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mains du propriétaire lui-même, soit aux mains de tierces personnes auxquelles il les a remis.

Dans le premier cas, la mobilisation que la vente avait commencée a été complétée par le fait de l'acquéreur qui s'est mis en possession. Désormais le tiers acquéreur est protégé par le principe qu'en fait de meubles possession vaut titre (art. 2279 C. Nap.); et il a pour lui cet art. 1141 qu'on lui opposait dans l'hypothèse précédente, et qui tourne en sa faveur dans celle-ci; car il y a là un droit certain résultant d'une mise en possession réelle, et qui, bien qu'il ait pris naissance après celui du créancier hypothécaire, est, dans les termes mêmes de cet article, supérieur au droit de ce dernier et doit l'emporter sur lui.

Toutefois, nous supposons une vente consentie de bonne foi. Si, au contraire, elle était entachée de fraude, si elle était le résultat d'un concert frauduleux organisé dans le but de nuire au créancier hypothé caire par l'altération ou la diminution de son gage, il en serait autrement le cas rentrerait alors dans l'hypothèse dont il nous reste à parler, celle où les objets détachés et enlevés de l'immeuble existent soit entre les mains du propriétaire lui-même, soit entre les mains de tiers auxquels il les aurait remis.

Ces objets sont-ils aux mains du propriétaire qui les a détachés de son immeuble, il est hors de doute que les créanciers hypothécaires au préjudice desquels ils ont été séparés de l'immeuble et enlevés ont le droit d'en exiger le rétablissement et la réintégration aux frais du debiteur, ou d'exiger, si le rétablissement n'est pas possible (par exemple, en ce que les objets mobilisés ont été attachés à un autre immeuble), que des objets semblables ou de même nature soient mis à la place et restituent le gage dans sa valeur primitive.

Les objets sont-ils reconnaissables aux mains de tiers auxquels le débiteur les aurait remis, les créanciers hypothécaires pourront agir sur ces objets aux mains des tiers comme ils auraient pu agir sur eux aux mains du débiteur lui-même s'il fût resté détenteur : invoquant alors le principe des art. 1143 et 1144 du Code Napoléon, ils demanderont, soit le rétablissement et la réintégration des choses par les tiers, soit l'autorisation de se saisir de ces objets pour les réintégrer eux-mêmes aux frais de ceux qui les détiennent à leur préjudice. Ceci est admis par les auteurs (1). M. Duranton l'admet également, dans le cas du moins où les objets mobilisés sont libres, soit entre les mains du débiteur, soit aux mains des tiers auxquels le débiteur les aurait confiés, loués ou prêtés; mais il pense qu'il n'en devrait plus être de même si ces objets étaient frappés d'une saisie-exécution de la part des créanciers chirographaires du débiteur (2). Nous ne croyons pas que cette restriction doive être admise. Les créanciers hypothécaires qui viennent ainsi s'emparer, avec l'autorisation du juge, de corps certains pour les rétablir

(1) Voy. MM. Valette (p. 223); Demolombe (t. IX, no 326). (2) Voy. M. Duranton (t. XIX, no 283).

dans l'immeuble d'où ils ont été détachés indûment, exercent une sorte de droit réel qui prévaut sur la saisie-exécution pratiquée par d'autres créanciers de leur débiteur. Ce droit reste entier; et ils peuvent l'exercer contre les créanciers saisissants comme ils pourraient l'exercer contre le débiteur lui-même, parce qu'en ceci les créanciers chirographaires de qui émane la saisie n'ont pas d'autre droit que celui du débiteur dont ils sont les ayants cause. C'est l'opinion exprimée par MM. Valette et Demolombe (1); nous croyons qu'elle doit être adoptée.

Enfin, les objets sont-ils aux mains d'un tiers acquéreur de mauvaise foi, les créanciers hypothécaires pourront exiger également de lui qu'il rétablisse les objets si le rétablissement en est possible, et qu'il reconstitue ainsi leur gage dans sa consistance primitive; dans le cas contraire, si les choses ne peuvent plus être rétablies, les créanciers hypothécaires seront fondés à demander que le tiers acquéreur soit condamné, par application de l'art. 1382 du Code Napoléon, à payer des dommages-intérêts proportionnés au préjudice que son fait aura causé.

IV. 421. Ajoutons, en terminant sur notre article, que, dans une certaine mesure, les observations qui précèdent trouveront leur application même dans le cas où la mobilisation portera sur des biens immeubles par leur nature.

Par exemple, Pierre est propriétaire d'un domaine sur lequel Paul, son créancier de sommes considérables, a pris une hypothèque. Pierre vend à Joseph la maison bâtie sur son domaine pour être démolie, et à Jacques sa futaie pour être abattue. Nous n'avons pas à rechercher maintenant si de telles ventes ainsi faites en vue d'une démolition ou d'un abatage, dont l'effet sera d'opérer la mobilisation de choses classées par la loi au rang des immeubles par leur nature, sont mobilières ou immobilières, et, partant, si elles sont ou non sujettes à la transcription en vertu de la loi nouvelle : c'est un point que nous aurons à examiner en traitant du droit de suite dans notre commentaire des art. 2166 et suivants. Quant à présent, nous avons seulement à indiquer que, dans le cas donné, si la maison vendue à Joseph est démolie, si la futaie vendue à Jacques est abattue, les matériaux et les arbres seront par cela même mobilisés, en sorte qu'en thèse générale et en vertu des règles exposées plus haut (voy. le commentaire de l'art. 2118), Paul, créancier hypothécaire de Pierre, ne pourrait pas suivre entre les mains de Joseph et de Jacques les matériaux et les arbres provenant de la démolition et de l'abatage opérés par ceux-ci.

Mais ici reviendront quelques-unes des réserves et des distinctions indiquées à l'occasion de la mobilisation des immeubles par desti

nation.

La vente a-t-elle été faite de mauvaise foi, en vue de nuire au créancier hypothécaire, elle sera nulle absolument et ne pourra produire aucun effet, en telle sorte que non-seulement le créancier sera fondé à

(1) Voy. les indications faites aux notes précédentes.

s'opposer, si la démolition et l'abatage ne sont pas exécutés, à ce que le fait s'accomplisse, mais encore qu'il aura droit d'exiger, dans le cas contraire, le rétablissement de tout ce qui est susceptible d'être rétabli, c'est-à-dire la reconstruction du bâtiment, et, pour le surplus, la réparation de tout le dommage qui peut résulter de l'amoindrissement du gage hypothécaire.

La vente a-t-elle été consentie de bonne foi, sans aucune pensée de fraude de la part des acquéreurs, le créancier hypothécaire sera sans action aucune vis-à-vis d'eux, s'ils sont en possession réelle des choses par eux acquises, c'est-à-dire si Joseph a opéré la démolition et enlevé les matériaux, et si Jacques a exécuté l'abatage de la futaie et enlevé les arbres le créancier hypothécaire ne pourra, dans ce cas, agir que contre son débiteur, et il aura contre lui la ressource de l'action qui lui est offerte par l'art. 2131. Mais notons-le bien, c'est la possession réelle qui seule protégera les tiers acquéreurs, même de bonne foi; en sorte que si Joseph et Jacques n'avaient pas commencé la démolition ou l'abatage, ou si, l'ayant commencée, ils ne l'avaient pas menée à fin, le créancier hypothécaire devrait être reçu à s'opposer à ces actes et à empêcher les tiers acquéreurs de les entreprendre ou de les continuer. Ici encore, le créancier agit pour la conservation de son droit, et, pas plus dans ce cas que dans celui où il s'oppose à la mobilisation des immeubles par destination (voy. n° 419), il n'y aurait motif raisonnable de lui refuser le bénéfice de l'art. 1180 du Code Napoléon.

421 bis. Disons, d'un autre côté, que la maxime de notre article, à savoir que les meubles n'ont pas de suite par hypothèque, trouve dans le commerce maritime une restriction spéciale que consacre l'art. 190 du Code de commerce, lequel, tout en rappelant que les navires et autres bâtiments de mer sont meubles, dispose que néanmoins ils sont affectés aux dettes du vendeur, et spécialement à celles que la loi déclare privilégiées. Mais nous avons donné (suprà, no 98) à cet égard des indications auxquelles nous n'avons ici qu'à nous référer.

2120. Il n'est rien innové par le présent Code aux dispositions des lois maritimes concernant les navires et bâtiments de mer.

SOMMAIRE.

422. Renvoi.

422. Cet article, qui termine la série des dispositions générales relatives à l'hypothèque, se rattache en réalité à la matière des Priviléges: aussi en avons-nous présenté le commentaire en traitant des priviléges sur les meubles. Nous renvoyons le lecteur à nos précédentes observations sur ce point (voy. suprà, nos 94 à 111), et nous passons aux développements que comporte en particulier chacune des causes d'hypothèque indiquées par l'art. 2116 (voy. suprà, no 323).

SECTION PREMIÈRE.

DES HYPOTHÈQUES LÉGALES.

SOMMAIRE.

423. Les hypothèques légales sont ainsi qualifiées parce qu'elles existent de plein droit. Elles complètent les mesures de protection envers les incapables. Critiques dont elles ont été l'objet : réfutation.

423. Cette section, par laquelle s'ouvre la série des dispositions spéciales aux diverses espèces d'hypothèque (voy. suprà, no 319), est consacrée à l'hypothèque classée et définie la première par les art. 2116 et 2117 du Code Napoléon, à l'hypothèque légale. Ici vont se produire des difficultés qui ne sont pas assurément les moins graves de notre sujet; mais avant de les étudier, ce qui rentre dans le commentaire des deux articles dont notre section se compose, nous devons nous arrêter au principe même de l'hypothèque et aux critiques dont il a été l'objet et contre lesquelles, d'ailleurs, il n'y a guère plus aujourd'hui à le défendre.

L'hypothèque dont il s'agit ici est qualifiée légale, bien moins, nous le savons déjà, parce qu'elle aurait son principe dans la loi (car la loi est la cause commune d'où procèdent toutes les hypothèques indistinctement), que parce qu'elle existe de plein droit, par la seule volonté du législateur, indépendamment d'une manifestation quelconque de la part soit de celui auquel l'hypothèque est accordée, soit de celui dont elle grève les immeubles (voy. suprà, no 322). Si donc l'hypothèque est légale, c'est que la loi ici agit seule pour et au nom du créancier, qu'elle protége; et cette action de la loi s'explique et se justifie par la nature même des choses. C'est qu'en effet, l'obligation garantie par l'hypothèque prend sa source non point dans une convention expresse et directe des parties, mais dans des rapports établis par la loi elle-même. Ainsi, c'est la loi civile qui prononce les interdictions dont la femme est atteinte relativement à ses biens et qui la place dans un état de dépendance vis-à-vis de son mari; c'est la loi civile également qui, se préoccupant de l'état des mineurs et des interdits, les place sous la direction et la surveillance d'un tuteur dont l'action doit suppléer aux faiblesses de leur âge ou de leur intelligence; c'est encore par la volonté de la loi et en raison de leur condition d'existence que des personnes morales, comme l'État, les communes, les établissements publics, sont tenues d'avoir recours à des agents pour l'administration des intérêts généraux qu'elles représentent à des degrés différents. Lors donc que la loi, par les deux articles dont le commentaire va suivre, donne aux femmes mariées, aux mineurs et interdits, à l'État, aux communes et aux établissements publics, à raison de leurs droits et créances, une hypothèque générale sur les biens immeubles des maris, des tuteurs, des receveurs et administrateurs comptables, elle ne fait que compléter les mesures de protection qu'elle a organisées, ou leur donner de l'efficacité par une sorte de sanction qu'elle y ajoute.

Et néanmoins, à toutes les époques où il a été question en France de la réforme du régime hypothécaire, tout ceci a été l'objet de trèsvives critiques. Les hypothèques légales ont été présentées comme nuisibles à la propriété elle-même, comme ce qu'il y a de plus propre à détourner de la vente et du prêt, en ce qu'elles font naître de véritables embarras dans la pratique des affaires, suscitent la confusion dans les transactions, et jettent le discrédit sur presque toutes les fortunes, même les mieux assises. Puis, en s'autorisant de ce qui a lieu dans quelques États voisins, où la loi remet la direction et la gestion des af faires des incapables à un administrateur spécialement institué dans ce but sous la garantie de l'État, on a parfois émis l'idée qu'il serait possible de mettre ce même moyen en pratique chez nous, et que par là on protégerait les incapables non moins sûrement que par l'hypothèque légale, et, dans tous les cas, sans gêne aucune pour les transactions ni dommage pour le crédit foncier (1).

Toutefois l'hypothèque légale a eu raison et des novateurs et des critiques. D'une part, on a toujours reconnu, sans qu'il y ait eu beaucoup à insister sur ce point, que le moyen emprunté à quelques législations étrangères ne pourrait être mis à la place de l'hypothèque légale sans qu'il y eût à changer par cela même tout le système de la loi sur la tutelle, sur le contrat de mariage, sur les droits respectifs des époux, et, par conséquent, à contrarier, sur ces points importants de notre législation civile, des habitudes reçues et consacrées par les siècles.— D'une autre part, on a senti qu'en donnant hypothèque aux incapables, dont l'intérêt, après tout, est de beaucoup supérieur à l'intérêt tout particulier des prêteurs et des acquéreurs, la loi ne fait que mettre leurs biens sous la protection du droit commun, en ce que, faisant pour eux ce qu'ils ne savent ou ne peuvent faire par eux-mêmes, elle leur donne, en définitive, la garantie que tout créancier, maître de ses droits, est libre de se faire accorder par son débiteur.

Ceci dit sur le principe, arrivons au commentaire.

2121. Les droits et créances auxquels l'hypothèque légale est attribuée, sont,

Ceux des femmes mariées, sur les biens de leur mari;

Ceux des mineurs et interdits, sur les biens de leur tuteur; Ceux de l'État, des communes et des établissements publics, sur les biens des receveurs et administrateurs comptables.

SOMMAIRE.

1. 424. Droits auxquels l'hypothèque légale est attribuée suivant l'art. 2121. Quid en ce qui concerne les créances dont il est question aux art. 1017 et 2113 du

(1) Nous ne parlons ici que du principe même de l'hypothèque légale. Les attaques ont été bien autrement vives sur les points de détail, et notamment sur la dispense d'inscription dont jouissent, sinon les trois hypothèques légales ci-dessus indiquées, au moins celle de la femme et celle des mineurs et des interdits. Mais nous ne voulons pas anticiper; notre appréciation à cet égard trouvera mieux sa place dans le commentaire des art. 2134 et suivants, qui ont trait à la publicité des hypothèques.

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