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104. Enfin, le privilége du capitaine l'emporte sur tous autres; ainsi le capitaine doit être payé de son fret même avant le commissionnaire de ses avances, même avant le vendeur de son prix : les sommes dues pour le fret, venant en quelque sorte en diminution de la chose, se trouvent ainsi dues par la chose même plutôt que par l'expéditeur ou par le propriétaire; d'où il suit que le premier ne pourrait exercer son privilége ni le second son droit de revendication, sans avoir, au préalable, payé la somme due pour le fret (1).

VI. — 105. Tels sont les priviléges consacrés par les lois sur le commerce maritime, auxquelles notre article se réfère particulièrement. Mais, pour compléter la série des priviléges en matière commerciale, nous en indiquerons quelques autres établis par les lois relatives au commerce en général.

106. Privilége du commissionnaire. Tout commissionnaire qui a fait des avances sur des marchandises à lui expédiées pour être vendues pour le compte d'un commettant a privilége, pour le remboursement de ses avances, intérêts et frais, sur la valeur des marchandises, si elles sont à sa disposition, dans ses magasins ou dans un dépôt public, ou si, avant qu'elles soient arrivées, il peut constater, par un connaissement ou par une lettre de voiture, l'expédition qui lui en a été faite. Telle est la disposition de l'art. 93 du Code de commerce. L'art. 94 complète la pensée, en ajoutant que si les marchandises ont été vendues et livrées pour le compte du commettant, le commissionnaire se rembourse, sur le produit de la vente, du montant de ses avances, intérêts et frais, par préférence aux créanciers du commettant. Dans ces dispositions, la loi commerciale relève un cas particulier de gage en faveur duquel, pour favoriser l'expédition de marchandises d'une place à une autre, elle établit une dérogation notable au droit commun, en ce qu'elle fait résulter la constitution du gage, et le privilége qui en est la suite, de la simple expédition, concourant, d'ailleurs, avec les autres circonstances déterminées, sans qu'il soit besoin de cet acte public ou sous seing privé dûment enregistré, en dehors duquel, dans les termes du droit commun consacré par l'art. 2074 du Code Napoléon, le privilége ne peut avoir lieu dès qu'il s'agit de valeurs excédant 150 francs. Des questions assez graves se sont élevées à l'occasion de cette disposition exceptionnelle; mais la nécessité de combiner à chaque instant, pour les résoudre, les règles spéciales de ces articles avec les principes du droit commun auquel elles dérogent, nous en fait placer la discussion sous les art. 2074, 2075 et 2084 du Code Napoléon (2).

107. Privilége des commis et des ouvriers au cas de faillite du

(1) Voy. MM. Pardessus (no 961) et G. Massé (loc. cit., t. VI, no 604).

(2) Les art. 93 et suivants du Code de commerce ont été l'objet de modifications notables; il faut se référer maintenant aux dispositions que la loi récente du 23 mai 1863 a substituées, à cet égard, à celles du Code de commerce. Nous en avons donné l'explication dans notre commentaire-traité Du Nantissement (voy. Petits Contrats, t. II, n** 1099, 1115 et suiv.; 1129, 1152 et suiv.; 1206 et suiv., etc.).

maître. Aux termes de l'art. 549 du Code de commerce, le salaire acquis aux ouvriers employés directement par le failli, pendant le mois qui aura précédé la déclaration de faillite, doit être admis au nombre des créances privilégiées, au même rang que le privilége établi par l'art. 2101 du Code Napoléon pour le salaire des gens de service; et les salaires dus aux commis pour les six mois qui ont précédé la déclaration de faillite doivent être admis au même rang. Nous nous sommes expliqué à cet égard en commentant l'art. 2101 (suprà, nos 84 et 85).

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108. Privilége de la ville de Paris sur le cautionnement des bouchers. Le décret du 6 février 1811, relatif au commerce de la boucherie dans le département de la Seine, dispose, par son art. 31, que la ville de Paris aura privilége sur le cautionnement des bouchers, et sur la valeur estimative des étaux vendus à des tiers, ou supprimés et rachetés par le commerce de la boucherie, et sur ce qui leur sera dù pour viande fournie, et que ce privilége aura lieu jusqu'à concurrence du montant du crédit accordé aux bouchers, en vertu des art. 19 et suivants du décret, et des sommes restées en arrière en vertu des délais accordés. Un autre décret, en date du 15 mai 1813, relatif aux prêts faits par la caisse de Poissy au marché des vaches grasses et à la halle aux veaux, a ajouté que le privilége de la ville de Paris porterait également sur les créances des bouchers pour peaux et suifs (art. 4). 109. Privilége des facteurs de la halle aux farines sur le dépôt de garantie des boulangers. Ce privilége est réglé par un décret du 27 février 1811, aux termes duquel, lorsqu'un boulanger quittera son commerce par l'effet d'une faillite, ou pour contravention à l'arrêté du 19 vendémiaire an 10, les facteurs de la halle qui justifieront, par contrôle de l'inspecteur ou par toute autre pièce authentique, qu'il est leur débiteur pour farines livrées sur le carreau de la halle, auront un privilége sur le produit de quinze sacs formant son dépôt de garantie dont la confiscation aura été ordonnée. En conséquence, dans le cas d'insuffisance des autres biens et propriétés du boulanger failli ou retiré sans la permission du préfet de police, ils seront admis à exercer, au premier ordre et de préférence à tout autre créancier, leurs droits sur le produit de la vente dudit dépôt, jusqu'à concurrence du montant de leur créance.

110. Priviléges spéciaux sur le cautionnement des directeurs de théâtre. Ce privilége a son principe dans un arrêté ministériel en date du 28 septembre 1853, qui détermine le rang des créanciers privilégiés sur le cautionnement des directeurs de théâtre, et place au premier le traitement des artistes et des employés, et au dernier les engagements de toute nature contractés par le directeur pour les besoins de l'exploitation. Mais il faut prendre garde que c'est la situation personnelle des artistes et des employés vis-à-vis du directeur qui a déterminé la préférence spéciale dont ils ont été l'objet ; ils sont au premier rang, non-seulement parce qu'en eux se résume l'élément principal de l'industrie, mais encore parce que, ayant contracté avec le directeur,

ils en sont les employés et en reçoivent un traitement. Donc, le rang qui leur est accordé ne pourrait être réclamé par tous autres qui, bien que concourant à l'exploitation par leurs travaux ou leurs fournitures, sont cependant des entrepreneurs plutôt que des employés. Tel serait, aux termes d'un arrêt de la Cour de Paris (1), l'entrepreneur qui aurait pris l'engagement de peindre et réparer les décors du théâtre moyennant un prix convenu à forfait. Ce prix, fùt-il fixé à raison d'une somme par an, et stipulé payable par douzièmes de mois en mois, ne changerait pas le caractère de la convention, qui n'en resterait pas moins un marché, et rentrerait, à ce titre, dans la catégorie des engagements de toute nature, formant, aux termes de l'arrêté ministériel, la cinquième catégorie des créances privilégiées sur le cautionnement du directeur.

2102. Les créances privilégiées sur certains meubles sont,

1o Les loyers et fermages des immeubles, sur les fruits de la récolte de l'année, et sur le prix de tout ce qui garnit la maison louée ou la ferme, et de tout ce qui sert à l'exploitation de la ferme; savoir, pour tout ce qui est échu, et pour tout ce qui est à échoir, si les baux sont authentiques, ou si, étant sous signature privée, ils ont une date certaine; et, dans ces deux cas, les autres créanciers ont le droit de relouer la maison ou la ferme pour le restant du bail, et de faire leur profit des baux ou fermages, à la charge toutefois de payer au propriétaire tout ce qui lui serait encore dù;

Et, à défaut de baux authentiques, ou lorsque étant sous signature privée, ils n'ont pas une date certaine, pour une année, à partir de l'expiration de l'année courante;

Le même privilége a lieu pour les réparations locatives, et pour tout ce qui concerne l'exécution du bail;

Néanmoins, les sommes dues pour les semences ou pour les frais de la récolte de l'année, sont payées sur le prix de la récolte, et celles dues pour ustensiles, sur le prix de ces ustensiles, par préférence au propriétaire, dans l'un et l'autre cas;

Le propriétaire peut saisir les meubles qui garnissent sa maison ou sa ferme, lorsqu'ils ont été déplacés sans son consentement, et il conserve sur eux son privilége, pourvu qu'il ait fait la revendication; sa voir, lorsqu'il s'agit du mobilier qui garnissait une ferme, dans le délai de quarante jours; et dans celui de quinzaine, s'il s'agit des meubles garnissant une maison;

2o La créance, sur le gage dont le créancier est saisi; 3o Les frais faits pour la conservation de la chose;

(1) Paris, 26 avr. 1855 (S.-V., 55, 2, 411; J. Pal., 1855, t. II, p. 285).

4o Le prix d'effets mobiliers non payés, s'ils sont encore en la possession du débiteur, soit qu'il ait acheté à terme ou sans terme;

Si la vente a été faite sans terme, le vendeur peut même revendiquer ces effets tant qu'ils sont en la possession de l'acheteur, et en empêcher la revente, pourvu que la revendication soit faite dans la huitaine de la livraison, et que les effets se trouvent dans le même état dans lequel cette livraison a été faite;

Le privilége du vendeur ne s'exerce toutefois qu'après celui du propriétaire de la maison ou de la ferme, à moins qu'il ne soit prouvé que le propriétaire avait connaissance que les meubles et autres objets, garnissant sa maison ou sa ferme, n'appartenaient pas au locataire;

Il n'est rien innové aux lois et usages du commerce sur la revendication;

5o Les fournitures d'un aubergiste, sur les effets du voyageur qui ont été transportés dans son auberge;

6o Les frais de voiture et les dépenses accessoires, sur la chose voiturée;

7° Les créances résultant d'abus et prévarications commis par les fonctionnaires publics, dans l'exercice de leurs fonctions, sur les fonds de leur cautionnement, et sur les intérêts qui en peuvent être dus.

1.

II.

III.

IV.

SOMMAIRE.

à tout locateur d'im117. Il n'est pas néces

111. L'art. 102 contient l'énumération de ces priviléges, mais non pas l'ordre
dans lequel ils s'exercent. 112. L'énumération est fautive en ce que, au
lieu de sept priviléges dont elle se compose, l'article en renferme neuf en
réalité. 113. Tous ces priviléges se rattachent à deux principes: 1o le
créancier doit être privilégié sur les choses dont il est en quelque sorte nanti
et qu'il a dû considérer comme un gage; 2° il doit l'être aussi quand la
créance est le prix de vente d'une chose existant en nature ou représente
des avances faites pour la conservation de la chose. Division.
114. Des loyers et fermages d'immeubles. Ce privilége se rattache au pre-
mier des deux principes ci-dessus. 115. Il a son origine dans le droit ro-
main; mais le droit romain conférait une hypothèque tacite que les cou-
tumes ont transformée en un privilége sur certains meubles.
116. Personnes auxquelles le privilége est accordé
meubles, non au locateur de choses mobilières.
saire que le locateur soit propriétaire. Exemples: usufruitier, possesseur,
locataire principal. Le tiers qui aurait payé le locateur ne jouirait du pri-
vilege que s'il pouvait exciper d'une subrogation.
118. Choses grevées du privilége: c'est tout ce qui garnit la maison ou la ferme,
et, dans les baux de biens ruraux, les fruits de la récolte de l'année et tout
ce qui sert à l'exploitation. 119. Cela comprend d'abord tous les meubles
qui garnissent la maison ou la ferme, quand même ils n'appartiennent pas
au locataire. Cependant le tiers, propriétaire de meubles garnissant la mai-
son, pourrait les retirer en offrant les loyers échus et le terme courant. Les
meubles du sous-locataire ne sont grevés que jusqu'à concurrence du prix
de la sous-location. 120. Conditions propres à la règle et exceptions.
121. La règle comprend les meubles apportés dans la maison pour y rester
d'une manière permanente. On n'y comprendrait pas les meubles apparte-
nant à des tiers, et qui ne sont déposés que temporairement, ni l'argent
comptant, ni les titres de créance. 122. Le privilége ne s'exercerait pas
contre le propriétaire d'objets perdus ou volés, ni sur les meubles que le lo-
cateur saurait appartenir à des tiers. Cependant cette connaissance du loca-
teur n'implique pas indistinctement renonciation au privilége. 123. Dans
les baux ruraux, le privilége comprend, outre ce qui garnit les lieux, tous

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les fruits de la récolte de l'année, c'est-à-dire tous les produits naturels de l'exploitation. Il comprend aussi tous les fruits récoltés antérieurement, mais à la condition qu'ils garnissent encore les magasins. 124. Objet du privilége. 125. Il garantit l'exécution du bail, c'est-à-dire les réparations locatives, les détériorations survenues par la faute du preneur, et toutes les avances faites par le bailleur en vue de l'exploitation. 126. II garantit les loyers, savoir tous les loyers échus et les loyers à échoir, si le bail est authentique ou a date certaine seulement, dans ce dernier cas, il ne garantirait pas les loyers échus avant l'époque où le bail a acquis date certaine; 126 bis. Conséquence; 127. Les loyers de l'année courante et de celle qui la suit, quand le bail n'a pas date certaine. Réfutation des systèmes qui règlent autrement, dans ce cas, l'étendue du privilége. — 128. Dans le cas où, par l'effet du privilége, le bailleur est payé par anticipation de tout ou partie de ses loyers, les créanciers du preneur ont le droit de relouer les lieux, même quand le bail est verbal, même quand il porte prohibition de sous-louer. 129. Pour que les créanciers exercent ce droit de relocation, il faut que le bailleur ait exigé les loyers à échoir. Les créanciers doivent payer au bailleur la totalité de ce qui restera dû sur les loyers; mais ils peuvent limiter l'exercice de ce droit de relocation à une durée moindre que celle du bail.

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VI. 130. Sanction. Le privilége du locateur emporte sur les meubles une sorte de droit de suite. Le bailleur peut saisir les meubles lorsqu'ils ont été déplacés sans son consentement, pourvu qu'il ait fait sa revendication dans les quarante jours s'il s'agit d'un mobilier de ferme, et dans la quinzaine s'il s'agit de meubles garnissant une maison. 131. Ce droit de suite n'a pas lieu si le propriétaire a consenti, même tacitement, à l'enlèvement. Quant au délai, il se calcule invariablement à partir de l'enlèvement. 132. Le droit de suite s'applique à tous les objets que frappe le privilége; il s'ouvre même quand les meubles restés dans les lieux loués paraîtraient suffisants pour garantir le locateur. Il aurait lieu sur les fruits autres que ceux vendus sans fraude par le fermier, et sur tous autres objets mobiliers vendus, même contre un acquéreur de bonne foi.

VII. 133. Sommes dues pour semences, frais de récolte et ustensiles.

Ce privilége est préféré même à celui du locateur. 134. Il protége les domestiques et ouvriers qui ont pris part à l'ensemencement des terres ou à la levée des récoltes, et s'étend à toutes les fournitures faites en vue de la récolte. 135. Le créancier pour vente ou réparation d'ustensiles est préféré au locateur quand la créance est née au cours du bail. S'il s'agit d'ustensiles apportés par le fermier et vendus ou réparés avant l'entrée en jouissance, le locateur sera préféré s'il n'a pas connu l'existence de la créance. Du reste, le privilége s'applique à tous les instruments d'exploitation, même autres qu'aratoires. 136. Le droit de préférence ne s'exerce que sur les objets mêmes indiqués par la loi.

VIII. 137. Créances sur le gage dont le créancier est saisi. La condition du privilége est que le créancier ait la possession réelle et actuelle du gage. Cependant, en cas de dépossession involontaire, le créancier aurait le droit de revendiquer le gage pendant trois ans.

...

IX. 138. Frais faits pour la conservation de la chose. Cause de ce privilége: Salvam fecit totius pignoris causam. 139. Il garantit les avances faites pour la conservation de toutes choses mobilières, animées, inanimées, et même incorporelles. Il cesse si la chose devient immeuble par destination ou incorporation. 140. Il s'agit des frais sans lesquels la chose aurait péri ou aurait cessé de remplir sa destination. Ce qui ne comprend ni les honoraires dus à l'avocat, ni la créance pour remplacement militaire; 141. Ni les dépenses qui ont donné à la chose une plus-value. Différence avec ce qui a lieu pour les immeubles. 142. L'ouvrier qui a amélioré la chose a seulement le droit de la retenir jusqu'à ce qu'il soit payé. Il n'aurait plus ce droit après s'être dessaisi de la chose, quand même elle reviendrait dans ses mains pour un autre travail. 143. C'est en cela que le droit de rétention, qui garantit les frais d'amélioration, se distingue du privilége pour frais de conservation, lequel subsiste indépendamment de la possession. I. 144. Prix d'effets mobiliers non payés. Double garantie: un privilége et un 145. Ces deux garanties ne sont accordées qu'au vendeur non payé. La remise de billets par l'acheteur ne constitue pas un payement, à moins que le vendeur n'ait consenti à les accepter à ce titre. Transition à l'examen successif des deux garanties.

droit de revendication.

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