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Champion 9-3-25 11420

PRÉFACE

DE L'ÉDITION ALLEMANDE

Mes travaux me ramènent continuellement à étudier la France, notre voisine de l'Ouest, car j'ai acquis la conviction que, parmi tous les autres peuples civilisés, c'était celui dont les conditions d'existence, malgré bien des différences, se rapprochaient le plus des nôtres; et je crois que les expériences tentées dans ce pays peuvent avoir pour l'Allemagne une grande utilité. Aussi, après avoir écrit les Finances de la France, m'a-t-il semblé que la connaissance de la politique française en matière de chemins de fer, si étroitement liée à la politique financière, pouvait avoir un certain intérêt; cette opinion sera, comme je l'espère, partagée par tous ceux qui voudront bien lire l'ouvrage où j'ai consigné les résultats de mon enquête.

Dans le cours de cette étude j'essayerai, par une exposition impartiale des éléments fondamentaux du système des chemins de fer en France, de redresser bien des erreurs d'appréciation qui circulent en Allemagne2; cette enquête et les conclusions que j'en tirerai seront d'autant plus décisives qu'elles s'appuieront, avant tout et exclusivement, sur des faits réels et sur des chiffres contrôlés.

Ainsi, je ne me suis pas contenté d'examiner les manuels, les commentaires, les ouvrages de polémique, mais je me suis efforcé surtout de remonter aux sources; il me faut citer à cet égard, et pour

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française de Dulaurier et de Riedmatten. Paris, 1885, chez Guillaumin.

2. On s'en aperçoit notamment en lisant M. G. Cohn, l'historien si remarquable des voies ferrées en Angleterre. Voir particulièrement sa brochure Der Staat und die Eisenbahnen, dans les Jahrbücher für Nationalökonomie und Statistik, 1879, pages 36 et 37.

maintes raisons, le remarquable traité de M. Alfred Picard : les Chemins de fer français1.

Mais les véritables sources sont le Journal officiel (autrefois Moniteur universel), le Bulletin des Lois, le Bulletin du Ministère des Travaux publics (qui ne paraît plus depuis la fin de 1894) et les statistiques officielles, à savoir:

1o La Statistique des chemins de fer français 2: le premier volume, Documents principaux 3, contient les renseignements relatifs aux longueurs de réseaux, aux principales conditions des concessions, au capital réalisé par les Compagnies, aux résultats généraux de l'exploitation (chiffres provisoires); le second volume, Documents divers, I partie, ne s'occupe que des lignes d'intérêt général; quant au troisième volume, il concerne particulièrement les lignes d'intérêt local, les tramways subventionnés par l'État, les chemins de fer de l'Algérie, de la Tunisie et des Colonies;

2o La Statistique de la navigation intérieure en France (les volumes I et II paraissent également avec un retard de deux ans); 3° L'Annuaire statistique de la France (annuel);

4° L'Album de statistique graphique (également annuel).
Ensuite j'ai consulté:

Les Exposés des motifs des projets de budget, les Rapports de la Commission du budget, surtout ceux qui traitent plus particulièrement des questions de chemins de fer;

Les Lois de finances, ainsi que les projets de lois, rapports, débats parlementaires et enquêtes, relatifs aux chemins de fer.

Enfin, j'ai parcouru les comptes rendus aux actionnaires des six grandes Compagnies françaises. Les tableaux statistiques et les bilans annexés à ces comptes rendus, permettent d'établir le premier volume de la statistique des chemins de fer, Documents principaux's.

1. Paris, 1885.

2. J'ai pu me servir du premier volume de l'année 1894; mais mon ouvrage a été terminé avant la publication du deuxième et du troisième volume.

3. Ce volume paraît généralement deux années après celle dont il fait connaître les résultats.

4. Il faut remarquer, lorsqu'on utilise ces documents officiels que plus les événements décrits et les résultats donnés sont récents, plus les chiffres afférents sont provisoires; aussi celui qui. après moi, s'occupera du système des chemins de fer français trouvera-t-il nécessairement, dans beaucoup de cas, des chiffres différents de ceux que je puis indiquer aujourd'hui pour les dernières années. Il va sans dire que les projets de loi et les décisions du Gouvernement, les rapports et les discussions parlementaires, en un mot tout ce qui

La plus importante de ces sources me semble se composer des débats à la Chambre des députés et au Sénat et particulièrement des Rapports des Commissions parlementaires. Dans ces deux séries de documents se reflètent les intentions et les opinions des hommes politiques qui, successivement, ont tenu en main le gouvernail de l'État; on y découvre aussi les appréciations des élus du peuple et, par suite, les dispositions changeantes des électeurs, c'est-à-dire de la nation. elle-même. On a, pour ainsi dire, par écrit, les tendances et les dispositions de tous ceux qui donnent leur impulsion à la politique du pays, mais qui ordinairement ne font pas connaître leur avis dans des publications ou dans des brochures.

Il est difficile de se rendre compte de l'influence qu'exercent, sur l'opinion publique, la littérature et surtout la presse périodique, car il arrive souvent que toutes les deux sont à la remorque de l'opinion publique qu'elles prétendent diriger. Aussi aura-t-on une idée beaucoup plus vraie de cette opinion publique en étudiant les déclarations de ses représentants naturels, de ceux qui sont, pour ainsi dire, ses porte

a été publié, ne se rapporteront plus à ces chiffres provisoires aussitôt qu les résultats définitifs seront connus. Il y a lieu aussi de constater que la vérification des comptes de l'exploitation d'une année ne se fait pas toujours en une seule fois, mais qu'elle passe souvent par plusieurs phases:

Les chiffres établis par les Compagnies de chemins de fer sont d'abord, s'il y a lieu, rectifiés par les fonctionnaires du service du contrôle, qui déclarent par exemple que telle ou telle dépense doit être portée au compte d'exploitation ou bien au compte d'établissement, et qui demandent en conséquence, à la Compagnie, des changements d'imputation de dépenses. Les Compagnies opèrent en général, sans la moindre résistance ces modifications qui proviennent, de fautes de calcul, d'erreurs matérielles ou de malentendus.

A cette première rectification, qui donne déjà des chiffres nouveaux, s'ajoutent les redressements de la Commission de vérification des comptes. Cette Commission, qui est la véritable autorité en matière de contrôle financier, ne peut terminer les travaux afférents à une année d'exploitation que plusieurs années après la production du compte.

Si les Compagnies se croient lésées dans leurs intérêts par les propositions de la Commission, les chiffres arrêtés par cette dernière ne deviennent définitifs que plus tard, quand le désaccord a cessé, soit par une transaction, soit à la suite d'un arrêt rendu par le Conseil d'Etat, tribunal administratif suprême.

Les divers règlements prescrits par ces juridictions successives ont pour conséquence des rectifications des chiffres d'ensemble.

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La détermination de la garantie annuelle à payer par l'Etat aux Compagnies de chemins de fer est un exemple topique, qui mérite d'être décrit avec plus de détails, pour démontrer qu'un même élément de compte peut apparaître en comptabilité avec les chiffres les plus dissemblables, selon qu'on la considère à des points de vue différents — comme résultat comptable des écritures des Compagnies ou comme crédit budgétaire de l'Etat. Lors de la présentation du projet de budget, le Gouvernement est forcé, avant la fin de l'année, d'évaluer (premier chiffre) le montant de la garantie afférente à l'année courante et qui ne sera payée par l'Etat que dans l'exercice suivant; pour faire cette évaluation, il faut tenir compte des résultats des exercices antérieurs et des produits déjà connus de l'exploitation pendant les premières semaines de l'année courante. Pendant le cours des travaux de la Commission du budget, on arrive à connaître les résultats de l'exploitation de plus des trois quarts de l'année courante, quelquefois même de l'année entière ; aussi cette Commission est-elle en mesure (deuxième chiffre) de rectifier l'évaluation primitive

parole. Il en est toujours ainsi dans un pays où la représentation nationale a une influence décisive sur la politique par ses débats, par ses discussions avec le Gouvernement, qui ne peut vivre qu'à la condition (suivant une expression très française) de suivre le courant de l'opinion publique.

Le système des chemins de fer s'est développé en France comme il n'aurait pu le faire dans aucun autre pays. J'espère pouvoir démontrer que, dans chacune de ses phases, ce système est resté adéquat à l'esprit national; j'essaierai également de faire comprendre l'influence que le développement de ce vaste domaine a eu sur la vie politique, économique et sociale de nos voisins.

Rien n'est plus éloigné de ma pensée que de vouloir soutenir que ce développement a été, d'une façon absolue, bon ou mauvais. Nulle part, dans les choses et dans les relations humaines, on ne trouve

du Ministre. Souvent même, à la dernière heure, avant de clore ses travaux, elle peut faire état (troisième chiffre) des demandes définitives de garantie faites par les Compagnies telles qu'elles résultent de leurs écritures et avant toute vérification. Voilà donc deux, parfois même trois chiffres pour la garantie d'une année avant que le service du contrôle de l'Etat l'ait (quatrième chiffre) même approximativement fixée. Quelques années plus tard, on aura (cinquième chiffre) le montant définitif de la garantie arrêté par la Commission de vérification dont il a été parlé plus haut. Au budget lui-même, sous la rubrique d'avances de garantie à payer par l'Etat, on ne voit apparaître aucun des cinq chiffres dont je viens de parler, mais un autre (sixième chiffre) qui se compose: 1° de provisions (en général de 836) sur les garanties prévues et de paiements, après règlement définitif, des soldes sur les arriérés des exercices antérieurs. En conséquence, entre les chiffres budgétaires et le chiffre de la garantie tel qu'il ressort des résultats de l'exploitation, on peut trouver des écarts importants qui ne sont pas toujours nettement distingués dans les diverses publications. Enfin il arrive aussi que les Commissions du budget, dans leurs études rétrospectives des charges incombant à l'Etat du fait de la garantie d'intérêts, les résument sous une forme telle que, pour les exercices déjà vérifiés (dont le reliquat de garantie est arrêté), les soldes liquidés, mais non encore payés, sont totalisés avec les prévisions déjà payées (septième chiffre). Il en résulte que ces soldes ne sont pas appliqués à l'année de l'encaissement, mais à l'année pendant laquelle le paiement aurait dù avoir lieu.

Dans ces études rétrospectives, les paiements de garantie paraissent concorder avec les liquidations de garantie (bien entendu, les quidations vérifiées). Par contre, les prévisions de paiements de garantie ne peuvent pas concorder avec les sommes inscrites dans les budgets. Ces dernières sommes représentent réellement le total des paiements faits pendant l'année, au titre de la garantie d'intérêts.

Par cet exemple, on voit qu'un certain nombre de chiffres pris aux diverses sources officielles énoncées ci-dessus, non seulement peuvent, mais même doivent différer entre eux; d'autre part, il est certain que toutes ces divergences concernant le même élément de compte peuvent modifier des chiffres isolés et même, à l'occasion, des pourcentages; mais au fond ces divergences sont sans importance; aussi peut-on considérer le tableau actuellement présenté dans cette étude comme répondant à la réalité des faits.

Dans mon ouvrage les Finances de la France, particulièrement dans l'introduction, aux pages 26 et suivantes, 469 de la traduction française, j'ai expliqué les variations que les chiffres subissent généralement dans le système financier français: je prie donc, pour ces différences de chiffres, d'après les diverses sources citées dans le présent ouvrage, de se reporter entre autres aux pages 347-565-645 et à la note 2 de la page 643).

l'absolu ; il faut uniquement se contenter de rechercher le mieux relatif, qui varie avec les pays et les circonstances.

Prétendre que l'enseignement théorique d'un individu, d'une école, ou que le mot d'ordre d'un parti peut être la vérité absolue, soutenir que ce qui se pratique dans un pays est d'une justesse certaine, parce que les événements se sont accomplis d'une façon et non d'une autre, ce sont là des erreurs que, dans la mesure de mes faibles moyens, j'ai toujours combattues autant que possible. J'ai essayé dans toutes mes études de faire des comparaisons équitables, pour arriver à démontrer que, par les voies les plus opposées, avec des moyens absolument différents, les divers pays ont plus ou moins atteint le but répondant à leurs propres besoins.

De pareils rapprochements sont souvent très utiles; ils peuvent nous préserver de l'absurdité, nous enseigner la vérité; mais, en tous cas, ils nous amènent à juger d'une façon objective les choses qui nous sont étrangères.

L'objectivité, en effet, a pour sœur la vérité; mais on apprécie rarement ces deux sœurs, à cause de leur simplicité et du soin qu'elles prennent à se tenir à l'écart. La foule leur préfère une brillante subjectivité, car celle-ci sait, par toutes sortes de moyens, répéter et proclamer qu'elle seule possède et connaît la vérité. Certes, il est fort intéressant d'écouter religieusement les histoires et les contes que débite la subjectivité aux lieu et place des démonstrations objectives des faits réels; certes, il est fort curieux de voir assurer et de démontrer historiquement que notre nation a fait de grandes choses, tandis que nos voisins sont des sots ou des fous; certes, il est bien plaisant de voir un de nos conteurs nous annoncer qu'il a découvert une formule pour réformer et améliorer les misérables conditions d'existence de la société actuelle1.

Mais, par contre, la vraie science historique nous enseigne que seule la Logique prévoyante a le dernier mot, parce qu'elle s'appuie sur des expériences précises faites de côté et d'autre, tandis qu'à la longue la politique de sentiment, la politique des appréciations subjectives, a toujours fait fausse route.

Cela a été et c'est encore l'erreur fondamentale de ceux qui s'imaginent pouvoir établir un Etat idéal, conçu sur leur table de travail,

1. Dans ses Grenouilles, Aristophane avait déjà signalé pareil procédé : Eurypide, prétend-il, a tellement vulgarisé la science qu'à Athènes tout le monde est philosophe et que chacun sait soigner sa maison, ses champs, sa ferme, son bétail, comme personne ne l'avait su faire auparavant.

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