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III

En 1763, c'est-à-dire à une époque où toutes les questions scolaires étaient à l'ordre du jour, paraissait un volume in-12 sans nom d'auteur, sous le titre De l'Éducation publique. L'opinion fut unanime à désigner Diderot comme l'auteur de ce livre.

:

La France littéraire de 1769 adopte cette attribution.

Un biographe du temps, Desessarts (dans les Trois siècles littéraires de la France), mentionne, parmi les écrits de Diderot, « cette brochure qu'on distingua parmi celles que l'apparition de l'Émile et la destruction des Jésuites firent éclore ».

Un autre contemporain très compétent, très versé dans la connaissance des ouvrages d'enseignement, auteur lui-même de divers traités sur l'Éducation, Borrelli, dans son Journal de l'Instruction publique, paru en 1793, dès le premier numéro et à la première page de son recueil, commence l'examen de cet ouvrage auquel il consacre sept articles consécutifs. « Diderot, dit-il, a fait peu d'ouvrages plus estimables que celui qui a

pour titre De l'Éducation publique. La plupart des plans qui y sont tracés ne conviennent plus sans doute au nouveau régime établi en France, mais il est rempli d'excellents principes, et, sous cet aspect, il ne peut être trop médité par nos législateurs, dans un moment où ils vont s'occuper de l'organisation des écoles nationales. »

L'Essai d'Éducation nationale ou plan d'études pour la jeunesse, de Messire Louis-René de Caradeuc de La Chalotais, a été publié en 1763, c'est-àdire la même année que l'ouvrage anonyme sur l'Éducation publique.

Nous lisons dans le post-scriptum (p. 150 et suiv.): « Après avoir achevé ce mémoire, il m'est tombé entre les mains une brochure intitulée : De l'Éducation publique. Je me suis rencontré dans le point important, qui est la fixation des objets d'études, avec un homme qui paraît avoir des connaissances étendues dans l'encyclopédie des sciences et qui sait tirer des lignes de communication de l'une à l'autre.

<«< Ma première idée a été de supprimer mon mémoire comme devenant peut-être inutile. Ce n'est pas la peine de faire lire deux fois les mêmes choses; mais comme je me trouve d'un avis différent de cet auteur sur la qualité des maîtres et sur

des détails essentiels, on m'a conseillé de donner cet ouvrage au public...

<«< Je crois, au surplus, que notre plan est bon, et qu'il peut être utile; je dis notre plan, car il est à peu près le même, nous ne différons que dan s l'exécution et en ce que cet auteur exclut les séculiers que je voudrais, et qu'il admet beaucoup d'é – coles que je ne voudrais pas... >>

Il semblerait d'après ces citations que, si la paternité d'un livre anonyme est solidement établie, c'est bien celle de notre ouvrage. Cependant les critiques d'aujourd'hui ne s'occupent plus guère de ce petit écrit. M. Compayré, dans son importante Histoire des doctrines de l'Éducation en France, ne lui consacre qu'une mention déda igneuse. Quelle est la cause de ce revirement subit? Elle est très simple: Un bibliographe bien connu, Barbier, dans son Dictionnaire des anonymes, a prétendu que le livre attribué à Diderot n'était pas de lui. « La moitié de cet ouvrage, disait-il en 1806, paraît écrite par un philosophe et l'autre moitié par un janséniste1. » Plus tard il relevait dans un exem plaire une note manuscrite qui le donnait à J. B. L.

1. Barbier ajoute cette réflexion (omise dans l'édition AssezatTourneux): « C'est sans doute ce qui a empêché Naigeon de l'insérer dans la collection des œuvres de Diderot. Je serais porté à

Crévier et il ajoutait : « Le caractère connu de ce professeur rend cette note très vraisemblable. »

Nous relevons cette courte mention dans le tome XX des OEuvres complètes de Diderot publiées en 1877 chez Garnier, par L. Assezat et Maurice Tourneux, page 99, à l'article Écrits apocryphes, cinq lignes dans une édition où l'on s'est efforcé de réunir les moindres écrits, inconnus ou inédits, échappés à la plume de Diderot, et c'est tout! Les savants éditeurs, dont il n'est pas besoin de faire l'éloge, n'ont pas jugé utile de soumettre la question à un nouvel examen. Ils ont accepté purement et simplement l'arrêt du bibliographe Barbier.

Un si bon exemple devait être suivi par les écrivains les plus compétents sur les choses d'éducation.

Dans le Dictionnaire de pédagogie, publié par M. Buisson (t. I, 1887), nous trouvons à l'article << Bibliographie », année 1762, la mention suivante:

« De l'Éducation publique, in-12, 236 pages, attribué à tort à Diderot. Cet ouvrage est probablement de Crévier 1.

croire que celui-ci l'a rédigé sur des notes qui lui ont été fournies par un disciple de Port-Royal. » (BARBIER, Dict. des anonymes,t. I, 1822. Paris, Barrois aîné.)

1. Le Dictionnaire de pédagogie a déjà rendu et rend encore de grands services. Mais, une publication aussi vaste, où se trouvaient

Dans son Histoire critique des doctrines de l'Éducation en France, Hachette, 1879, t. II, p. 196, M. Compayré écrit :

<«< Il est reconnu aujourd'hui qu'on doit attribuer non à Diderot mais à Crévier un ouvrage anonyme publié en 1763, à Amsterdam, sous le titre De l'Éducation publique. Crévier, continuateur estimable de Rollin, dont il était l'élève, ne mérite guère de souvenir que pour avoir écrit l'Histoire de l'Université de Paris en abrégeant l'ouvrage de Du Boulay.

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Ce pauvre Crévier, le voilà exécuté en effigie à propos d'un livre qu'il n'a peut-être jamais commis! On a remarqué, en effet, l'argument qui a déterminé Barbier et qui a paru suffisant, après lui, aux derniers éditeurs de Diderot, au rédacteur du Dictionnaire de pédagogie, à M. Compayré, c'est la note manuscrite qui attribue l'ouvrage à Crévier; je ne sais qui me disait qu'il avait entre les mains une édition de la Henriade, avec une note qui l'attribuait à Jean-Jacques.

On voit du reste la progression; Barbier émet

étudiées, au point de vue historique et critique, une foule de questions peu connues jusqu'à ce jour, ne pouvait éviter nombre d'imperfections qu'elle aide elle-même à découvrir. Aujourd'hui, l'ouvrage a déjà vieilli; il n'est plus tout à fait au point; on souhaite une nouvelle édition, abrégée, d'un format plus commode et moins dispendieux, comme il en existe, sur le même sujet, dans plusieurs autres pays.

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