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l'inscription dans les deux mois, à dater du jour du jugement de condamnation, passé lequel délai les droits du Trésor public ne peuvent s'exercer qu'en conformité de l'art. 2113 du Code civil. » C'est ce qu'exprime ensuite l'art. 5 de l'autre loi, aux termes duquel « le privilége du Trésor public mentionné en l'art. 4 ci-dessus (le privilége sur certains immeubles des comptables) a lieu conformément aux art. 2104 et 2113 du Code civil, à la charge d'une inscription qui doit être faite dans les deux mois de l'enregistrement de l'acte translatif de propriété. » Prise dans ce délai, à quelque époque que ce soit, l'inscription fera remonter le privilége à la date même où il a pris naissance: c'est en cela précisément que consiste l'exception; mais, prise après l'expiration des délais, l'inscription conserverait au Trésor une hypothèque qui prendrait rang seulement à la date du jour où elle aurait été inscrite. Nous disons une hypothèque et non plus un privilége, parce que dans ce cas, en effet, il ne s'agit plus d'une créance privilégiée, mais d'une créance hypothécaire par application de l'art. 2113.

304. Si le débiteur (le condamné ou le comptable) venait à vendre, au cours des deux mois, l'immeuble grevé du privilége du Trésor, et s'il y avait transcription du contrat par l'acquéreur, il était admis, sous l'empire de l'art. 834 du Code de procédure, que le Trésor devait faire inscrire son privilége dans la quinzaine de la transcription (1). Mais cet article est abrogé aujourd'hui. Nous verrons au commentaire de l'art. 2166 du Code Napoléon quelle est, au point de vue du droit de suite, la conséquence de l'abrogation (infrà, nos 1120 et suiv.).

305. Indépendamment des priviléges dont nous venons de parler, il en est un autre qui est établi sur certains immeubles des comptables par la loi des 6-22 août 1791 en faveur de la douane (voy. n° 30). Mais, à la différence des deux lois du 5 septembre 1807, celle de 1791 ne dit rien en ce qui concerne le mode de conservation du privilége. Il n'y a donc pas ici d'exception à constater. L'art. 2106 est seul applicable; le privilége doit être inscrit au moment où il prend naissance, et il n'a de rang qu'à la date de l'inscription (2).

306. Un autre privilége spécial sort, comme le précédent, de la classe des exceptions, et reçoit l'application du principe de la publicité dans les mêmes termes et suivant la même forme que celui du vendeur: c'est le privilége des concessionnaires des marais desséchés (voy. n° 58). Aux termes de l'art. 23 de la loi du 16 septembre 1807, ces concessionnaires « doivent, pour conserver leur privilége, faire transcrire l'acte de concession ou l'ordonnance qui a permis le desséchement au compte de l'État, dans le bureau ou dans les bureaux des hypothèques de l'arrondissement ou des arrondissements de la situation des marais desséchés. »

306 bis. Enfin, il nous reste à parler du privilége portant sur les

(1) Voy. Grenier (t. II, no 415); MM. Dalloz (loc. cit., art. 5, no 2); Troplong (no 92). -Voy. aussi Cass., 8 mai 1811.- Voy. cependant Colmar, 21 juill. 1813. (2) Voy., en sens contraire, M. Taulier (t. VII, p. 223).

terrains drainés et sur leurs récoltes ou revenus, lequel, comme nous l'avons indiqué plus haut (no 58 bis), a été créé ou organisé par la loi du 17 juillet 1856. De même que le précédent, celui-ci sort de la classe des exceptions, et la conservation en est subordonnée à la publicité qui doit lui être donnée en la même forme, sauf quelques simplifications, que celle qui est établie, par les art. 2103, § 4, et 2110, pour le privilége des architectes, entrepreneurs, maçons et autres ouvriers. Aux termes des art. 6 et suivants de la loi précitée, deux formalités sont nécessaires: 1° le privilége, pour le Trésor public, les syndicats, les prêteurs et les entrepreneurs, n'est acquis que sous la condition d'avoir préalablement fait dresser un procès-verbal, à l'effet de constater l'état de chacun des terrains à drainer, relativement aux travaux de drainage projetés, d'en déterminer le périmètre et d'en estimer la valeur actuelle d'après les produits (art. 6, § 1); 2o le privilége est conservé par une inscription prise dans les deux mois de l'acte de prêt ou de l'arrêté qui a constitué le syndicat, pour le Trésor public, les prêteurs et les syndicats; du procès-verbal ci-dessus, pour les entrepreneurs (art. 7, § 1).

Ainsi un seul procès-verbal est exigé, en quoi la loi de 1856 diffère de l'art. 2103 d'après lequel deux procès-verbaux sont nécessaires, l'un avant, l'autre après les travaux. Il a paru, a dit l'orateur du gouvernement, que le second procès-verbal gênerait l'opération, la rendrait plus coûteuse, et serait, d'ailleurs, absolument inutile, en ce qu'il n'éviterait pas un troisième examen des lieux et un troisième procès-verbal, si, au moment de l'aliénation, la plus-value était contestée. Toutefois, dans un cas spécial, mais unique, le second procès-verbal est nécessaire c'est le cas où l'entrepreneur a exécuté des travaux pour des propriétaires non constitués en syndicat. Une fraude étant possible, en ce cas, au détriment des tiers, les entrepreneurs doivent de plus, alors, faire vérifier la valeur de leurs travaux dans les deux mois de leur exécution, par un expert désigné par le juge de paix ; et le montant du privilége ne peut pas excéder la valeur constatée par ce second procèsverbal (art. 6, § 4).

De même, quant à l'inscription, au lieu d'être double, dans les termes de l'art. 2110 du Code Napoléon, relatif au privilége des architectes, entrepreneurs, maçons et autres ouvriers, elle est simple: elle doit contenir, dans tous les cas, un extrait sommaire du procès-verbal prescrit par le premier paragraplie de l'art. 6, et, lorsqu'il y a lieu à vérification des travaux en exécution du quatrième paragraphe, elle doit porter, en marge, mention du procès-verbal de cette vérification (art. 7, §§ 2 et 3).

Lorsque l'acte de prêt est consenti au profit d'un syndicat, l'inscription est prise d'après la répartition provisoire que l'acte de prêt a dû faire entre les immeubles compris dans le périmètre du syndicat, proportionnellement à la part que chacun de ces immeubles doit supporter dans la dépense. De même, pour les avances d'un syndicat, l'inscription est prise d'après une répartition provisoire faite, comme il

vient d'être dit, par les soins du syndicat. Et si la répartition provisoire est rectifiée ultérieurement par l'effet des recours ouverts aux propriétaires en vertu de l'art. 4 de la loi du 14 floréal an 11, il doit être fait mention de cette rectification, en marge des inscriptions, à la diligence du syndicat, dans les deux mois de la date où la répartition nouvelle est devenue définitive; le privilége s'exerce conformément à cette dernière répartition (art. 8).

X. 307. Sanction établie par l'art. 2113. - Après ce que nous avons dit en nous occupant successivement des diverses créances privilégiées sur les immeubles, nous aurons peu de chose à ajouter sur cet art. 2113, qui termine le chapitre relatif aux priviléges.

Nous l'avons indiqué déjà (suprà, no 246), il y a ici une sorte de sanction par laquelle le législateur, préoccupé de l'intérêt des tiers, veut assurer l'accomplissement des conditions de publicité, qui sont la sauvegarde de ces tiers: la loi, sans sacrifier complétement le créancier, dont, après tout, le droit est essentiellement favorable, le tient cependant sous la menace d'une déchéance, sinon absolue, au moins relative, et l'incite par là à se montrer diligent. Quelle est done cette sanction? et en quoi consiste-t-elle? Notre article nous le dit clairement en ces termes : « Toutes créances privilégiées soumises à la formalité de l'inscription, à l'égard desquelles les conditions ci-dessus prescrites pour conserver le privilége n'ont pas été accomplies, ne cessent pas néanmoins d'être hypothécaires, mais l'hypothèque ne date, à l'égard des tiers, que de l'époque des inscriptions qui auront dù être faites ainsi qu'il sera ci-après expliqué. » Ainsi, dans le système de la loi, toute créance privilégiée sur les immeubles porte en elle-même deux éléments (1) : l'un qui tient à la cause, à la nature même de la créance, c'est le privilége personnel; l'autre qui est un droit réel résultant de l'hypothèque tacite attachée à cette même créance. Maintenant, que les conditions à l'accomplissement desquelles la loi subordonne le privilége soient omises, le privilége disparaît et s'efface, l'hypothèque seule reste, et le créancier, qui a perdu le bénéfice d'un droit exceptionnellement favorable, n'a plus à invoquer que la loi commune d'après laquelle l'hypothèque n'a de rang qu'à la date de son inscription. Telle est la théorie de la loi. En se reportant aux observations ci-dessus présentées sur chaque privilége, le lecteur verra que nous avons indiqué déjà les applications dont cette théorie est susceptible. Nous nous bornerons donc ici à les résumer en quelques mots.

308. D'après le texte même, la règle est applicable seulement aux créances privilégiées, soumises à la formalité de l'inscription. Cela est évident de soi-même. Comment concevoir, en effet, que le défaut d'inscription puisse faire descendre dans la classe des hypothèques un privilége qui se maintient et se conserve par sa seule force, et indépendamment de toute inscription? Mais il n'y a qu'un seul ordre de créan

(1) Voy. M. Troplong (n° 27).

ciers privilégiés auxquels cette réserve profite: ce sont les créanciers privilégiés de l'art. 2101. D'après l'art. 2107, ces créanciers sont dispensés de la formalité de l'inscription (voy. suprà, no 287). Leur privilége ne peut donc recevoir l'application de l'art. 2113 et dégénérer en hypothèque. Nulle autre exception n'est possible.

Ainsi, les priviléges du Trésor public, bien qu'ils aient ceci de commun avec les précédents, qu'ils affectent principalement les meubles du débiteur, cessent d'être des priviléges, si l'inscription n'en est pas faite dans les deux mois accordés au Trésor : cela est formulé dans les lois spéciales qui ont constitué le privilége, puisqu'elles renvoient formellement à l'art. 2113 du Code Napoléon (no 303).

De même, l'inscription des créanciers ou légataires qui peuvent demander la séparation des patrimoines perd son effet rétroactif et n'agit plus qu'à sa date même, si elle n'est pas faite dans les six mois à partir de l'ouverture de la succession (voy. no 297).

Pareillement, le privilége des cohéritiers ou des copartageants dégénère en hypothèque et tombe sous l'application de la règle Qui prior est tempore, potior est jure, lorsque l'inscription n'intervient qu'après l'expiration de soixante jours à dater de l'acte de partage ou de l'adju dication par licitation (voy. no 296).

Enfin, il en est de même du privilége des ouvriers et de celui du vendeur. Mais il n'en est ainsi que dans le système par nous développé sur ces deux priviléges. Car, dans le système que nous avons combattu, l'art. 2113 ne s'appliquerait nullement au privilége du vendeur, et il ne s'appliquerait à celui des ouvriers que vis-à-vis des tiers ayant acquis des droits sur l'immeuble du propriétaire après l'achèvement des travaux, puisque ce système consiste précisément à prétendre que, soit le vendeur absolument, soit l'ouvrier vis-à-vis des créanciers inscrits avant le commencement des travaux, conservent à leur droit le caractère de privilége, en s'inscrivant quand ils le jugent convenable, pourvu que ce soit avant l'instant où la propriété est purgée. Nous avons combattu cette doctrine et nous n'y revenons pas; nous rappelons seulement qu'elle fournit un argument de plus contre le système, en ce qu'elle limite arbitrairement la portée d'un texte dont l'économie même annonce qu'à l'exception des seuls priviléges non soumis à la formalité de l'inscription, il les régit tous (voy. p. 241). Il faut reconnaître néanmoins que l'article s'appliquera rarement au privilége du vendeur, en ce que ce privilége se conserve, non point par une inscription (on sait que l'inscription prise d'office par le conservateur est de pure forme, voy. n° 268), mais par la transcription, qui fait connaître l'existence du privilége, en même temps qu'elle révèle et consomme la mutation de propriété à l'égard des tiers. Mais ce n'est pas à dire que la déchéance ne puisse pas atteindre le privilége du vendeur; comme tous les autres, sauf ceux de l'art. 2101, ce privilége est soumis à l'article 2113, et on a vu qu'il en reçoit l'application dans tous les cas où la transcription ne fait pas connaître aux tiers tout ce que les tiers ont

intérêt à savoir pour n'être pas trompés (1). (Voy. suprà, no 265, 267.) XI. 309. APPENDICE. · Des conséquences de la loi du 23 mars 1855 au point de vue du droit de préférence. Dans tout ce qui précède, nous avons supposé, en général, que l'immeuble sur lequel des créanciers ont acquis privilége est entre les mains du débiteur. Supposons maintenant que le débiteur dispose de cet immeuble, qu'il le fasse sortir de son patrimoine en le transmettant à un tiers; et voyons quelles sont, au point de vue de la conservation des priviléges, les modifications résultant de cette nouvelle situation.

Il y a eu, sur ce point, des variations notables dans la législation. Ce n'est ni le cas ni le lieu de développer ici tout ce qui tient à ces variations, car elles se rattachent principalement à ce droit de suite que nous avons signalé, sinon comme le droit essentiel résultant du privilége sur les immeubles, au moins comme l'une de ses conditions d'efficacité (voy. no 251), et, à ce titre, les développements trouveront plus naturellement leur place dans le commentaire de l'art. 2166; mais il faut au moins indiquer ici ces variations et les principes qui se sont établis successivement à chaque phase de la législation, parce que, bien que le droit de suite y soit principalement intéressé, le droit de préférence en reçoit parfois et à certains égards l'influence.

310. Notons d'abord l'état de choses créé par le Code Napoléon. Dans cette période de la législation, et quand on était encore très-voisin de l'époque où avait cessé d'être en vigueur cette loi de brumaire dont les rédacteurs du Code avaient eu, selon nous, la pensée évidente de reprendre et de raviver les dispositions (suprà, no 253), une controverse des plus vives s'éleva à l'occasion de l'art. 2166, dans lequel il est dit que « les créanciers ayant privilége ou hypothèque inscrite sur un immeuble, les suivent en quelques mains qu'il passe, pour être colloqués ou payés suivant l'ordre de leurs créances ou inscriptions. » La difficulté consistait à déterminer le moment précis jusques auquel pouvaient être faites ces inscriptions dont le tiers détenteur devait tenir compte, à peine de payer une seconde fois ou de délaisser. Pour ceux qui étaient imbus des principes que la loi de brumaire avait consacrés, ils n'hésitaient pas à soutenir que les hypothèques consenties avant la vente pouvaient être inscrites jusqu'à la transcription; que le Code avait reproduit, sous ce rapport, la pensée de la loi de brumaire, comme cela résultait, entre autres dispositions, de l'art. 2198, qui, en laissant affranchi entre les mains du nouveau possesseur l'immeuble à l'égard duquel une ou plusieurs charges inscrites auraient été omises dans les certificats du conservateur pourvu que ce nouveau possesseur eût requis le certificat depuis la transcription de son titre, ne permettait de concevoir aucun doute sur la validité des inscriptions prises jusqu'à la transcription. Telle était aussi la pensée du directeur général de la régie de l'enregistrement, qui, beaucoup moins dans l'intérêt des créanciers, nous en convenons, que dans l'intérêt du fisc, prescrivait aux conser

(1) Voy. 12 juill. 1855 (J. Pal., t. II, p. 393).

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