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JURISPRUDENCE

CONSEIL D'ÉTAT AU CONTENTIEUX

(5 avril 1905.)

ÉLECTIONS. ÉLECTIONS MUNICIPALES. — BUREAU Présidé par LE PREMIER RÉGULARITÉ. ANCIEN MAIRE RÉVOQUÉ.

CONSEILLER MUNICIPAL INSCRIT.

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Un ancien maire révoqué n'en continue pas moins de faire partie du conseil municipal, et sa révocation ne peut avoir pour effet de le priver du droit de présider le bureau électoral, quand le maire et l'adjoint en exercice ont déclaré étre empêchés.

Les sieurs Philizot et Leprun, électeurs de la commune de Montsauche, se sont pourvus devant le Conseil d'État contre un arrêté, en date du 30 mai 1904, par lequel le conseil de préfecture du département de la Nièvre, saisi par eux d'une protestation contre les opérations électorales effectuées le 1er mai 1904, dans la commune de Montsauche, pour le renouvellement du conseil municipal, avait validé ces opérations.

Les requérants exposaient que le bureau électoral avait été présidé par le sieur Manat, maire révoqué de la commune de Montsauche, qui ne pouvait, disaient-ils, remplir ces fonctions, à raison de la révocation dont il avait été l'objet.

Le Conseil d'État (première sous-section du contentieux) a rendu

l'arrêt suivant :

Vu la loi du 5 avril 1884;

Ouï M. de Tinguy du Pouët, auditeur, en son rapport;

Ouï M. Dejean, auditeur, commissaire suppléant du gouvernement, en ses conclusions;

Considérant que, si le sieur Manat a été révoqué de ses fonctions de maire, il n'en a pas moins continué à faire partie du conseil municipal et que sa révocation ne pouvait avoir pour effet de le priver du droit de présider le bureau électoral conformément aux dispositions de l'article 17 de la loi du 5 avril 1884, à défaut du maire et de l'adjoint;

Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction, et notamment des lettres jointes au dossier, que le maire et l'adjoint de la commune de Montsauche ont déclaré être empêchés de présider le bureau électoral; SEPT. 1905

REVUE D'ADMIN. TOME LXXXIV.

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qu'ainsi le sieur Manat, premier conseiller municipal inscrit dans l'ordre du tableau, a pu régulièrement présider ledit bureau; qu'il n'est pas d'ailleurs établi que ce fait ait pu porter atteinte à la sincérité du scrutin ; que, par suite, c'est avec raison que le conseil de préfecture a rejeté la protestation susvisée;

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D'après l'article 86 de la loi du 5 avril 1884, les maires et adjoints peuvent être suspendus par arrêté du préfet pour un temps qui n'excédera pas un mois et qui peut être porté à trois mois par le ministre de l'intérieur. Ils ne peuvent être révoqués que par décret du président de la République. La révocation emporte de plein droit l'inéligibilité aux fonctions de maire et à celles d'adjoint pendant une année, à dater du décret de révocation, à moins qu'il ne soit procédé auparavant au renouvellement général des conseils municipaux.

La révocation des maires et adjoints ne porte aucune atteinte à leur situation comme conseillers municipaux ; ils continuent à faire partie du conseil municipal, s'ils n'en doivent pas être exclus pour d'autres causes, et conservent les droits qui leur appartiennent en cette qualité (voir rapport à la Chambre des députés par M. Félix Faure, 29 décembre 1880, cité par L. Morgand., La loi municipale, Ge éd., no 711). Toutefois, la jurisprudence du ministre de l'intérieur avait conclu de l'inéligibilité attachée à la révocation que le maire et l'adjoint révoqués ne peuvent remplir, même temporairement, les fonctions dont ils ont été privés, pendant le temps que dure leur inéligibilité, sans quoi la révocation serait illusoire. M. Morgand estime même que cette incapacité s'étend à la simple suspension, et pour la même raison (no 712). Déjà en 1843, le ministre de l'intérieur s'exprimait ainsi dans ses observations au Conseil d'État sur l'élection de Valenciennes (Arr. 7 août 1843): « Après un examen approfondi de la question en 1837, à l'occasion du sieur Hignard, maire de Pontaven (Finistère), il a été reconnu que le maire ou l'adjoint révoqué ne peut exciper de son rang sur la liste du conseil municipal pour exercer, en vertu de l'article 5 de la loi du 21 mars 1831, les fonctions d'administrateur de la commune. » Cette jurisprudence avait été maintenue sous le régime de la loi du 5 avril 1884 et une décision du ministre de l'intérieur, mentionnée par

M. L. Morgand (6o édit., no 712), porte qu'un maire révoqué ne peut profiter de son rang d'inscription au tableau pour présider le bureau électoral (17 juillet 1886, Lot-et-Garonne).

D'ailleurs, ainsi que le fait remarquer M. Morgand, la question avait été posée à la commission du Sénat par M. Batbie, et le rapporteur n'avait pas hésité à répondre que l'adjoint révoqué en tant qu'adjoint ne peut, en dédoublant sa qualité, prendre le pouvoir municipal comme premier conseiller et que, dans ce cas, la fonction municipale comme adjoint reviendra au second conseiller inscrit au tableau (séance du 4 mars 1884).

Cependant, le Conseil d'État vient, par l'arrêt du 5 avril 1905, de statuer en sens contraire; bien que les motifs sur lesquels sa décision se fonde ne soient pas indiqués, il semble, d'après l'esprit général de la jurisprudence de la haute assemblée, qu'on puisse les formuler ainsi :

L'article 86 de la loi du 5 avril 1884 ne doit pas être étendu au delà de ses termes par voie d'analogie ou de conséquence, puisqu'on se trouve en matière pénale; odiosa sunt restringenda. Or, dans l'article 86, il n'est question que d'inéligibilité pendant l'année qui suit la révocation, mais nullement de l'impossibilité de remplir, même temporairement, pendant ce temps, les fonctions d'administrateur de la commune. Quand le législateur a voulu cette conséquence, il s'en est expliqué nettement, par exemple à l'article 80, qui énumère les cas d'incompatibilité entre certaines situations ou fonctions et la qualité de maire ou d'adjoint. L'article 80 dispose, en effet « Ne peuvent être maires ou adjoints, ni en exercer même temporairement les fonctions... » Ainsi les agents et employés des administrations financières, des forêts, des postes et télégraphes, les gardes des établissements publics et privés, visés par cet article, ne peuvent ni être maires ou adjoints, ni même en exercer temporairement les fonctions lorsqu'ils se trouvent inscrits en rang utile au rang des conseillers municipaux. Mais aucune disposition de ce genre ne figure à l'article 86; le maire ou l'adjoint révoqué ne sont donc pas empêchés par le texte de la loi de remplir temporairement les fonctions de maire ou d'adjoint en vertu de la vocation éventuelle que leur donne leur qualité de conseillers municipaux.

Il est vrai qu'on peut citer dans le sens opposé la déclaration faite au Sénat par le rapporteur, dans la discussion de la loi du 5 avril

1884. Mais le Conseil d'État ne paraît pas attacher une grande importance aux déclarations de ce genre. On l'a vu récemment quand il a admis le recours contentieux direct formé devant lui contre les délibérations des conseils généraux relatives aux sectionnements électoraux. Bien qu'au cours de la discussion de la loi du 5 avril 1884 le Sénat eût rejeté expressément un amendement de M. Batbie, donnant à tout électeur le droit d'attaquer le sectionnement de la commune devant le Conseil d'Etat au contentieux (8 mars 1884), la haute assemblée n'a pas considéré que ce vote s'imposât à elle comme un texte de loi, étant contraire aux principes généraux sur le recours pour excès de pouvoir, et, par deux décisions (31 juillet 1903, Massat; 7 août 1903, Saint-Xandre, Revue générale d'administration, 1903, III, 295), il a reconnu le droit d'attaquer pour excès de pouvoir les délibérations des conseils. généraux, relatives aux sectionnements, au maire, au nom de la commune, et même à tout électeur. Ainsi, le Conseil d'État ne considère pas les votes des assemblées législatives au cours de la discussion d'une loi comme s'imposant à lui, lorsqu'ils sont contraires aux principes généraux et qu'ils n'ont pas adopté un texte formel inséré dans la loi elle-même. A plus forte raison a-t-il pu ne pas tenir compte d'une simple déclaration du rapporteur, non suivie d'un vote.

Il ne faut pas se dissimuler toutefois que la jurisprudence de l'arrêt du 5 avril 1905 peut avoir dans la pratique des conséquences fàcheuses. Souvent, le conseil municipal élit, à la place du maire ou de l'adjoint révoqués, de nouveaux titulaires qui ne font que garder la place, prêts à la céder, après l'expiration du délai d'inéligibilité, aux anciens maires et adjoints, en donnant volontairement leur démission. Pendant le délai d'inéligibilité, ils ne se conduisent parfois que d'après les conseils de l'ancienne municipalité. Il n'y a rien à dire en pareil cas, ces conseils étant purement officieux. Mais qu'arrivera-t-il si le maire et l'adjoint nouveaux se déclarent empêchés et si le pouvoir municipal revient alors de droit, en vertu de l'article 84 de la loi du 5 avril 1884 au maire révoqué, premier conseiller municipal inserit?

L'arrêt du 5 avril 1905 a soin de mentionner qu'à Montsauche le maire et l'adjoint en exercice avaient déclaré par lettres être tous deux empêchés, ce qui avait donné le droit à l'ancien maire révo

qué, premier conseiller municipal inscrit dans l'ordre du tableau, de présider le bureau électoral. Mais qui constatera la réalité de l'empêchement? Rien ne définit cet empêchement, qui peut résulter non seulement de l'absence, fait matériel, mais encore de toute autre circonstance laissée à la libre appréciation du maire ou de l'adjoint. Du moment où celui-ci se déclare empêché, on doit le croire sur sa simple affirmation et l'on voit de suite à quels abus cette pratique peut mener.

D'autre part, si le maire ou l'adjoint révoqués ont qualité pour remplacer les titulaires actuels dans la plénitude de leurs fonctions, en vertu de l'article 84 de la loi municipale, du moment où ils viennent en rang utile dans l'ordre du tableau, ils peuvent être, en vertu de ce même article, désignés par le conseil municipal, lors même qu'ils seraient primés par des conseillers placés au tableau dans un rang supérieur; enfin, ils peuvent, selon nous, être délégués, en vertu de l'article 82, pour remplir une partie des fonctions du maire présent, à défaut d'adjoints empêchés ou absents.

Bien que le Conseil d'État ne se soit pas expliqué à cet égard, c'est là une conséquence qui nous semble résulter de son arrêt, lequel reconnaît expressément au maire et à l'adjoint révoqués qualité pour accomplir, à défaut du maire ou de l'adjoint en exercice, un acte que la loi charge d'accomplir, en pareil cas, les conseillers municipaux dans l'ordre du tableau. La raison de décider est, en - effet, la même, étant donné que la qualité de conseiller municipal conservée par le maire ou l'adjoint révoqués leur donne droit de participer à l'administration de la commune dans les mêmes conditions que les autres conseillers municipaux et sans aucune réserve. Mais alors la révocation devient illusoire et une modification à la législation nous paraît s'imposer. Elle consisterait à ajouter à l'article 86 de la loi du 4 avril 1884 les mots suivants ajoutés en italiques au texte actuel :

<< La révocation emporte de plein droit l'inéligibilité aux fonctions de maire et à celles d'adjoint, et supprime même le droit d'en exercer temporairement les fonctions, pendant une année à partir du décret de révocation, etc. » Cette addition n'avait pas paru nécessaire, à la suite de la déclaration du rapporteur de la loi de 1884 au Sénat, dans la séance du 4 mars de la même année. Elle nous semble s'imposer aujourd'hui.

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