle, opposable seulement au débiteur qui a été partie au contrat, et nullement aux tiers de bonne foi, pas même à ceux qui ont traité avec le débiteur postérieurement à la constitution d'antichrèse (2). Mais cette doctrine n'a pas prévalu, et il est clair qu'elle ne devait pas prévaloir.

(1) Mais on ne saurait confondre, sous ce rapport, le dépôt avec le gage. C'est à quoi la Cour impériale de Paris n'avait pas pris garde en décidant, par arrêt du 16 janvier 1863, que lorsque des valeurs industrielles ont été déposées entre les mains du gérant d'une société qui en a illégalement disposé, le déposant peut, au cas de faillite de cette société, prétendre à l'attribution d'une somme dont la restitution est ordonnée contre un tiers qui l'avait indûment reçue à titre de payement, alors, d'ailleurs, que le payement ainsi fait à ce dernier l'avait été par le gérant avec des deniers provenant des valeurs déposées. La Cour suprême, en cassant l'arrêt, et après elle la Cour de Rouen, qui a statué sur le renvoi, ont décidé que la créance du déposant, au cas de violation du dépôt par le dépositaire, n'est pas privilégiée, et en conséquence que la restitution ordonnée était due à la faillite par le tiers qui avait reçu le payement. Cass., 23 août 1864; Rouen, 6 avr. 1865 (S.-V., 65, 1, 177; 66, 2, 122; J. Pal., 1865, p. 409; 1866, p. 485).

(2) Voy. M. Troplong (Du Nantissement, no 448 et suiv., 476 et suiv.). Voy. encore, dans le sens de cette doctrine, MM. Delvincourt (t. III, p. 212, édit. de 1819) et Martou (Comm. de la loi belge sur les hyp., t. I, n° 34 et 259), et les arrêts de Rennes, 24 août 1827; de Liége, 14 juill. 1821; de Bastia, 9 mai 1838, et de Paris, 24 juill. 1852 (J. Pal., 1838, t. II, p. 297; 1853, t. II, p. 292).

Sans nous arrêter ici aux détails qui appartiennent plus particulièrement au commentaire Du Nantissement et y trouvent plus convenablement leur place (1), nous pouvons dire que le nantissement, soit le gage, soit l'antichrèse, contrat par lequel, d'après une définition commune à l'un et à l'autre, le débiteur remet une chose à son créancier pour súrelé de la dette (art. 2071), ne serait rien, et en particulier n'aurait pas le caractère de sûreté qui lui est assigné par la loi elle-même, s'il n'était pas opposable aux tiers, au moins à ceux qui ont traité avec le débiteur après la formation du contrat, puisque celui-ci pourrait dès le lendemain faire disparaître la sûreté, en vendant ou en hypothéquant la chose donnée en nantissement. Aussi, non-seulement rien dans la loi ne justifie la théorie que nous indiquions tout à l'heure, mais encore bien des textes la contredisaient formellement avant que la loi nouvelle sur la transcription l'eût définitivement condamnée.

D'une part, en effet, l'art. 2091, dans lequel en particulier cette théorie cherche sa justification, ne saurait cependant la fournir; car cet article, en disant que l'antichrèse ne préjudicie point aux droits que les tiers pourraient avoir sur le fonds de l'immeuble, n'entend parler évidemment, comme cela résulte des articles qui le précèdent, que des droits acquis antérieurement à la constitution de l'antichrèse; et si cet article ajoute que, dans le cas où le créancier antichrésiste aurait sur le fonds des priviléges ou hypothèques légalement établis et conservés, il les exercera à son ordre comme tout autre créancier, il dit une chose fort raisonnable eu égard aux deux droits distincts, et différant essentiellement par leurs effets et leur objet, dont il suppose la coexistence entre les mains du même créancier, l'un de ces deux droits ne pouvant exclure l'autre ni le remplacer.

D'une autre part, notre doctrine, que l'art. 2091 ne détruit pas, s'affirme très-positivement, au contraire, d'abord, comme on l'a vu, par l'art. 2071, et, en outre, par l'art. 2072, qui, en plaçant le gage et l'antichrèse sous la dénomination commune de nantissement, rend commun aussi à l'antichrèse l'effet qui appartient incontestablement au gage, et qui est précisément d'affecter la chose même à la sûreté du créancier; ensuite, par l'art. 446 du Code de commerce: cet article déclare nuls et sans effet « toute hypothèque conventionnelle ou judiciaire, et tous droits d'antichrèse ou de nantissement constitués sur les biens du débiteur pour dettes antérieurement contractées », lorsque de tels actes auront été faits par le débiteur depuis l'époque déterminée par le tribunal comme étant celle de la cessation de ses payements, ou dans les dix jours qui auront précédé cette époque; et par là il suppose nécessairement que l'antichrèse constitue un droit réel affectant la chose même, et qu'à ce titre elle est opposable aux tiers, puisque sans cela il n'y aurait pas lieu d'en prononcer la nullité dans l'intérêt de la

masse.

(1) Voy. notre comment. des Petits Contrats (t. II, nos 1213 et saiv.).

Tout ceci était déjà bien décisif, ce nous semble; et en effet, la réalité de l'antichrèse, admise par la généralité des auteurs (1), avait été consacrée formellement par la Cour de cassation (2). Mais aujourd'hui ce point semble ne pouvoir même plus être mis en question, car la loi du 23 mars 1855 sur la transcription en matière hypothécaire classe l'acte constitutif d'antichrèse parmi les actes susceptibles d'être transcrits (art. 2, no 1). Or, si de telles conventions doivent être rendues publiques par la transcription, c'est évidemment que, loin de se restreindre entre le débiteur et le créancier, elles sont opposables aux tiers. La question est législativement résolue.

V. 22. De l'antichrèse au droit de rétention, la transition est toute naturelle; elle n'est que le passage du particulier au général; car l'antichrèse n'est qu'un cas particulier du droit de rétention. Nous généraliserons donc la proposition qui précède, et nous dirons qu'il faut ajouter aux sûretés, aux causes légitimes de préférence énumérées par l'art. 2094, le droit de rétention accordé par la loi aux créanciers dans certains cas qu'elle détermine (art. 570, 865, 1612, 1673, 1749, 1948, 2082, 2087, 2280). Par là le possesseur et même le simple détenteur d'une chose, actionné en revendication ou en restitution, est autorisé à retenir cette chose jusqu'au remboursement des dépenses qu'il a faites dans l'intérêt de la chose ou pour une cause connexe à sa détention (3). La réalité de ce droit est contestée comme la réalité de l'antichrèse (4). Mais elle se démontre ici, comme dans le cas d'antichrèse, par l'objet même du droit, puisqu'il est évident que si le droit était purement personnel et n'existait que du débiteur au créancier, il serait, au gré du premier, sans efficacité aucune pour le second. Nous insistons là-dessus, ainsi que sur la nature, l'objet et les effets de ce droit, dans le commentaire Du Nantissement (5).

CHAPITRE II.

DES PRIVILEGES.

2095. - Le privilége est un droit que la qualité de la créance donne à un créancier d'être préféré aux autres créanciers, même hypothécaires.

(1) Voy. MM. Duranton (t. VIII, no 560); Proudhon (De l'Usuf., no 90); Valette (Des Priv. et Hyp., no 7); Zachariæ ( 438, no 8); Charlemagne (Encycl. du droit, 1° Antichrèse, no 37); Mourlon (Comm. crit. et prat.. no 228).

(2) Voy. Cass., 31 mars 1851 (D. P., 51, 1. 65; J. Pal., 1851, t. II, p. 5; Dev., 51, 1,305). Voy. encore Caen, 12 fév. 1853 (J. Pal., 1853, t. II, p. 294).

(3) D'ailleurs, les questions qui s'élèvent relativement à des sûretés réelles, sur le point de savoir si le créancier a un privilége ou un droit de rétention, ne sont pas de la compétence du tribunal de commerce, alors même que l'obligation principale a le caractère commercial. Req., 13 mai 1861; Caen, 6 nov. 1860 (J. Pal., 1861, p. 657 et 661; S.-V., 61, 1, 865; 2, 551; Dall., 61, 1, 328).

(4) Voy. les auteurs cités suprà, no 21.

(5) Petits Contrats (t. II, n" 1287 et suiv.)

2

SOMMAIRE.

I.

23. La définition, incomplète d'ailleurs, de notre article, indique à la fois la nature et les effets du privilége.

III. 25. Effets du privilége.

II. 24. Nature du privilége. Il constitue un droit de préférence attaché au titre de la créance par la qualité de la dette, laquelle ne pourrait pas être rendue privilégiée par la convention. Exception en ce qui concerne le gage. Le Code diffère en ce point de la loi romaine, d'après laquelle le privilége ne donnait lieu qu'à l'action personnelle, et par suite était primé par l'hypothèque. — Aujourd'hui, l'hypothèque ne vient qu'après le privilége.

Développements.

IV. 26. En quelques cas, cependant, le créancier hypothécaire est préféré au créancier privilégié : exemples.

1. 23. La loi, par la définition qu'elle donne ici du privilége, indique à la fois (mais incomplétement, on le verra tout à l'heure) la nature et les effets de ce droit.

II. 24. Sous le premier rapport, il résulte de notre article que le privilége, indépendant de la convention, a son principe dans la qualité, c'est-à-dire dans la cause de la créance; puis, en ajoutant, dans les deux articles qui suivent, qu'entre privilégiés la préférence se règle par les différentes qualités des priviléges, et que ceux qui sont dans le même rang sont payés par concurrence, la loi montre que la préférence n'est pas déterminée, en général, par la priorité de temps; en sorte que, pris dans leur ensemble, ces textes consacrent la définition de la loi romaine, suivant laquelle : Privilegia non ex tempore æstimantur, sed ex causá; et si ejusdem tituli fuerunt, concurrunt, licet diversitates temporis in his fuerint (L. 32, D. De reb. auct. jud. possidendis). Toutefois, il y a ici un point à noter. Sans doute, comme le dit Domat, dont notre article confirme la doctrine, le privilége fait une affectation particulière, qui donne au créancier privilégié la chose pour gage, quoiqu'il n'y ait ni convention, ni condamnation qui marque expressément cette préférence, car elle est attachée au titre de la créance, par la nature de la dette et sans qu'on l'exprime (1). Il faut dire même, encore avec Domat, que si la dette n'était pas d'elle-même privilégiée, on ne pourrait la rendre telle par la convention; et c'est ici l'un des côtés par lesquels le privilege se distingue de l'hypothèque, qui, elle, peut être établie conventionnellement. La Cour de cassation décide justement, en ce sens, que tout privilége doit être restreint aux cas expressément spécifiés par les actes législatifs qui l'ont établi; d'où suit qu'un débiteur ne peut, par des conventions particulières, et hors des cas prévus pas la loi, créer en faveur de l'un de ses créanciers un privilége sur des sommes qui lui seraient dues par des tiers, tellement que ce créancier puisse, sans être saisi par un transport régulier et signifié, exercer sur les sommes qui lui ont été ainsi déléguées un droit de préférence vis-à-vis des autres créanciers (2).

(1) Voy. Domat (Lois civ., liv. III, t. I, sect. 5, no 30).

(2) Req., 12 déc. 1831, 3 août 1837 (S.-V., 32, 1, 275; 37, 1, 878; Dall., 33, 1, 33; 37, 1, 406; J. Pal., à leur date). Comp. Req., 12 août 1862 (Dall., 63, 1, 25; S.-V., 62, 1, 1028; J. Pal., 1863, p. 316).

Cependant, la définition de notre article ne convient pas à tous les priviléges dont les art. 2101 et suivants font l'énumération; et c'est en ceci d'abord que cette définition est incomplète. En effet, il n'a échappé à aucun auteur, et tous ont fait remarquer qu'en particulier le privilége résultant de la constitution expresse de gage (art. 2102, 2°) est indépendant de la qualité de la créance, et qu'à la différence de tous les autres, il a sa cause et son principe dans la convention des parties, lesquelles peuvent stipuler la constitution de gage à l'occasion de toutes les créances quelles qu'elles soient. C'est pour cela que Domat, fidèle à sa doctrine, ne met pas au nombre des priviléges la préférence qu'a le créancier sur les meubles qui lui ont été donnés en gage et qui sont en sa puissance; car, dit-il, cette préférence n'est pas fondée sur la qualité de la créance, mais sur la sûreté que le créancier a prise se saisissant du gage (1). Quelques auteurs font encore la distinction sous notre législation actuelle, et M. Persil, notamment, dit qu'en ce cas c'est moins comme privilégié qu'en vertu du droit de rétention que le créancier se fait payer par préférence aux autres (2). Mais il y a ici un texte précis qui place le gage parmi les priviléges; tout ce qu'on peut dire, c'est que ce privilége se distingue de tous les autres quant à la cause, et reste par là en dehors de la définition du privilége telle qu'elle est donnée par la loi.

III. 25. Sous le second rapport, on voit que la loi donne aux créanciers privilégiés un droit de préférence sur les autres créanciers, chirographaires ou hypothécaires, et même sur les créanciers qui ont aussi un privilége, mais dont la cause est moins favorable, le tout ab-` straction faite de la date des créances; et c'est encore un autre côté par lequel le privilége se distingue de l'hypothèque, relativement à laquelle la priorité de rang est déterminée par la priorité du temps. Mais ici encore quelques points sont à noter.

La loi actuelle diffère profondément du droit romain. Ce n'est pas que, dans le droit romain, le droit des privilégiés entre eux ait été réglé en raison de la date des créances; on a vu, au contraire, par le texte ci-dessus reproduit de la loi 32, ff. De reb. auct. jud. possid., que la priorité était déterminée par la qualité ou par la cause de la créance. Mais, sauf certains cas exceptionnels, comme celui où le prêteur de deniers pour payer un bien obtenait, par la convention, qu'à son privilége fût ajoutée la garantie spéciale d'une hypothèque (L. 7, au C. Qui pot in pign.), et quelques autres cas encore (L. 5 et 6, ff. Qui pot in pign.), le privilége, en droit romain, ne donnait lieu qu'à l'action personnelle; d'où suivait que les créanciers privilégiés primaient seulement les créanciers chirographaires; mais vis-à-vis des créanciers hypothécaires, qui, eux, avaient un droit réel, ils étaient à l'égal des créanciers chirographaires, même antérieurs; ils avaient sans doute. selon l'expression de Cujas, le privilegium causa, comme ceux-ci

(1) Domat (loc. cit., préambule de la sect. 5). (2) Persil (Rég. hyp., sur l'art. 2095, no 1).

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