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une Communauté quelconque, soit même une sorte de Fondation, le Bénéfice; mais cette loi administrative, cette loi d'exception affirme le principe de droit civil qu'elle abroge ou restreint; elle laisse à toutes autres fondations la liberté que leur assurait ce principe (5); par un curieux arrêt du 8 juillet 1766, « il a été jugé qu'une disposition testamentaire de M. l'abbé Lina, Docteur en théologie de la maison de Sorbonne (pour fonder une Chapelle, c'est-à-dire un Bénéfice [6]) n'étoit pas dans le cas de prohibition de l'Édit de 1749... l'Édit ne défend de pareils établissemens que dans le cas où les Lettres Patentes n'auroient pas été obtenues, et il étoit incertain si elles seroient refusées dans cette occasion (7) »; le Parlement, qui écarte délibérément la loi administrative, jugeait évidemment le legs valable selon la loi civile.

Au moyen de ces notions essentielles, il n'est plus difficile de concevoir que l'autorisation, dans les cas où elle est requise, intervienne après l'acte de fondation; l'Autorité supérieure approuve, ratific; elle consent à ce que l'acte de fondation produise son effet; quand à la validité de l'acte, elle est assurée au point de vue du droit civil. C'est une loi administrative, une loi d'exception qui a dérogé au principe, en exigeant l'autorisation préalable; mais l'Édit d'août 1749 restreint cette exigence à la Communauté et au Bénéfice; il laisse subsister le principe pour toutes autres fondations; pour celles-ci, l'autorisation donnée par l'Autorité judiciaire sous la forme de l'homologation suit, approuve, confirme l'acte de fondation: c'est cet acte qui est préalable (8).

76. On confond encore la Communauté ou Association et la Fondation proprement dite : à toute époque, sous tous les régimes, une question de sûreté, de politique, fixe l'attention de l'Autorité publique. Domat posait ce principe: « Il est de l'ordre et de la police d'un État que toutes assemblées de plusieurs personnes en un corps y soient illicites à cause du danger de celles qui pourroient avoir pour fin quelque entreprise contre le public (1) » ; « dans l'État,

5. Supra, nos 50 et 51.

6. Sur la Chapelle espèce de Bénéfice, Voir supra, no 48, note 3. 7. Denisart, Collection, op. cit., 1771, Gens de mainmorte, no 3. 8. Supra, nos 55 et 56.

1. Droit Public, op. cit., liv. 1, tit. 2, sect. 2, art. 14.

disait en 1760 l'Avocat général Joly de Fleury au Parlement de Paris, toute assemblée particulière qui n'est point autorisée donne lieu à des soupçons légitimes que la police a intérêt à vérifier et présente toujours matière à des inquiétudes qu'il est du bon ordre d'écarter ()»; toujours la Communauté, le groupe d'hommes a suscité les défiances du Pouvoir, les répressions. Cependant, par l'effet de l'Édit de Milan de 313, tous les collèges religieux (3) se forment librement, sous la seule autorisation de l'Évêque, et c'est seulement en 1629 que les Rois absolus commencent à les soumettre au régime de leur bon plaisir (+); quant à la Fondation, jusqu'en 1749, elle reste ignorée du Pouvoir civil; c'est à l'Évêque seul qu'il appartient de l'autoriser et de la surveiller, comme toute œuvre pieuse (5); elle ne dépend d'aucune autre autorité; bien plus, elle s'en affranchit, et les Patrons qui prétendent conserver un droit de propriété et de disposition illimitée dressent contre l'Église cette institution bizarre, le Bénéfice laïque, profane, la simple Prestimonie (6), et interdisent à l'Évêque de spiritualiser la Fondation (7).

77.

Parvenu à ce terme, et se plaçant, comme il convient, avant l'Edit d'août 1749 qui pose des règles nouvelles, positives, et supprime ainsi toute œuvre doctrinale, on voit se résoudre sans difficulté deux énigmes :

1° La Fondation proprement dite n'occupant aucune place dans

2. Beurdeley, Les Congrégations et Communautés religieuses devant la Loi (Thèse), Paris, 1898, p. 67.

3. Supra, no 37; - il faut observer que par Colleges religieux on doit entendre ici, ainsi que l'entendaient les Rois, et qu'il résulte de tout le Chapitre II de cette étude, toutes associations formées dans un but d'utilité publique ; l'Œuvre d'utilité publique, c'est l'Œuvre Pie, et l'Œuvre Pie, c'était l'Église, supra, nos 48 et 64. 4. Supra, nos 37 à 39.

5. Supra, nos 39 et 56.

6. Supra, no 49, notes 3 et 5.

7. Les Légistes avaient établi cette règle que l'Évêque ne pouvait spiritualiser la Fondation que du consentement du Patron, Molinæi Opera, op. cit., t. V, « De infirmis resignantibus », nos 142-145,- Vedel, Arrêts du Parlement de Toulouse, op. cit., liv. 1, chap. 21, Denisart, Collection, op. cit., 1784, « Bénéfice ecclesiastique de pleine Collation laïcale », § 2, no 7, Conclusions, en 1779, de l'Avocat général Séguier, Desmaisons, Définitions, op. cit., « Bénéfice, ce que c'est, et de combien de sortes », no 15; on entendait par spiritualisation la consécration (Johannes de Selva, De Beneficio, op. cit., part. 1, Quæstio 5, no 229, et Quæstio 6, Guidonis no 36), ou simplement l'approbation (Desmaisons, Vedel, loc. cit., Papæ Decisiones, op. cit., Quæstio 187: Quæ Capella... fuit authorizata... », et note de Ferrière : « approbatæ per Episcopum, id est spiritualizatæ ».)

les annales de l'Ancienne Jurisprudence (1), parce que, valable en droit civil, le legs ou la donation qui l'instituait n'avait besoin pour s'exécuter d'aucune autorisation administrative; en sorte que la Fondation ne pouvait donner lieu, de ce point de vue, à aucun litige (2);

2o La Doctrine et la Jurisprudence validant le legs pour fonder une Communauté, annulant le legs à une communauté non autorisée (3), parce que, bien que le legs soit, dans l'un et l'autre cas, valable en Droit civil, la Communauté existant seulement de fait constitue une contravention, un attentat à l'ordre public: la loi lui refuse donc l'autorisation (4), la Jurisprudence et la Doctrine lui refusent la capacité d'acquérir.

78. L'application de ces principes de l'Ancien Droit au Droit moderne se fait spontanément, et résout, comme par un jet de lumière, les difficultés imaginaires qu'on prend pour un obstacle juridique; je noterai seulement comme un indice de cette nécessité logique les contradiction ou erreur de Troplong.

Les Auteurs lui reprochent « une contradiction bien singulière ()»; mais il faut distinguer avec lui (2) entre la Congrégation (3) qui, au décès du testateur, a seulement, et celle qui n'a pas même l'existence de fait :

Il valide le legs fait à la première, comme étant subordonné à la condition expresse ou tacite si la Communauté vient à être auto

1. Supra, no 15.

2. On ne trouvera dans les Recueils des « Arrestographes » qu'un arrêt antérieur à 1749, celui de Noël 1598, qui déclare nulle la donation pour fonder, non pas comme faite à personne future, mais comme ayant été révoquée avant l'acceptation, car l'homologation par l'Autorité Ecclésiastique n'était pas autre chose qu'une acceptation (Voir les Auteurs cités supra, no 56, note 7), et Desmaisons, Définitions, op. cit., a Obits et Fondations Obituaires », no 14, qui, avec une autre variante, ne voit toujours dans le fait qu'une donation révoquée, puis acceptée. 3. Supra, no 11.

4. Isambert, Anciennes Lois Françaises, Édit de décembre 1666, t. XVIII, p. 98.

1. Truchy, Des Fondations, op. cit., p. 140; Aubry et Rau, Droit civil, op. cit., t. VII, § 649, note 6; Laurent, Droit civil, op. cit., t. XI, no 192.

2. Distinction que ne font pas les Auteurs (Supra, no 11, note 6, et Lory, Le mode d'établissement des fondations, op. cit., p. 92); cependant Demolombe distingue, Cours de Code Napoléon, t. XVIII, Traité des donations et testaments, nos 388 à 590.

3. Il est à remarquer que Troplong ne parle que de Congrégations religieuses.

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risée (4). On croit d'abord facile de l'exonérer du reproche de contradiction il s'appuie en effet sur la loi 62 D. XXVIII, 5. De hæredibus instituendis, qui constituait certaines personnes capables de figurer dans un testament, incapables de recueillir l'hérédité ou le legs, à moins que l'incapacité n'ait cessé à une certaine époque (5); ainsi la situation posée et réglée par Troplong échapperait complètement à l'article 906 Code civil; et, en effet, il dit en termes formels que « l'article 906 n'est pas applicable ici; mais que, lorsque l'existence de droit et l'existence de fait n'arrivent toutes deux qu'après le décès du testateur, c'est le cas de se retrancher dans la disposition de l'article 906 Code Napoléon »(6); mais il interprète mal la loi 62 D. XXVIII, 5; il veut qu'elle s'applique à tous incapables, et non pas seulement aux orbi et cælibes; il croit qu'elle permettait en Droit romain et dans l'Ancien Droit français d'instituer un enfant non conçu par l'effet rétroactif de la condition si nascatur; en sorte que, malgré son affirmation positive, il oppose cette loi (7) à l'article 906 Code civil, et aboutit à une contradiction vraiment singulière.

D'autre part, il valide le legs fait à une Congrégation qui n'existe pas même de fait; mais ici, il ne contredit pas l'article 906, il ne contredit pas l'application rigoureuse qu'il en fait à l'enfant non conçu; la raison est que la libéralité s'adresse en réalité à l'Église, dont les Congrégations religieuses sont les membres et les auxiliaires « Or l'Église est une Société impérissable qui existait au moment du décès du testateur. Donc l'article 906 ne saurait être invoqué dans ce cas que par suite d'une équivoque (3). »

Les Auteurs s'accordent pour reprocher à Troplong d'enseigner la même Doctrine que Furgole et Ricard (9); or Troplong proteste

4. Droit civil expliqué, Des Donations entre vifs et des testaments, no 612. 5. Supra, no 5, note 1.

6. No 613; et il renvoie au no 611 (il faut 610), où « on cite la loi 62 D. De hæredibus instituendis. »

7. Nos 607, 608, 610, 612; au no 607, c'est la loi 64 D. De hæredibus instituendis qu'il présente comme ayant fondé notre ancienne jurisprudence à admettre que l'on pouvait donner par donation ou par testament à l'enfant à naitre ; c'est une erreur évidente; il a voulu dire: loi 62; la loi 64 est une application de la théorie, exclusivement romaine, de l'hérédité jacente; Voir au no 439, l'interprétation qu'il donne, contre M. Demante, et de par l'autorité de Doneau, de la loi 62. 8. No 613.

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9. Demolombe, Cours de Code Napoléon, t. XVIII, « Traité des Donations et des Testaments », Paris, 1872, no 588; Laurent, Droit civil, op. cit., t. XI, no 193;

avec énergie qu'il ne suit pas l'Ancien Droit; que l'arrêt du 25 août 1625 (10) marque « une jurisprudence qui n'était pas conforme aux idées de l'article 906 ».

L'Ancienne Doctrine sur la validité des libéralités pour fonder se présente sous deux aspects, et peut recevoir deux interprétations: ou bien elle valide la libéralité à personne future ("); c'est ainsi que Troplong la considère, et alors il refuse de la suivre; ou bien elle exprime ce principe que le Public est la seule et véritable personne bénéficiaire de la libéralité; et c'est ce principe que Troplong applique; c'est l'Ancienne Doctrine, mieux inspirée, qu'il reproduit. Et en effet, que l'Église forme, comme dans notre Ancienne France (12), une Société légalement existante, ou qu'elle soit réduite à l'état de simple service public, on trouve toujours, sous les diverses formes de représentation, le Public; car la solution donnée par Troplong n'est que l'application particulière d'un principe général, et ce qu'il dit d'une Congrégation religieuse, il faut le dire de toute fondation, de tout établissement d'utilité publique (13).

Mais ici Troplong mérite le reproche d'erreur, parce qu'il ne voit

Lory, Etablissement des Fondations, op. cit., p. 85; Geouffre de La Pradelle, Des Fondations, op. cit., p. 98; Truchy, Des Fondations (These), Paris, 1888, p. 140; Ravier du Magny, Le Contra! de fondution (Thèse), Grenoble, 1894, P. 42. On observera que Troplong valide, et que les Anciens Auteurs annulaient le legs fait à une Communauté existant seulement de fait, Supra, no 11.

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10. Il veut parler du célèbre arrêt du 29 avril 1625, legs Anne Copoys ou Coquas, Journal des Audiences, t. I, op. cit., liv. 1, chap. 51; Bardet, Recueil d'Arrêts, op. cit., t. I, liv. 2, chap. 40.

11. Supra, no 13.

12. M. Seligmann (Personnes morales, op. cit., no 55), combat la solution de Troplong: «l'Église n'a jamais eu, et surtout n'a pas aujourd'hui la qualité de personne morale » ; première erreur: avant 1789, l'Église était une personne juridique : Desmaisons, Définitions, op. cit., « Legs pieux », no 8 : « Personne ne doute que l'Église en termes généraux ne soit capable de recevoir un legs soit universel, soit particulier »; Denisart, Collection, op. cit., 1784, « Biens ecclésiastiques », § 2, no 1: ... Les différentes personnes soit morales, soit physiques, qui forment ce que nous appelons le Clergé, font un Corps »; Fevret, De l'abus, op. cit., liv. 1, chap. 4, no 11: «Elle a fait ses humbles remontrances aux Roys ses protecteurs et défenseurs sous le nom d'Église Gallicane... Elle a traité et contracté avec eux sous le nom de Congrégation de l'Église Gallicane; Déclaration de décembre 1639, Neron et Girard, op. cit., t. I, p. 908: «... le Clergé, le premier Corps de notre Royaume... » ; Voir dans les Méoires du Clergé, op. cit., t. IX, part. 1, 32 contrats passes devant Notaires et Tabellions, de 1561 à 1705, entre le Clergé de France et les Rois et Receveurs généraux du Clergé.

13. Seconde erreur de M. Seligmann, loc. cit.: « Cette théorie d'ailleurs ne serait applicable qu'aux Congrégations » ; il ne voit pas que la seule raison plausible du systeme de Troplong est que le legs intéresse le service public des Cultes, par conséquent le Public. Il y a d'autant plus lieu de s'en étonner qu'il signale (no 57) une théorie

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