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droits que les institutions politiques devraient respecter et avec lesquels la prudence et la justice voulaient qu'il se fit une transaction qui laissât aux uns la liberté dont ils ont besoin pour se garantir, et aux autres tous les moyens qui leur sont nécessaires pour maintenir leur indépendance.

« C'est de ce principe que sont nées toutes les mesures d'indulgence et de tolérance qui ont tant contribué à affermir le pouvoir du gouvernement actuel de la République, à le faire chérir au dedans et considérer au dehors. Mais le bien qu'il a fait n'eût été que passager, s'il n'avait en même temps conçu le projet de donner au système qu'il avait adopté un caractère de permanence et de publicité qui ne laissât aucun doute sur la pureté et la sincérité de ses vues. Le gouvernement de la République a voulu mettre un terme aux discussions religieuses. Il a voulu que des opinions théologiques ne fussent plus un sujet de discorde entre les ministres du même. culte, ni un principe d'aliénation entre les citoyens et les autorités civiles; et il a compris que le seul moyen d'atteindre à ce but était de rétablir, tout à la fois, entre la République et le Saint-Siège, les liens religieux et politiques qui unissaient autrefois la France et la cour de Rome. »

Ainsi le dix-neuvième siècle commençait en France par rétablir avec Rome des relations diplomatiques qu'au vingtième, on parle de supprimer. Cacault a été le premier et peut-être le plus apprécié d'une série de trente personnages, tous remarquables à des titres divers, prélats, écrivains, grands seigneurs ou diplo

mates de carrière, qui ont porté le titre envié d'ambassadeur de France auprès du Saint-Siège et se sont acquittés fidèlement d'une mission dont l'importance n'a jamais été contestée par un homme politique de quelque valeur. Ils ont plaidé pour notre pays auprès des Souverains Pontifes, et quelquefois pour les Souverains Pontifes auprès de notre pays, avec le sentiment qu'ils défendaient notre intérêt national et notre prestige au dehors. Ils ont réussi, jusqu'à présent, à nous garder à Rome la place d'honneur qui convient à la fille aînée de l'Eglise dans la maison de sa mère. Grâce à eux et aux secrétaires d'Etat avec lesquels ils ont traité, jamais les divergences de vue n'ont abouti à une rupture qui n'est désirée que par nos ennemis. Tous ont compris ce que nous y perdrions et ont eu l'intuition que les deux grandes puissances que l'on voudrait mettre aux prises ont besoin l'une de l'autre pour accomplir leur mission dans le monde. En même temps, nos ambassadeurs ont protégé efficacement une foule d'œuvres qui ajoutent à notre renom de charité ou à notre réputation dans les sciences, les lettres et les arts. Depuis deux ou trois cents ans, suivant le mot piquant de Bernis, ils tiennent le salon de France au carrefour de l'Europe avec une bonne grâce hospitalière, à laquelle rendent hommage la société romaine et les nombreux étrangers qui en profitent.

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« C'était une situation en Europe que d'être Francais sous le Premier Empire », a écrit Beugnot au commencement de ses Mémoires. Quand la France

Bernis, qui donnait beaucoup de dîners, disait l'auberge.

le veut, c'est une situation à Rome que d'être Français. Puisse la France le vouloir toujours! Il faut pourtant bien constater que, pour des raisons qu'il est trop facile d'apercevoir et trop pénible de développer, ce prestige, cette situation privilégiée de notre pays, cette influence acquise par des siècles de sage politique, sont aujourd'hui menacés et que le ministère de la place Beauveau travaille inconsciemment contre celui du quai d'Orsay. C'est à nous, je le crains, que pensait un diplomate spirituel qui disait dernièrement dans un salon du Corso: « On prétend qu'un peuple a toujours le gouvernement qu'il mérite. Je ne le crois pas; mais il y a certainement en Europe des gouvernements qui ont des ambassadeurs qu'ils ne méritent pas. »

CHAPITRE V

L'ULTIMATUM ET LE DÉPART DE CONSALVI POUR PARIS

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Continuation de la guerre en Italie et changement de procédés de la France à l'égard du Pape. Le projet de Bonaparte devant les cardinaux. Le Sacré Collège et les Congrégations romaines. - Discussions du projet dans la congrégation particulière. Le projet romain. Procédés et explications en vue de le faire agréer. Retards forcés. Impatience du Premier consul. Envoi de l'ultimatum. Erreur des hommes d'État. Refus et courage du Pape. Rôle honorable de Cacault. Il obtient le départ de Consalvi pour Paris.

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Tandis que Spina négociait à Paris, la guerre continuait en Italie, où la France, victorieuse à Marengo, poursuivait ses succès contre les Autrichiens et les Napolitains. Pendant les derniers mois de l'année 1800, l'Etat pontifical, ruiné par les passages de troupes et par des réquisitions de toutes sortes, souffrit d'une horrible misère, et la cour de Rome fut livrée à des angoisses continuelles. « Le blé et l'argent nous manquent également, écrivait Consalvi à Spina, et on ne sait où les trouver... Il n'y a pas de force publique. Les vols et les assassinats sont si fréquents que c'est une horreur et une honte... Dans. le palais pontifical, même dans la chambre du Saint

Père, on brûle de l'huile, faute de pouvoir payer des chandelles en cire. >>

Les ennemis de la France exploitaient contre elle cette situation lamentable en la lui attribuant. Pour eux, le Français c'était nécessairement l'impie, le jacobin, le spoliateur, et il ne fallait voir que duplicité et mauvaise foi dans les assurances pacifiques de Bonaparte et ses offres de négociations. Nos soldats justifiaient parfois ces craintes par des inconvenances et des manifestations du vieil esprit révolutionnaire dont beaucoup étaient encore animés, Bonaparte n'ayant pas eu le temps de les en guérir. C'est ainsi que, pendant un armistice, deux officiers, mal stylés par le général Dupont, vinrent à Rome réclamer en termes menaçants l'expulsion de plusieurs émigrés: Willot et quelques Corses, qu'ils prétendaient être enrôlés dans l'armée pontificale. Or Willot n'avait jamais mis le pied à Rome, et le Pape n'avait à sa solde aucun Corse, pour l'excellente raison qu'il n'avait pas encore d'armée. Consalvi se justifia donc sans peine, mais les deux officiers, His et Dupin, n'avaient pas pris le vent et manquèrent de

tact.

« Ils exagèrent beaucoup, écrivait le ministre d'Autriche Ghislieri, la force et l'invincibilité de leur armée. Ils disent sans mystère que l'armée française viendra elle-même chasser les émigrés français et corses, si le Pape ne le fait pas. Ils reçoivent chez eux et traitent familièrement les patriotes romains; ils affectent de faire voir au spectacle et aux promenades leurs uniformes et leurs panaches, malgré tout ce que le secrétaire d'Etat leur a représenté sur

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