Page images
PDF
EPUB

sous Bonaparte. Il honorait solennellement Washington, ménageait l'opposition, redoutait le Tribunat et le Corps législatif, demandait des conseils et les suivait quelquefois. Or, parmi les hommes qui l'aidaient à réorganiser la France et dont il ne pouvait se passer, parmi les savants dont il goùtait la conversation, parmi ses compagnons d'armes, aucun n'approuvait l'idée de restaurer le catholicisme, et tous, dès qu'ils soupçonnèrent son projet, le blâmèrent ouvertement. Il y eut même un de ces opposants qui fut durement remis à sa place. « Bonaparte, en s'entretenant avec Volney du Concordat de 1801, lui ayant dit qu'il était dans l'intention de rétablir le culte et de salarier le clergé, celui-ci blâma hautement ce dessein, alléguant qu'il suffisait de rétablir la liberté des cultes et de laisser à chacun le soin et la charge d'entretenir, de payer les ministres de celui qu'il professe. « Mais, dit Bonaparte, la France me demande l'un et « l'autre. Eh bien, répliqua Volney (peut-être avec «< cette morgue qui lui était familière), si la France. « vous redemandait les Bourbons, les lui accorderiez<«< vous? » A ces mots, Bonaparte, ne se possédant plus et livré à un de ces accès de colère auxquels il se laissait, dit-on, aller assez fréquemment, frappa du pied le ventre de Volney assez rudement pour le renverser; puis ayant sonné pour qu'on le relevât, il donna froidement l'ordre de le conduire à sa voiture >>.

• Souvenir d'un nonagénaire, t. II, p. 197. C'est un des livres les plus intéressants qui aient été écrits sur l'ancien régime et la Révolution. L'auteur, Besnard, dont les Souvenirs n'ont été publiés que longtemps après sa mort, était un prêtre angevin défroqué, dont les appréciations ne doivent être accueillies qu'avec beaucoup de réserves, mais dont les récits sont très précieux. Il était ami particulier de Volney.

Les conseillers autorisés de Bonaparte, ceux auxquels il ne pouvait donner de coups de pied, s'y pri rent plus adroitement que Volney et organisèrent un travail habile et sournois pour entraver la négociation avec Rome et en amener, s'il se pouvait, la rupture. Que le Pape fût le chef de l'Église et qu'il fallût s'arranger avec lui pour gagner la confiance des catholiques, c'est tout ce que savait le Premier consul en théologie politique, mais il n'entendait rien à toutes les questions graves et délicates que soulevait la négociation, et il ne rencontra point, pour l'instruire, un prêtre dont le caractère lui inspirât confiance et dont la science lui imposât, comme plus tard M. Emery. Il avait beaucoup lu Mably, et, au sujet de Rome, il mêlait à de grandes vues d'homme d'État des préjugés qu'entretinrent soigneusement deux catéchistes fort suspects qui s'appliquèrent à lui faire la leçon.

Le premier était un défroqué de grande maison, de grande allure, d'une désinvolture de conscience supérieure, comme son esprit, qu'on appelait alors le citoyen Charles-Maurice Talleyrand. Il avait inauguré le schisme constitutionnel en célébrant la messe de la Fédération et en sacrant les premiers évêques intrus. Puis, il s'était dégagé de la nouvelle Église avec autant d'aisance que de l'ancienne et, revenu d'émigration, il avait embrassé la vie la plus laïque, dont il goûtait toutes les libertés en compagnie d'une Anglaise, protestante et divorcée, Mme Grand. Mathan a beau s'envelopper de nonchalance élégante et paraître indifférent à ses propres apostasies, le temple l'importune encore et il voudrait bien qu'il restât

toujours fermé, de peur que les fidèles, en y rentrant, ne remarquent sa place vide et ne rappellent ses sacrilèges! Or Mathan se trouvait être, en 1800, ministre des relations extérieures et chargé officiellement de traiter avec Rome. Il se garda bien de heurter de front le Premier consul et accueillit Spina avec cette immuable politesse qu'il avait sauvée de tous ses naufrages; mais ses vrais sentiments n'en furent pas moins connus, et Cobentzel avait les meilleures raisons d'écrire à l'empereur :

« En général, Talleyrand a toujours montré la plus mauvaise volonté pour le rétablissement de la religion catholique en France; ce qui s'explique assez bien par l'embarras qui en résulterait pour lui, vu son ancienne qualité d'évêque 1. »

L'ancien évêque, sans contredire ouvertement, s'appliqua donc à manquer de zèle, à soulever des incidents et à ralentir les choses en gênant les relations de la cour de Rome avec ses mandataires. Puis il persuada au Premier consul de se défier de son premier mouvement, qui avait été le bon, en évoquant devant lui les deux grands fantômes qui ont été la terreur des souverains d'autrefois et ont encore produit leur effet de nos jours le Pape de Canossa et l'adversaire de Philippe le Bel.

<< Il parait que les ministres de la cour de Rome ont vu dans la négociation une occasion favorable à son ambition... L'intention du Premier consul n'est pas de rétablir un culte superstitieux, intolérant et subjugué par une influence étrangère. Il veut relever

Dépêche du 10 juin 1801.

le catholicisme, non tel que les théologiens de Grégoire VII et de Boniface VIII ont voulu l'imposer aux nations chrétiennes, mais tel qu'il a été reçu en France lorsque ce royaume s'est converti à la foi chrétienne... Je recommanderai aux négociateurs de s'inspirer de ces idées, la volonté ferme et arrêtée du gouvernement français étant de relever les autels d'une religion qui soit aussi libre et aussi pure que celle qui a été professée par nos ancêtres. » Qui se serait attendu à voir Clovis érigé en patron des quatre articles?

Préoccupé de cette religion « libre et pure », Talleyrand protège avec une sollicitude particulière les prêtres mariés, dont il veut imposer au Pape la réhabilitation canonique et officielle, tandis que les prélats romains voudraient tout simplement les renvoyer au grand pénitencier. A chaque phase de la négociation le ministre introduit son bâton dans la roue, si bien qu'à la fin on n'arrive à signer que parce qu'il est absent et parti pour les eaux, circonstance que Consalvi regarde comme providentielle. Mais, en s'en allant, il a lancé sa flèche de Parthe et suggéré un changement de rédaction qui remit tout en question et faillit amener la rupture. Les deux pauvres prélats se heurtent pendant des mois à cette opposition implacable dont ils osent à peine se plaindre dans leurs dépêches qui sont décachetées et lues, et c'est seulement quand Caselli peut se confier à un courrier sûr qu'il soulage son cœur en écrivant à Mgr Di Pietro Abbiamo molti nemici e sopra tutti uno implacabile e potentissimo in Autun1.

:

« Nous avons beaucoup d'ennemis et par-dessus tout un implacable et très puissant dans Autun. » (Caselli, lettre inédite du 1er juin 1801.)

La convention signée, Talleyrand songea à conclure son concordat particulier. Napoléon a raconté, à Sainte-Hélène, qu'il avait pensé à le réconcilier complètement avec l'Église pour le faire ensuite cardinal et le voir continuer Mazarin. L'ancien évêque d'Autun se rendit justice: il demanda seulement au Pape de lui concéder Mme Grand. Sa requête, appuyée hélas ! par le cardinal Caprara et par le Premier consul, prit l'importance d'une affaire diplomatique de premier ordre. Pie VII refusa nettement la concession matrimoniale et n'accorda qu'un bref de sécularisation qui, moyennant une aumône faite aux pauvres d'Autun, permettait à l'ancien évêque d'exercer les fonctions civiles et de communier à la manière des laïques.

En 1814, Talleyrand était devenu le ministre des affaires étrangères de Louis XVIII et, de la même main qui avait signé la ratification du Concordat, il rédigeait pour l'ambassadeur du roi des instructions qui en demandaient l'abrogation, parce que « tous les actes obtenus du Saint-Siège par le gouvernement précédent ont été l'ouvrage de la contrainte et que, depuis 1797, tout est à revoir et réparer ».

Il ne se vantait point alors d'avoir pris part au Concordat et se réservait cette louange pour ses Mémoires où il affirme qu'il a puissamment contribué à la grande réconciliation de la France avec le Saint-Siège. Il y a contribué de la même façon qu'à Rome le promoteur de la foi contribue aux canonisations. C'est celui qui fait les objections et qu'on appelle familiè

T. I, p. 284.

« PreviousContinue »