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C'est, au surplus, ce que le ministre de l'intérieur, dans sa circulaire du 22 juillet 1851, disait aux préfets à propos des autorisations de transport de gibier vivant : « Vous ne devez pas dissimuler aux pétitionnaires que votre autorisation ne saurait les garantir complètement contre les poursuites judiciaires, la solution de la question de savoir si le transport dont s'agit est ou non licite, appartenant aux tribunaux. » Et une autre circulaire du ministère de l'intérieur en date du 12 février 1884 (1) reproduisait textuellement et dans les mêmes termes la circulaire de 1851.

Il est indispensable que cette sorte de réglementation irrégulière de la chasse disparaisse des arrêtés réglementaires des préfets et qu'on y substitue une réforme régulière de la loi; nous verrons du reste, au cours de cette étude, les nombreux inconvénients et les résultats fâcheux de ces mesures arbitraires.

Personne ne semble plus compétent que le ministre de l'agriculture pour ramener les arrêtés réglementaires des préfets à leur véritable but, en bannir tout ce qui y est étranger, et mener à bonne fin une réforme toute administrative. Le ministre de l'agriculture a, en ces dernières années, montré tant de sollicitude pour la chasse, qu'il lui appartient de porter remède aux graves inconvénients qui résultent pour le public des erreurs des arrêtés préfectoraux en matière de chasse, assuré qu'il est de rencontrer de la part des préfets le meilleur concours à cet égard.

(A suivre.)

1. Bull. off. min. int. 1884, p. 29.

G. SOUDÉE,

Avocat à la cour d'appel d'Angers.

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Aux termes de l'article 61 de la loi du 5 avril 1884, c'est le conseil municipal qui règle par ses délibérations les affaires de la commune; c'est donc illégalement qu'un conseil municipal décide que les contribuables auront seuls qualité pour se prononcer sur l'établissement d'une taxe vicinale en remplacement du produit des journées de prestation et qu'un referendum aura lieu, où tous les intéressés seront appelés à se prononcer par un vote affirmatif ou négatif sur l'établissement de cette taxe.

En substituant ainsi à la décision, qu'il lui appartenait de prendre lui-même pour le règlement d'une affaire d'intérêt communal, la décision des électeurs intéressés, le conseil municipal viole les dispositions des lois des 5 avril 1884 et 31 mars 1903 et c'est avec raison que le préfet, par application des articles 63 et 65 de la loi du 5 avril 1884, déclare nulle de droit la délibération prise

en ce sens.

La commune d'Aigre a formé un recours pour excès de pouvoir au Conseil d'État contre un arrêté en date du 28 juillet 1903, par lequel le préfet de la Charente avait annulé la délibération en date du 11 du même mois, aux termes de laquelle le conseil municipal, appelé à délibérer sur l'application de la loi du 31 mars 1903 accordant aux communes la faculté de remplacer en tout ou en partie par des centimes spéciaux extraordinaires les trois journées de prestations en nature prévues par la loi du 21 mai 1836, avait décidé de ne statuer sur la question qu'après avoir provoqué par voie de referendum l'avis des électeurs de la commune.

A l'appui de son pourvoi, le maire, au nom de la commune, faisait observer que le conseil municipal n'avait pas subordonné sa décision à la consultation projetée, mais purement et simplement remis aux intéressés le soin de prendre la décision définitive. Il ajoutait que ce mode de consultation des électeurs n'est défendu par aucune loi, et qu'en conséquence il n'appartenait pas au préfet de s'y opposer.

Consulté sur le mérite du pourvoi, le ministre de l'intérieur a formulé les observations suivantes :

« La commune requérante commet une erreur en appliquant à l'administration communale le principe de droit criminel, en vertu duquel tout ce qui n'est pas expressément défendu par la loi est licite. La règle opposée est celle du droit constitutionnel et administratif, d'après lesquels les êtres moraux. création de la loi, n'ont d'autres attributions que celles qui leur ont été conférées par celle-ci. Or l'exercice du referendum est contraire au système représentatif tel qu'il fonctionne en France depuis la Révolution de 1789, et qui consiste essentiellement dans la nomination de représentants chargés de gérer les intérêts généraux ou collectifs avec un mandat général et sans avoir à en référer à leurs mandants pour aucune question, jusqu'à l'expiration de ce mandat.

« Par application de ces principes, les lois successives, qui ont déterminé les attributions des conseils municipaux et leurs rapports avec le corps électoral qu'ils représentent, n'ont pas prévu le mode de consultation appelé referendum. On peut discuter en théorie sur l'utilité d'introduire dans notre législation ce mode de consultation, dont on pourrait trouver le germe dans les enquêtes de commodo et incommodo prévues par les ordonnances de 1834 et de 1835 en certaines matières. Mais tant qu'aucune disposition législative en ce sens n'aura été adoptée, le referendum municipal constitue un acte étranger aux attributions des conseils municipaux et, par suite, le préfet de la Charente n'a commis aucun excès de pouvoir en prononçant l'annulation de la délibération du conseil municipal d'Aigre, par application des articles 63 et 65 de la loi du 5 avril 1884. »

Conformément à ces conclusions, le Conseil d'État a rendu l'arrêt suivant :

Le Conseil d'État, statuant au contentieux,

Vu la requête présentée par le sieur Gautier, maire de la commune d'Aigre (département de la Charente), agissant en cette qualité et au nom du conseil municipal de cette commune, et tendant à ce qu'il plaise au conseil annuler un arrêté, en date du 28 juillet 1903, pris en conseil de préfecture, et par lequel le préfet du département de la Charente a déclaré nulle de droit une délibération du conseil municipal de la commune d'Aigre en date du 11 juillet 1903;

Ce faire, attendu que le conseil municipal d'Aigre avait, aux termes de

l'article 5 de la loi du 31 mars 1903, la faculté de remplacer par une taxe vicinale représentée par des centimes additionnels aux contributions directes le produit des journées de prestations pour l'entretien des chemins vicinaux ; qu'il a, le 11 juillet 1903, décidé que les contribuables avaient seuls qualité pour se prononcer sur l'utilité de ce remplacement et qu'il serait en conséquence procédé, le 9 août 1903, à un referendum sur cette question, tous les électeurs étant appelés à y prendre part; qu'en substituant ainsi à sa décision celle des électeurs le conseil municipal n'a violé aucune disposition de loi ou de règlement;

Vu l'arrêté attaqué;

Vu la délibération du conseil municipal d'Aigre, en date du 11 juillet 1903; Vu les observations présentées par le ministre de l'intérieur, en réponse à la communication qui lui a été donnée du pourvoi, et tendant au rejet de la requête par le motif que les lois qui ont déterminé les attributions des conseils municipaux et leurs rapports avec le corps électoral qu'ils représentent n'ont pas prévu le mode de consultation appelé referendum; qu'ainsi la délibération dont s'agit, par laquelle un referendum a été ordonné, a porté sur un objet étranger aux attributions des conseils municipaux; Vu les autres pièces produites et jointes au dossier;

Va la loi du 5 avril 1884;

Vu la loi du 31 mars 1903, article 5;

Ouï M. Grunebaum, auditeur, en son rapport;

Ouï M. Arrivière, maître des requêtes, commissaire du gouvernement, en ses conclusions;

Considérant, d'une part, que l'article 5 de la loi du 31 mars 1903 a accordé aux conseils municipaux la faculté de remplacer le produit des journées de prestation par une taxe vicinale; que, d'autre part, aux termes de l'article 61 de la loi du 5 avril 1884, c'est le conseil municipal qui règle par ses délibérations les affaires de la commune; que, d'après les termes mèmes de la délibération susvisée en date du 11 juillet 1903, le conseil municipal de la commune d'Aigre a déclaré que les contribuables avaient seuls qualité pour se prononcer sur l'établissement de la taxe vicinale de remplacement; et qu'il décidé qu'un referendum aurait lieu dans la commune d'Aigre le 9 août 1903 et qu'à cette date tous les intéressés électeurs seraient appelés à se prononcer par un vote affirmatif ou négatif sur l'établissement de cette taxe vicinale;

Considérant qu'en substituant ainsi à la décision qu'il lui appartenait de prendre lui-même pour le règlement d'une affaire d'intérêt communal la décision des électeurs intéressés, le conseil municipal d'Aigre a violé les dispositions précitées des lois des 5 avril 1884 et 31 mars 1903; qu'ainsi, c'est avec raison que le préfet a, par application des articles 63 et 65 de la loi du 5 avril 1884, déclaré nulle de plein droit la délibération susvisée du 11 juillet 1903;

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Le mot referendum est emprunté au langage de la diplomatie; dans les négociations internationales, certaines résolutions ne sont adoptées par les plénipotentiaires qu'ad referendum, c'est-à-dire à la condition d'en référer à leurs gouvernements, s'ils n'ont pas des pouvoirs suffisants pour conclure eux-mêmes. Par conséquent, le mot referendum implique en général le recours à un pouvoir supérieur lorsque la décision à prendre excède les pouvoirs d'un mandataire.

Appliqué aux affaires politiques ou municipales, le mot a pris un sens spécial, celui de recours direct aux électeurs, alors que ceuxci ont précédemment élu des mandataires chargés de les représenter, et par conséquent ce mode de consultation est en opposition absolue avec le système dit représentatif, lequel consiste essentiellement, comme le rappelait le ministre de l'intérieur dans ses observations précitées, dans la nomination de représentants chargés de gérer les intérêts généraux ou collectifs avec un mandat général et sans avoir à en référer à leurs mandants pour aucune question jusqu'à l'expiration de ce mandat.

Le système représentatif est celui que s'est donné l'Angleterre à la suite de la longue évolution des libertés publiques dans ce pays. Ébauché dans la grande charte, il a été consacré en 1688 quand Guillaume d'Orange a été appelé à remplacer les Stuarts sur le trône et Montesquieu, grand admirateur du système anglais, en a magistralement exposé le mécanisme dans son Esprit des lois.

Les députés de la Constituante, qui pour la plupart étaient des disciples de Montesquieu, en ont fait l'application dans la constitution des 3-14 septembre 1791, et depuis, toutes les constitutions françaises (5 fructidor an III, 22 frimaire an VIII, chartes des 4 juin 1814 et du 14 août 1830, constitution des 4 novembre 1848 et 14 janvier 1852), enfin les lois constitutionnelles de 1875 ont maintenu sous des formes diverses, aristocratiques ou démocratiques, monarchistes ou républicaines, le principe du système représentatif. Seule la constitution du 24 juin 1793, promulguée peu après la chute des Girondins, fait exception. Elle dispose que les lois votées par le corps législatif sont envoyées à toutes les communes de France sous ce titre « loi proposée ». Elles ne deviennent définitives que si dans le délai de quarante jours et dans la moitié des départements plus un, le dixième des assemblées primaires de

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