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dant la période d'ouverture; hors de là, il n'y aura pour les propriétaires, possesseurs ou fermiers que l'exercice du droit de légitime défense quand les animaux nuisibles pourront, légalement parlant, être envisagés comme bêtes fauves. Si, au contraire, un préfet prend un arrêté et édicte tels et tels modes de destruction, il faut qu'il se rende bien compte que par le seul fait de cet arrêté, les modes de destruction par lui dénommés seront autorisés en tout temps (pendant toute l'année, en temps de neige et pendant la nuit). C'est ce qu'a très justement décidé la cour d'Amiens dans un arrêt du 29 décembre 1880 (1).

Mais alors se pose la question suivante :

Le préfet peut-il limiter l'emploi de tel ou tel mode de destruction à telle ou telle époque de l'année, an jour, par exemple?

La question se résume à ceci: de ce que la loi a spécifié qu'en tout temps, les ayants droit pouvaient détruire les animaux nuisibles et que, par suite, il ne pouvait pas être question de temps de nuit ou de temps de neige pour défendre d'une façon générale pendant la nuit ou la neige une destruction qui constitue un droit, s'ensuit-il qu'en édictant tel ou tel mode de destruction, les préfets, en prévision de tels ou tels inconvénients qui peuvent advenir, ne puissent pas limiter l'emploi d'un mode de destruction au temps où il fera jour, ou au temps où il n'y aura point de neige? Nous croyons que l'emploi d'un moyen de destruction ainsi limité, et non point prohibé d'une façon générale, constitue bien l'exercice des prérogatives préfectorales en la matière, à savoir les conditions de l'exercice du droit de destruction, et que ce n'est point là, de la part des préfets, défendre d'une façon générale ce qu'autorise la loi; ce n'est point là défendre la destruction des animaux malfaisants ou nuisibles la nuit ou en temps de neige.

C'est ainsi que beaucoup de préfets autorisent toute l'année l'emploi des bourses et furets pour la destruction des lapins, puis autorisent l'emploi des chiens et du fusil seulement depuis la fermeture de la chasse jusqu'au 1er ou au 15 avril, par ce motif qu'il est nécessaire, au printemps, de prendre des mesures plus complètes pour empêcher la propagation des lapins.

Pourquoi un préfet ne considérerait-il pas l'emploi du fusil

1. Dalloz, 1882, 5, 62. Revue forestière, 1882, p. 47.

comme dangereux la nuit pour détruire les lapins? Pourquoi un préfet ne verrait-il pas un danger pour le gibier à employer en temps de neige des chiens pour détruire les lapins?

La Revue des eaux et forêts (1), dans un article intitulé : « Chasse de nuit », a fait ressortir tous les inconvénients d'un arrêté préfectoral qui avait autorisé la destruction de certains animaux malfaisants ou nuisibles (notamment le cerf et la biche), par tous les moyens de chasse en tout temps et même lorsque la terre est couverte de neige; en fait, les voisins des chasses giboyeuses du département en avaient profité pour détruire au fusil (à l'affût la nuit) tous les cerfs; c'était l'extinction complète du gibier à bref délai dans un département.

En supposant même que, quand un préfet a édicté un moyen de destruction des animaux nuisibles il ne puisse pas le limiter, il n'est pas douteux qu'en yertu de ses pouvoirs généraux de police et de sûreté publique, il pourrait, par un arrêté spécial, prohiber l'emploi des armes à feu la nuit, tout comme il peut prohiber l'emploi des armes à feu sur les voies publiques.

C'est donc à très juste raison que la cour de Douai, dans un arrêt du 22 mars 1886 (2), a dit qu'un préfet ne pouvait pas faire défense aux ayants droit de détruire les animaux malfaisants la nuit, c'està-dire prohiber d'une façon générale et absolue leur destruction pendant une partie de l'année.

La cour de Douai, dans les motifs d'un arrêt du 17 février 1897 (3), enseigne que, bien que la loi autorise la destruction en tout temps, elle ne peut s'exercer la nuit que si l'arrêté préfectoral l'autorise. M. Chenu (+) pense que le préfet peut interdire la destruction la nuit, mais que si, dans l'arrêté préfectoral, il y a en tout temps, cela doit s'entendre du jour et de la nuit.

Quant aux modes de destruction, c'est aux préfets seuls à les déterminer en vertu de l'article 9, § 3; ils ne sont point limités par la désignation des modes de chasse spécifiés dans le paragraphe 1 de l'article 9, autre chose étant l'exercice du droit de chasse, et autre chose l'exercice du droit de destruction des animaux nuisibles.

1. 1892, p. 39.

2. Loi du 3 avril 1888. Gaz. du Palais, 1886, 1, 685.

3. Dalloz, 1897, 2, 461; Sirey et Palais, 1897, 2, 233; Répert. for., 1897, p. 617; Gaz. du Palais, 1897, 1, 552.

4. Chasse et procès, p. 141.

Le répertoire Fuzier-Herman (1) enseigne qu'en l'absence de toute disposition prohibitive contenue dans un arrêté préfectoral, << on doit reconnaître aux intéressés le droit de se servir d'armes à feu, car le fusil est l'arme habituelle et normale de la destruction des animaux malfaisants et nuisibles, et qu'il est inutile aux préfets d'en parler s'ils ne veulent pas en prohiber l'emploi ». Et, le répertoire cite à l'appui de cette prétention, absolument erronée suivant nous, un arrêt de la cour d'Orléans du 15 mai 1851 (2); cet arrêt dit que l'article 9, en autorisant à repousser les bêtes fauves avec des armes à feu sans qu'il soit besoin d'arrêté administratif et sans permis de chasse, n'empêche pas les préfets de pouvoir «< prendre des arrêtés pour permettre, suivant les occurrences dont l'appréciation leur est laissée, de détruire, par les moyens qu'ils jugent convenable d'indiquer, sans exclusion des armes à feu, les animaux qu'ils désignent comme malfaisants et nuisibles »>.

Cet arrêt est au contraire en parfaite conformité avec la théorie du Répertoire général de Dalloz (3) enseignant qu'« on ne peut procéder à la destruction des animaux nuisibles qu'en employant les moyens et en remplissant les conditions également déterminées par l'arrêté préfectoral ».

C'est bien ainsi que l'a toujours entendu l'autorité administrative le ministre de l'intérieur disait (4) que « l'usage du fusil n'est jamais un mode de destruction que quand il est autorisé par le préfet ».

La cour de Riom, dans un arrêt du 30 octobre 1902, et la Chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt du 16 janvier 1903 (5), ont statué dans l'espèce suivante: un préfet avait, dans un arrêté permanent, non point énuméré les modes de destruction des animaux malfaisants, mais éliminé un certain nombre de moyens de destruction, et les juges en avaient conclu, par interprétation de l'arrêté, que les moyens de destruction qui n'étaient pas formellement et nommément interdits, notamment l'usage des armes à feu, pou

1. Destr. an. malf., no 106.

2. Palais, 1855, 1, 156; Sirey, 1853, 2, 12; Dalloz, 1852, 2, 292.

3. Chasse, no 193.

4. Bull. off. min. int., 1865, p. 59.

5. Revue des eaux et forêts, 1903, p. 204; Sirey et Palais, 1903, 1, 104; Gaz. du Palais, 1903, 1, 283.

vaient être employés. L'arrêt de Riom ajoutait : « L'usage des armes à feu ne constitue qu'un des modes d'exercice du droit de détruire sur leurs terres les animaux nuisibles, dont sont investis les propriétaires ou leurs ayants droit, et cette interprétation restrictive du texte visé, qui est de règle absolue en matière pénale, s'impose d'autant plus dans l'espèce que l'interdiction de l'arme à feu pour la destruction de certains oiseaux de proie, tels que faucons, éperviers ou pies-grièches, équivaudrait à la négation absolue du droit concédé de les détruire. »

La Chambre criminelle a dit, de son côté, que « le fusil n'étant pas formellement interdit, peut être employé parce que son usage ne constitue qu'un des modes d'exercice du droit de destruction des animaux nuisibles dont sont investis les propriétaires et leurs ayants droit ».

La Revue des eaux et forêts a fait de très justes réserves contre la théorie de droit, qui vient s'ajouter à la question d'interprétation, et cite les deux arrêts de la Chambre criminelle des 11 juin (1) et 2 décembre (2) 1880, disant que la destruction des animaux malfaisants ne peut avoir lieu que dans les conditions fixées par les arrêtés des préfets, à qui l'article 9 a laissé le droit de régler les modes de destruction qui pourraient être autorisés. C'est, au surplus, ce qu'ont dit aussi la cour de Bourges le 18 décembre 1894 (3) et la cour de Paris le 17 février 1899 (4).

Le Sirey et le Palais, en reproduisant l'arrêt du 16 janvier 1903, affirment en note qu'en principe le propriétaire ou un représentant peut se servir d'armes à feu pour détruire les animaux qu'un arrêté préfectoral a déclarés malfaisants, et, à l'appui de son affirmation, l'arrêtiste signale un arrêt de la Chambre criminelle du 27 octobre 1892 (5) qui statuait dans l'espèce suivante: la cour de Paris, par arrêt du 15 mars 1892 (6), avait condamné deux gardes qui, pendant l'ouverture de la chasse, détruisaient au fusil et sans

1. Palais, 1880, 1084; Sirey, 1880, 1, 438; Dalloz, 1880, 1, 281.

2. Palais, 1882, 960; Sirey, 1882, 1, 387; Dalloz, 1881, 1, 335. 3. Gaz. du Palais, 1895, 1, 100.

4. Sirey et Palais, 1899, 2, 109; Gaz. du Palais, 1899, 1, 456.

5. Sirey et Palais, 1892, 1, 608; Dalloz, 1893, 188; Pand. fr., 1893, 1, 105; Droit, 30 novembre 1892.

6. Pand. fr., 1893, 1, 105; Droit, 19 mars 1892.

REVUE D'ADMIN. TOME LXXXIV.

DEC. 1905

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permis des lapins, en présence d'un arrêté préfectoral permettant toute l'année la destruction des lapins au furet avec bourse, et après la fermeture de la chasse seulement au fusil, mais avec une permission du préfet. Dans son arrêt, la cour de Paris avait dit que, d'après l'arrêté préfectoral, il y avait deux périodes de destruction, l'une pendant l'ouverture de la chasse exigeant un permis par application du droit commun, et l'autre pendant laquelle une autorisation préfectorale remplaçait le permis de chasse, et avait condamné sous prétexte que, pendant la chasse les prévenus étaient tenus de se soumettre au droit commun du permis de chasse pour détruire les animaux nuisibles. La Chambre criminelle a cassé l'arrêt de la cour de Paris, parce que le droit commun du permis en matière de chasse n'avait rien à voir avec le droit de destruction. La cour de renvoi (Orléans 3 février 1893 [1]) a condamné pour chasse sans permis, parce que les prévenus ne s'étaient point conformés à l'arrêté préfectoral, et dit que le droit de destruction ne devait s'opérer que suivant les modes autorisés par les arrêtés préfectoraux.

De tout ceci, il résulte bien que c'est par les arrêtés préfectoraux seuls que les ayants droit à la destruction des animaux malfaisants sont investis du droit d'employer tels ou tels modes de destruction; que peu importe le droit commun en matière de chasse édicté par la loi, puisque les modes de destruction ne sont spécifiés que par les préfets, dont les arrêtés peuvent seuls constituer un moyen permis de destruction.

Plusieurs décisions étaient intervenues déclarant aussi que, dans le silence des arrêtés préfectoraux sur l'emploi des chiens, leur usage, ne rentrant pas dans les moyens défendus comme modes de destruction, était autorisé. Mais la cour de Dijon, 8 mai 1895 (2), et la cour de Paris, 8 mai 1899 (5), statuaient en interprétant des arrêtés préfectoraux qui, au lieu de donner la nomenclature des moyens de destruction, indiquaient un certain nombre de modes de destruction défendus.

Invoquer un prétendu principe, une sorte de droit commun (qui apparemment ne peut pas être le droit commun en matière de

1. Dalloz, 1893, 2, 200; Sirey et Palais, 1893, 2, 30; Pand. fr., 1893, 2, 67; Droit, 17 février 1893; Gaz. du Palais, 1893, 1, 677.

2. Aff. Perret, citée au Répert. Fuzier-Hermann, Dest. an. malf., no 102.

3. Sirey et Palais, 1900, 1, 13 (premiere espece).

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