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rement Monsieur de Rome. Le roi ayant ainsi réussi à organiser l'Église de France sans le Pape, Dieu imposa au Pape le devoir de réorganiser l'Église de France sans le roi, dont l'autorité reçut pour toujours la grave atteinte qu'avait redoutée Louis XVIII. Nous n'osons espérer que cette leçon soit comprise des pieux gardiens de la théologie et des procédés de 1682, qui n'empruntent à la royauté que ses fautes en s'appliquant à les aggraver toutes.

CHAPITRE II

LES NÉGOCIATEURS

Arrivée des prélats romains à Paris et leur vie.

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Audience du Pre

Pourquoi Bonaparte voulait-il le Concordat?

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Son

Gré

mier consul. Jugements opposés sur sa religion. Bonaparte dans la chaire chrétienne. Ce qu'on peut savoir de ses sentiments réels. Les conseillers religieux de Bonaparte. Talleyrand. hostilité persistante et puissante contre le Concordat. goire. - La constitution civile du clergé. · Influence des schismatiques et leur rôle dans la négociation. train ministre des Cultes.

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M. de Pontchar

Spina et Caselli, arrivés à Paris le 5 novembre 1800, allèrent se loger à l'hôtel de Rome où, suivant la recommandation qui leur avait été faite, ils menèrent la vie la plus retirée, évitant même la société des ecclésiastiques et ne voyant guère, parmi les diplomates, que le ministre d'Espagne, Muzquiz, homme aimable et loyal, qui prenait intérêt à leur mission. On conçoit que l'hiver parut assez mélancolique à ces deux Romains transportés brusquement sous notre climat rigoureux, dans une capitale où ils ne connaissaient personne et où les monuments religieux portaient encore la trace de tant de profanations impies. Vita poco seducente, écrivait Spina, et Caselli confiait ses regrets à son ami Mgr di Pietro, théologien renommé et secrétaire de la Congrégation chargée des affaires de France : « Paris est

une grande ville et je n'ai pas à me plaindre de ma santé ; mais combien je regrette mes petites chambres de San Marcello et nos si agréables promenades!» Ni l'un ni l'autre ne déploya aucun caractère officiel; Spina, seul, à proprement parler, était négociateur, et encore il n'avait aucun pouvoir pour traiter. Il n'était envoyé qu'à titre de simple délégué, come un semplice commissionato, chargé d'explorer le terrain, d'écouter les propositions, de discuter à l'amiable et de faire ensuite son rapport, ad audiendum et referendum. Au milieu des circonstances si extraordinaires, la prudence avait commandé cette précaution. Il ne devait point parler d'autre chose que du rétablissement de la religion en France, car, malgré sa situation si précaire, le Pape avait voulu oublier toutes ses préoccupations de souverain temporel pour ne se souvenir que de ses devoirs de Pontife. « Le Pape veut démontrer son désintéressement et la pureté de ses intentions, et, en ne parlant pas de choses temporelles, le négociateur soutiendra d'autant mieux les intérêts de la religion 1.

Peu de jours après son arrivée, l'archevêque de Corinthe fut reçu par le ministre des relations extérieures, qui lui obtint presque aussitôt une audience de Bonaparte. « L'accueil du Premier consul fut, je puis le dire, un accueil de fête. Il me parla avec beaucoup de respect de Sa Sainteté et montra, pour elle, des dispositions très favorables. Il ne dissimula pourtant pas quelque déplaisir que Sa Sainteté

Il Papa vuol dimostrare il suo disinteresse e la purità delle sue intenzioni. (Instructions données à Spina.)

Festoso.

ne lui eût pas, en sa qualité de Premier consul, notifié officiellement son exaltation, comme elle l'a fait, dit-il, aux rois d'Angleterre et de Prusse et à l'empereur de Russie... Il me répéta ensuite tout ce qu'il avait déjà communiqué à l'éminentissime Martiniana sur ses intentions... Je fis doucement les objections que permettaient une première audience et l'extrême variété des sujets traités dans l'entretien. Je fis remarquer, et je l'espère avec succès, combien on devait apprécier l'adhésion donnée par le Saint-Père à la proposition d'envoyer un délégué à Paris dans des circonstances aussi critiques, au risque d'indisposer les puissances opposées à cette mesure, et combien était prudente la décision que je conservasse un caractère strictement privé. Des paroles obligeantes et l'ordre de conférer pour les affaires avec le ministre des relations extérieures et avec le sujet par lui désigné, terminèrent mon audience qui fut d'une bonne demi-heure et dont j'avoue que je fus très satisfait1. »

Pourquoi Bonaparte voulait-il le Concordat et que pensait-il, au juste, en religion? Historiens, orateurs politiques et prédicateurs ont disserté à l'envi sur ce sujet dont l'intérêt n'est pas épuisé, tant cet homme règne encore sur nous et tant les questions qui se rattachent à sa religion demeurent actuelles, importantes et vivantes! Il y aurait de piquantes moralités à recueillir en étudiant sur ce point les vicissitudes de l'opinion et les appréciations contradictoires. Quel

Spina à Consalvi, 12 novembre 1800.

plaisir, par exemple, de suivre la fortune de Bonaparte dans la chaire chrétienne et de voir comment un genre d'éloquence qui parait immuable ressent le contre-coup des événements politiques et s'inspire des émotions contemporaines! Que d'auditoires ont pleuré de ce qui nous fait sourire aujourd'hui! Il conclut le Concordat, et naturellement la louange du nouveau Cyrus retentit dans toutes les cathédrales qu'il vient de rouvrir et où, jusqu'à la fin de l'Empire, chacune de ses victoires sera saluée par un Te Deum et un mandement d'évêque. Il tombe, et la France épuisée retrouve la paix et la liberté avec son ancienne dynastie. Le roi très chrétien, l'auguste postérité de saint Louis, les princes et les princesses rendus à notre amour, chassent de la chaire l'usurpateur étranger, le tyran sanguinaire, le persécuteur de l'Église, dont la justice divine a châtié les crimes'. Rien de plus naturel. Et, d'ailleurs, quel champ pour l'éloquence que les catastrophes de la Révolution et l'échafaud de Louis XVI! Jamais, assurément, orateur chrétien n'eut à célébrer des infortunes plus tragiques et des morts plus admirables que celles de la famille royale.

Cela n'allait pas toujours sans protestation, et je sais un village de Lorraine, où le prédicateur fut contredit publiquement. Adoptant une légende dont le Pape lui-même a déclaré la fausseté, il racontait avec indignation qu'à Fontainebleau Napoléon s'était porté sur Pie VII à des violences indignes, l'avait renversé et traîné par les cheveux sur le parquet. Pendant ce récit, il y avait un paysan qui s'agitait avec des signes visibles de mécontentement. C'était un ancien soldat rentré dans ses foyers depuis plusieurs années et qui parlait fort peu, parce qu'il bégayait horriblement. A la fin il n'y tint plus et, faisant un effort extraordinaire, il s'écria: « Monsieur l'abbé, ce n'est pas vrai! J'ai vu le Pape, moi, et il n'avait pas de cheveux! ». Le fait m'a été raconté par un témoin auriculaire, et il s'est passé dans le village de M., dont les vicaires de L. faisaient le service religieux.

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