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core aux créanciers chirographaires, les créanciers hypothécaires ou privilégiés sur les immeubles. Assurément de tels résultats ne sauraient être consacrés; la déchéance seule les écarte, et c'est avec toute raison que la doctrine et la jurisprudence s'y sont arrêtées (1). Quelques arrêts décident cependant que la déchéance ne doit être prononcée qu'autant que ceux qui repoussent l'exercice du privilége sur les immeubles prouvent que c'est par fraude, collusion ou négligence grave, que le créancier a omis de se faire colloquer sur le prix des meubles (2). Nous n'irions pas même jusque-là, et, renversant la proposition, nous dirions volontiers que celui dont le privilége affecte la généralité des meubles, et subsidiairement la généralité des immeubles du débiteur, sera déchu de son droit de préférence sur le prix des immeubles, à moins qu'il n'établisse que c'est sans sa faute qu'il n'a pas été colloqué sur le prix du mobilier.

245. Et toutefois, même dans le cas où la déchéance devra être prononcée, cette déchéance ne sera pas absolue, s'il arrive que le montant de la créance soit supérieur à la somme produite par la vente du mobilier du débiteur. Dans ce cas, le créancier, même négligent, qui aura omis de se présenter à la distribution du prix du mobilier, devra être admis et colloqué dans l'ordre ouvert sur le prix des immeubles. Mais dans quelle mesure et à quel rang? Il faut que le prix des immeubles donne au créancier tout ce que le prix du mobilier ne lui a pas donné; et quant au rang, il est fixé par l'art. 2105, qui, prévoyant l'hypothèse où, à défaut de mobilier, les créanciers de l'article 2101 se présentent pour être payés sur le prix d'un immeuble en concurrence avec les créanciers privilégiés sur l'immeuble, déclare expressément que la préférence est due aux premiers. D'après cela, le créancier de l'art. 2101, dans notre espèce, sera colloqué au premier rang, dans l'ordre ouvert sur le prix des immeubles, pour la somme formant la différence entre le produit de la vente des meubles, déduction faite des frais, et le montant de sa créance. Par exemple, un avoué distractionnaire ou tout autre créancier de l'art. 2101 avait une créance de 3 000 francs sur un débiteur dont le mobilier a été saisi et vendu. Ce mobilier a produit, tous frais payés, une somme de 2 000 fr. qui a été distribuée entre les chirographaires, faute par le créancier de l'art. 2101 d'avoir opposé son privilége. Celui-ci, s'il se présente à l'ordre ouvert plus tard sur le prix des immeubles de son débiteur, y devra être admis et colloqué au premier rang, mais seulement pour les 1000 francs formant la différence entre le montant de sa créance et ce qu'il pouvait recevoir et n'a pas reçu par sa faute sur le prix du mobilier.

(1) Voy. Req., 22 août 1836; Lyon, 14 déc. 1832; Limoges, 9 juin 1842 (S.-V., 33, 2, 169; 36, 1, 625; 43, 2, 10). Voy. encore Grenier (t. I, no 371); Delvincourt (t. III, p. 271, notes); MM. Persil (art. 2104, no 3); Dalloz (loc. cit., no 21); Zachariæ (t. II, p. 116); Taulier (t. VII, p. 186); Duranton (t. XIX, no 200); Troplong (no 251 bis); Mourlon (no 185).

(2) Voy. notamment l'arrêt de Limoges du 9 juin 1842, cité à la note précédente.

Selon M. Persil, le créancier ne devrait venir, même pour ces 1000 francs, qu'après les créanciers, privilégiés ou hypothécaires, inscrits sur les immeubles, et il ne devrait être payé qu'autant que, ces derniers créanciers complétement désintéressés, il resterait quelque chose du prix des immeubles (1). Ce n'est pas assez. Ces 1 000 francs, dans notre espèce, constituent une créance amoindrie quant au chiffre, mais qui ne perd rien des prérogatives et des sûretés qui lui sont propres. Elle doit donc avoir le pas non-seulement sur celle des chirographaires, mais encore sur celle des créanciers qui n'ont qu'une hypothèque ou un privilége spécial sur les immeubles, puisque la loi, quand elle la suppose en concours avec cette dernière, lui donne expressément le premier rang. Toute autre collocation serait donc arbitraire, car elle n'aurait aucune base dans la loi. Au contraire, la collocation en premier ordre se justifie par l'autorité du texte, sans que, du moins à ce point de vue du texte, les créanciers, hypothécaires ou privilégiés, inscrits sur les immeubles, y puissent contredire. En effet, ils trouvent dans leur gage la sûreté même sur laquelle ils avaient droit de compter, la collocation étant réduite à des termes tels qu'elle n'enlève à leur gage rien de plus que ce qu'il eût dû perdre nécessairement à leur égard si le créancier qui les prime n'eût pas négligé de se présenter à la distribution du prix du mobilier. Toutefois, si la doctrine de M. Persil n'est pas celle que la loi consacre, elle est au moins celle que la loi aurait dû consacrer. Et ceci nous amène au classement des priviléges généraux, dont nous nous occupons ici, lorsqu'ils se trouvent en concours avec les priviléges spéciaux sur certains meubles.

III.246. Prenant en considération la faveur exceptionnelle des créanciers de l'art. 2101, que des raisons d'ordre public ou des sentiments de justice et d'humanité font placer au premier rang des créanciers privilégiés, et envisageant d'un autre côté que, du moins en général, il s'agit de créances de peu d'importance, le législateur veut que le recouvrement soit assuré autant que possible. En conséquence, il admet le créancier à exercer son droit sur les immeubles de son débiteur, si le mobilier est insuffisant pour le satisfaire, et cela même par préference aux créanciers qui ont sur ces immeubles un privilége spécial. Sous ce dernier rapport, il y a une différence notable entre les priviléges énoncés en l'art. 2101 et ceux qui sont établis par des lois spéciales en faveur du Trésor public, soit pour le recouvrement des frais de justice en matière criminelle, correctionnelle et de police, soit pour le recouvrement des débets des comptables (voy. suprà, no 241). Ces priviléges, quoiqu'ils affectent à la fois des meubles et des immeubles, quoique l'un d'eux, le premier, affecte même, comme ceux énumérés en l'art. 2101, tous les immeubles en même temps que tous les meubles, ne jouissent pas cependant de la même faveur que ceux de

(1) Voy. M. Persil (Quest., t. I, liv. 1, ch. 2, 81, p. 20 et suiv.). loz (loc. cit., no 21).

T. X.

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Conf. M. Dal

l'art. 2101, puisque, en définitive, ils ne viennent, d'après les lois spéciales qui les établissent, qu'après les priviléges de l'art. 2103, c'est-à-dire après les priviléges sur certains immeubles (voy. no 232). Ceci est d'une justice parfaite : la protection due au Trésor en vue de la rentrée des deniers publics ne doit pas être établie au préjudice de créanciers dont le gage spécial et unique est la chose qu'ils ont mise eux-mêmes dans le patrimoine de leur débiteur.

Il n'en aurait pas dû être autrement, d'ailleurs, même en ce qui concerne les priviléges de l'art. 2101. Quelque favorable que soit la cause des créances énumérées dans cet article, le législateur, il faut le dire, a dépassé la juste mesure, sinon en leur donnant subsidiairement un privilége sur les immeubles, au moins en posant en principe que ce privilége primerait, même sur ces immeubles, celui des créanciers spéciaux. A tout prendre, cette préférence s'explique pour les frais de justice, en ce que ces frais peuvent profiter à tous, aux créanciers spéciaux comme aux autres la préférence se justifie ici, d'autant plus qu'en définitive le privilége attaché aux frais de justice n'est pas général d'une manière absolue, et ne peut, comme nous l'avons expliqué plus haut (voy. no 68), être opposé qu'à ceux des créanciers dans l'intérêt desquels la dépense a été faite. Mais cette préférence constitue une faveur exagérée quant aux autres priviléges de l'art. 2101; il n'est pas juste, en effet, que les créanciers dont le gage spécial et unique est dans l'immeuble de leur débiteur soient exposés à perdre une partie de leur créance, parce que ce débiteur a d'autres dettes, alors que ces autres dettes sont garanties déjà par un privilége qui affecte le mobilier dans sa généralité. Cela ne s'explique non plus par aucun motif plausible. C'est ce qu'exprimait la Faculté de Caen, dans ses observations sur le projet de réforme hypothécaire préparé en 1840, lorsqu'elle disait : « Pourquoi, par exemple, le vendeur perdrait-il une partie de son prix parce que son acheteur a des domestiques auxquels il est dû des gages? Pourquoi le copartageant, forcé peut-être par le sort de se contenter d'une soulte, subirait-il une réduction au profit des fournisseurs de son copartageant? Certes, ce serait assez favoriser les créances mentionnées en l'art. 2101 que de les colloquer avant les créances chirographaires, non-seulement sur les meubles, mais encore sur le prix des immeubles, quand il n'est pas absorbé par des priviléges ou des hypothèques. » (1) Et la Faculté de Caen, formulant la disposition qui aurait fait droit à sa juste critique, proposait de dire : « Lorsque la valeur des immeubles n'a pas

(1) Voy. les Documents publiés en 1844 (t. III, p. 94). Ces motifs mêmes, donnés par la Faculté de Caen, ont été reproduits en Belgique, lors de la discussion de la loi du 16 décembre 1851, qui y a modifié le régime hypothécaire. Et le législateur belge, adoptant la proposition de la Faculté de Caen, a supprimé l'art. 2105 et l'a remplacé en ajoutant à l'art. 2101 un paragraphe aux termes duquel, « lorsque la valeur des immeubles n'a pas été absorbée par les créances privilégiées ou hypothécaires, la portion du prix qui reste due est affectée de préférence au payement des créances énumérées au présent article. » Voy. le Comment. législ. de M. Delebecque (p. 88, 89 et 93).

été absorbée par les créances privilégiées ou hypothécaires, la partie du prix qui reste due est distribuée comme valeur mobilière et affectée, par préférence, au payement des créances énoncées en l'art. 2101. » Dans ces termes, la protection due aux créanciers de l'art. 2101 serait suffisante; dans les termes de l'art. 2105, elle est exagérée.

247. Et précisément parce qu'elle est exagérée, elle doit être entendue de manière à ne pas gêner dans leur exercice les droits qui appartiennent, indépendamment de leur privilége, aux créanciers dont elle amoindrit et diminue la sûreté. A ce point de vue, la situation du vendeur diffère de celle du prêteur de deniers, du copartageant, des ouvriers. Ceux-ci n'ont aucun moyen de se défendre des chances de perte qui résultent du droit de préférence accordé aux créanciers de l'art. 2101, même sur l'immeuble ou sur la portion d'immeuble que leur privilége affecte spécialement. Le vendeur, au contraire, en peut avoir de décisifs. Il a l'action résolutoire résultant de l'art. 1654, à l'exercice de laquelle ne saurait faire obstacle le privilége de l'art. 2101, même à la faveur du droit que l'art. 2105 donne à ce privilége d'être préféré, puisque ce dernier article règle limitativement la concurrence ou le conflit entre deux priviléges et ne détruit pas, par conséquent, le droit supérieur qu'a le vendeur de faire résoudre le contrat dont l'acquéreur n'exécute pas la partie à sa charge.

Il aurait aussi, nous le croyons, un autre moyen s'il avait vendu sans délai pour le payement: il pourrait exercer le droit de rétention que l'art. 1612 accorde, dans ce cas, au vendeur non payé. C'est là, nous l'avons indiqué plus haut (voy. no 22), un droit réel; ce n'est pas un droit purement personnel qui n'aurait d'existence que du débiteur au créancier. Le vendeur pourra donc l'opposer aux créanciers dont le privilége général affecte les immeubles de leur débiteur; et la règle de préférence posée dans l'art. 2105 n'y fera pas obstacle, parce que, ici encore, le conflit s'élève, non point entre deux priviléges (seule hypothèse que règle l'art. 2105), mais entre un privilége et un droit supérieur, le droit naturel de retenir la chose qu'on a vendue jusqu'à ce que l'acquéreur en ait payé le prix.

SECTION IV.

COMMENT SE CONSERVENT LES PRIVILÉGES.

SOMMAIRE.

248. Division.

248. Nous touchons ici à l'un des points les plus graves de notre matière, à celui dans lequel le législateur, tout en se préoccupant toujours de la faveur qui est due à la nature des priviléges, tout en laissant aux créanciers qui en sont investis les avantages auxquels leur donne droit la qualité de leur créance, songe cependant à l'intérêt des tiers, et avise au moyen de leur éviter l'erreur et le dommage qui pourraient provenir de l'ignorance où ils seraient sur l'existence du privilége. Ce moyen, c'est la publicité. Dans quelle mesure cette pu

blicité est-elle établie? Quelles sont les règles qui la dominent? les voies et moyens par lesquels elle se produit? les applications qu'elle comporte? les exceptions qu'elle admet? Notre Code répond à tout cela dans une série d'articles qui va du no 2106 au no 2113, sauf toutefois l'art. 2112 qu'il en faut retrancher, et sur lequel nous venons de nous expliquer (voy. n° 236 et suiv.). C'est à l'examen de ces points importants et difficiles que nous devons nous livrer maintenant; et, autant pour éviter des répétitions que pour mettre plus de méthode et de clarté dans une matière que des controverses sans nombre et des variations fréquentes et notables dans la législation ont compliquée et troublée, il nous a paru nécessaire de ne pas rompre la série des dispositions écrites dans notre Code. Nous réunissons donc les sept articles dont la présente section se compose, non compris l'art. 2112, que nous avons déjà commenté.

2106. Entre les créanciers, les priviléges ne produisent d'effet à l'égard des immeubles qu'autant qu'ils sont rendus publics par inscription sur les registres du conservateur des hypothèques, de la manière déterminée par la loi, et à compter de la date de cette inscription, sous les seules exceptions qui suivent.

2107. Sont exceptées de la formalité de l'inscription les créances énoncées en l'article 2101.

2108. Le vendeur privilégié conserve son privilége par la transcription du titre qui a transféré la propriété à l'acquéreur, et qui constate que la totalité ou partie du prix lui est due; à l'effet de quoi la transcription du contrat faite par l'acquéreur vaudra inscription pour le vendeur et pour le prêteur qui lui aura fourni les deniers payés, et qui sera subrogé aux droits du vendeur par le même contrat sera néanmoins le conservateur des hypothèques tenu, sous peine de tous dommages et intérêts envers les tiers, de faire d'office l'inscription sur son registre, des créances résultant de l'acte translatif de propriété, tant en faveur du vendeur qu'en faveur des prèteurs, qui pourront aussi faire faire, si elle ne l'a été, la transcription du contrat de vente, à l'effet d'acquérir l'inscription de ce qui leur est dû sur le prix.

2109. Le cohéritier ou copartageant conserve son privilége sur les biens de chaque lot ou sur le bien licité, pour les soulte et retour de lots, ou pour le prix de la licitation, par l'inscription faite à sa diligence, dans soixante jours, à dater de l'acte de partage ou de l'adjudication par licitation; durant lequel temps aucune hypothèque ne peut avoir lieu sur le bien chargé de soulte ou adjugé par licitation, au préjudice du créancier de la soulte ou du prix.

2110. Les architectes, entrepreneurs, maçons et autres ouvriers employés pour édifier, reconstruire ou réparer des bâtiments, canaux ou autres ouvrages, et ceux qui ont, pour les payer et rembourser,

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