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entendu porter aucune atteinte aux principes du Code Napoléon, si ce n'est dans les cas qu'elle a spécialement prévus (1). Or l'art. 6 n'a nullement déterminé les cas où les priviléges sont soumis à la formalité de l'inscription ou en sont dispensés; il se réfère, à cet égard, au Code Napoléon, et signifie seulement que si, d'après le Code, une inscription est nécessaire au créancier pour conserver son droit de préférence, cette inscription devra être prise avant la transcription; mais, à aucun titre, il ne peut être regardé comme ayant exigé une inscription pour des priviléges que le Code Napoléon en dispense formellement au point de vue du droit de préférence (art. 2107), ni par conséquent comme ayant attaché la déchéance de ce droit au défaut d'inscription. Les créanciers de l'art. 2101 pourront donc venir, même après la loi de 1855, indépendamment de toute inscription, exercer leur droit sur le prix des immeubles affectés subsidiairement de leur privilége; et pourvu que les choses soient entières, c'est-à-dire que le prix n'ait pas été distribué, payé sans fraude, ou régulièrement délégué, ils y devront recouvrer leur créance.

Mais pourraient-ils, sans le secours d'une inscription, atteindre le tiers acquéreur qui aurait payé, et l'obliger à payer de nouveau ou à délaisser? Ceci se rattache au droit de suite, et la question est examinée à l'art. 2166 (infrà, n° 1122).

314. Ce que nous disons des créanciers de l'art. 2101, nous le disons également, mais par d'autres motifs, des créanciers et légataires demandant la séparation des patrimoines. La loi de 1855 ne s'est occupée nulle part de ce droit de séparation des patrimoines. Néanmoins il faut reconnaître que si ce droit devait être considéré comme un privilége ordinaire, il rentrerait, par les motifs indiqués au numéro précédent, dans les termes de l'art. 6 de la loi, puisque ce droit ne peut être exercé qu'à la condition d'une inscription prise dans le délai de l'art. 2111 du Code Napoléon, et que, d'après l'art. 6 de la loi nouvelle, aucune inscription ne peut être prise utilement à partir de la transcription.

Mais, nous l'avons dit plus haut (voy. n° 299), la séparation des patrimoines n'est pas constitutive d'un privilége proprement dit; elle crée un droit sui generis, un droit de préférence dépourvu de ce droit de suite qui est le complément du privilége sur les immeubles et l'une de ses conditions d'efficacité. Cela est décisif à nos yeux. Dès l'instant que la séparation des patrimoines ne constitue pas un privilége, il ne saurait être question de la soumettre à l'application d'un article fait pour les créanciers privilégiés et hypothécaires. Déjà, avant la loi de 1855, on admettait que, même après la quinzaine de l'art. 834 du Code de procédure, le créancier ayant droit de demander la séparation des patrimoines pouvait s'inscrire tant que les six mois à partir de l'ouverture de la succession n'étaient pas écoulés et que son droit de préfé

(1) Voy. Exposé des motifs et Rapport au Corps législatif (Monit. des 11 et 31 mai 1854).

rence lui était assuré, pourvu que les choses fussent entières (1). La raison de décider ainsi est bien plus impérieuse encore après la loi nouvelle, qui déclare la propriété purgée par le seul fait de la transcription. On aboutirait inévitablement, sans cela, à la suppression de la séparation des patrimoines, car il n'y a intérêt réel à la demander que quand la position de l'héritier est embarrassée; et comme dans cette position l'héritier lui-même a intérêt à réaliser les ressources de la succession, il s'ensuit qu'il se hâtera de vendre, en sorte que l'acquéreur transcrivant sans retard, le créancier du défunt se trouvera déchu peut-être même avant de savoir que la succession s'est ouverte! Telle n'a pu être évidemment la pensée de la loi.

315. Quant aux entrepreneurs et aux ouvriers, les observations que nous avons présentées en traitant de la conservation de leur privilége (voy. no 276 et suiv.) subsistent sous la loi de 1855. Ce privilége, soumis qu'il est à la règle de l'art. 2106, est sans effet et n'existe même pas avant l'inscription du premier procès-verbal. L'inscription ellemême, pour qu'elle soit utile, doit être faite avant le commencement des travaux. La plus-value ne venant ainsi s'ajouter à la valeur de l'immeuble que postérieurement à l'inscription, le privilége est conservé par cette inscription même; et si l'immeuble passe des mains du propriétaire dans celles d'un tiers acquéreur, les ouvriers, encore en vertu de cette même inscription, viendront à l'ordre ouvert sur le prix et obtiendront la préférence sur la somme d'argent représentant la plusvalue. Que si la vente a lieu au cours des travaux ou avant que les travaux achevés aient été reçus, il peut se présenter des hypothèses diverses: ainsi, il peut se faire que l'acquéreur s'oppose à la continuation des travaux, ou, au contraire, qu'il consente à ce qu'ils soient parachevés. Mais dans ces situations, où l'intérêt des ouvriers se trouve en contact avec celui du tiers acquéreur, c'est plus particulièrement le droit de suite qui est en question. Nous y revenons à l'art. 2166 (infrà, n° 1123). Supposons maintenant que l'ouvrier ait négligé d'inscrire le procès-verbal avant le commencement des travaux, la transcription de la vente consentie par le propriétaire met obstacle à l'acquisition et à la conservation du privilége pour le droit de préférence comme pour le droit de suite.

316. Viennent enfin le vendeur et le copartageant. Ces créanciers privilégiés, on l'a vu, sont placés par la loi dans une position exceptionnelle. Quand la propriété est purgée, à l'égard des autres, par le seul effet de la transcription, elle ne l'est pas nécessairement, à l'égard du vendeur et du copartageant, même après la transcription, et leur pri vilége peut se produire encore pourvu que quarante-cinq jours ne se soient pas écoulés depuis qu'il a pris naissance. Ceci est une conquête de la discussion.

Le projet primitif, tel qu'il avait été adopté par le conseil d'État, ne

(1) Voy. Delvincourt (t. II, p. 172, notes); MM. Dalloz (loc. cit., no 4); Troplong (n• 327). Voy. encore Colmar, 3 mars 1834 (S.-V., 34, 2, 678; Dall., 35, 2, 9; J.

Pal., à sa date).

faisait pas de distinction. Le principe de la transcription translative y était posé dans toute sa rigueur, et, par conséquent, le projet disposait en ce sens que la transcription arrêterait le cours des inscriptions sans réserve aucune. Mais cela fut très-vivement attaqué. On demanda d'abord le maintien du délai de quinzaine que le Code de procédure avait consacré; et l'on se fonda pour cela sur les dangers que présenterait la transcription, à raison de la soudaineté même avec laquelle elle peut être faite, si elle était considérée comme un moyen de transmettre la propriété purgée, et de la transmettre ainsi instantanément avant même qu'un premier vendeur eût eu le temps d'aviser à ce que sa propre vente fût rendue publique à l'effet d'acquérir et de conserver son privilége. A défaut de ce délai de quinzaine imaginé par les rédacteurs du Code de procédure et qui, à la vérité, ne s'accordait plus avec cet effet translatif que la loi nouvelle voulait donner à la transcription, on demanda que le créancier eût, pour inscrire son privilége acquis avant la vente, au moins soixante jours à partir de son propre titre; c'était le délai même que le Code accorde pour l'inscription du privilége du copartageant. Le sursis fut admis en principe; mais on en marchanda la durée, car on n'accordait d'abord que quinze jours; on alla jusqu'à trente, pour s'arrêter enfin aux quarante-cinq jours dont parle l'art. 6 de la loi. On pourrait se demander pourquoi la disposition n'a pas été généralisée, et pourquoi, quand il a paru juste d'accorder cette faveur au copartageant et au vendeur, on ne l'a pas accordée également aux autres créanciers privilégiés pour lesquels elle aurait pu avoir aussi son avantage, sinon au point de vue du droit de préférence dont nous venons de parler, au moins au point de vue du droit de suite dont nous nous occupons à l'art. 2166. Peut-être n'y a-t-il pas d'autre raison de cela, sinon que le législateur n'a pas songé aux priviléges qui n'ont pas été rappelés dans la discussion, et qu'il s'est attaché uniquement à ceux qui se produisent le plus fréquemment et qu'on avait pris, dans le débat, à titre d'exemples pour mettre dans tout son jour la rigueur du projet primitif. Quoi qu'il en soit, le délai établi par la loi n'existe qu'en faveur du vendeur et du copartageant.

317. Quant au vendeur, nous rappelons encore que l'action résolutoire est liée au privilége, en sorte qu'elle s'éteint si le privilége vient à s'éteindre et ne peut plus être exercée au préjudice des tiers qui ont acquis des droits sur l'immeuble du chef de l'acquéreur, et qui se sont conformés aux lois pour les conserver (1). Ceci donne d'autant plus d'importance aux difficultés dans lesquelles l'existence et la conservation du privilége sont en question. Nous avons touché, dans nos précédentes observations, quelques points se rattachant à ces difficultés (voy. notamment au no 261). D'autres et de plus graves s'y rattachent encore, dans lesquels viennent se placer l'hypothèse de ventes successives et

(1) Suprà, no 312, et les décisions citées en note. Mais ceci n'a pas d'application à l'échangiste, qui, en thèse générale, on l'a vu plus haut (no 187), n'a pas le privilége accordé au vendeur. Nancy, 9 janv. 1862 (S.-V., 62, 2, 353; J. Pal., 1862, p. 248; Dall., 62, 2, 193).

l'appréciation des effets de la transcription d'une vente par rapport à des ventes antérieures qui n'auraient pas été transcrites. Mais la difficulté en ceci intéresse d'une manière si grave le tiers acquéreur, que l'appréciation en trouvera mieux sa place dans nos observations sur le droit de suite (infrà, nos 1124 et 1292).

318. Quant au copartageant, le droit de suite attaché à son privilége se conserve, ou du moins le droit de prendre inscription, nonobstant toute transcription, subsiste pendant les quarante-cinq jours qui suivent l'acte ou le jugement dans lequel le privilége a pris naissance. La faveur accordée au copartageant ne va pas au delà, en sorte que si, le privilége n'étant pas inscrit, l'immeuble grevé est vendu à un acquéreur qui fait transcrire le quarante-sixième jour, par exemple, à partir du partage, l'inscription du privilége ne peut plus être faite, et le droit de suite est désormais perdu.

Mais la perte du droit de suite emporte-t-elle la perte du droit de préférence, en ce sens que le copartageant ne puisse pas, vis-à-vis des créanciers qui viendraient sur le prix, s'inscrire tant qu'il reste quelque chose à courir du délai de soixante jours accordé par l'art. 2109 du Code Napoléon? La question naît du rapprochement du Code avec la loi du 23 mars 1855. En y regardant de près toutefois, la question n'est pas sérieuse. Sous le Code Napoléon, modifié par le Code de procédure, on admettait déjà que le copartageant qui ne prenait pas inscription dans la quinzaine de la transcription de la vente consentie par son copartageant, était privé du droit de suite, notamment du droit de surencherir, mais que l'inscription prise après la quinzaine, pourvu qu'elle le fût dans les soixante jours, conservait le droit de préférence entre les créanciers (1). C'était une différence difficilement expliquée par ceux des auteurs qui avaient négligé de faire entre le droit de suite et le droit de préférence la distinction que nous regardons comme fondamentale (voy. no 251). Mais la différence était juste, et elle n'a pas cessé de l'être après la loi de 1855. Cette loi, faite dans le but avoué de hâter et d'assurer la libération de l'acquéreur, a été écrite, de même que l'art. 834 du Code de procédure, en vue du droit de suite; toute la discussion l'atteste. On ne peut donc la considérer, pas plus qu'on ne considérait l'art. 834 du Code de procédure, comme ayant abrogé les dispositions préexistantes de la loi sur le droit de préférence. Sans cela, il faudrait dire que le législateur de 1855 a sacrifié le droit légitime des copartageants à des droits qu'il regarde lui-même comme moins favorables, et qu'il a sacrifié ce droit sans profit aucun pour le but qu'il se proposait; car quel obstacle apporterait à la libération de l'acquéreur la faculté, pour le copartageant, d'inscrire son droit dans les quinze jours qui s'écouleront du quarante-cinquième au soixantième?

Ainsi, le droit de suite sera perdu par l'expiration du délai de

(1) Voy. Grenier (t. II, no 400); Delvincourt (t. II, p. 146); MM. Persil (art. 2109, no 9); Troplong (n° 315 bis et suiv.).

quarante-cinq jours, et, sous ce rapport, le copartageant manquerait de prudence s'il ne prenait pas inscription avant l'expiration de ce délai. Mais le délai de soixante jours à dater du partage n'en subsistera pas moins pour l'inscription du privilége au point de vue du droit de préférence; et, les choses étant entières d'ailleurs, l'inscription, faite dans ce dernier délai, assure au copartageant son droit sur le prix, nonobstant l'aliénation et la transcription intermédiaires.

CHAPITRE III.

DES HYPOTHÈQUES.

SOMMAIRE,

319. Ce chapitre a pour objet les hypothèques seulement.

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319. L'art. 2194, dont nous avons présenté le commentaire suprà, n° 20 et suivants, nous a signalé sinon les deux seules, au moins les deux principales causes légitimes de préférence entre créanciers, c'està-dire les priviléges et les hypothèques. Le législateur s'est occupé d'abord des priviléges à ce point de vue du droit de préférence, dans le chapitre précédent; l'ordre logique des idées le conduisait à s'occuper ensuite des hypothèques : c'est l'objet du présent chapitre.

Ainsi, bien qu'il y ait, dans les dispositions contenues en ce chapitre, plusieurs énonciations que nous aurons bientôt à signaler comme convenant aux priviléges non moins qu'aux hypothèques, il est vrai de dire pourtant qu'ici le législateur a eu en vue les hypothèques seulement. Dans les chapitres ultérieurs, sa pensée, nous le verrons, embrassera les deux causes de préférence. Mais dans celui-ci elle se restreint aux hypothèques, comme elle se restreignait aux priviléges dans le chapitre précédent. Et de même que ce dernier chapitre vient de nous dire, d'abord par forme de dispositions préliminaires, ce qu'est le privilége, quels en sont le caractère et les effets, et puis, dans quatre sections distinctes, quelles créances sont privilégiées, quelles choses peuvent être grevées, quelles règles doivent présider au classement des priviléges, et les conditions auxquelles ils s'acquièrent et sont conservés, de même le présent chapitre va nous dire maintenant, d'abord dans quelques dispositions préliminaires, ce qu'est l'hypothèque, quels en sont le caractère et les effets, quels biens en sont susceptibles, et ensuite, dans quatre sections distinctes, les caractères propres à chaque espèce d'hypothèque, les causes d'où elles peuvent procéder, la mesure dans laquelle elles affectent les biens de l'obligé, et le rang qu'elles ont entre elles. Voyons donc quelle est, sur tous ces points, la théorie de la loi.

DISPOSITIONS PRÉLIMINAIRES.

DE L'HYPOTHÈQUE, des causes qui la produisent, et des biens QUI EN SONT

SUSCEPTIBLES.

2114.-L'hypothèque est un droit réel sur les immeubles affectés

à l'acquittement d'une obligation.

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