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heure de la durée, l'univers connu est sa chose, le monde lui appartient. Il fait et défait les peuples, il extermine et il pacifie, il légifère, il gouverne, il fait sentir partout son autorité, il crée l'unité de foi dans l'empire universel. Mais après lui, son œuvre se dissout, les éléments soudés ensemble se désagrègent, les instincts égoïstes et les initiatives individuelles se donnent de nouveau librement carrière. En particulier, les établissements d'instruction, les corporations enseignantes, conserveront, même sous la monarchie absolue, leur autonomie, luttant entre elles, faisant appel aux puissances ecclésiastiques et civiles, pour défendre leurs privilèges et rehausser leur prestige, jusqu'aux temps modernes, jusqu'à la constitution définitive des grands États contemporains.

A vrai dire, et sauf exception, ce n'est guère qu'au xvme siècle que l'idée d'une éducation publique et nationale se fait jour, et particulièrement dans les écrits de Rousseau, cet allumeur d'esprits, dont les vues sublimes ou généreuses ont rayonné sur tous les peuples, qui est encore lu, commenté, admiré partout, excepté en France, sa patrie d'adoption, qu'il enivra si longtemps, si complètement de la capiteuse liqueur platonicienne et où il est de mode aujourd'hui de travestir son œuvre et de

décrier sa mémoire. Quant à moi, pénétré de respect et même d'une sincère admiration pour les talents supérieurs de certains adversaires de Rousseau, je n'en déplore pas moins ces représailles contre le génie et je déclare, en toute franchise, ne pas pouvoir m'y associer 1.

Arrêtons-nous au seuil de la Révolution qui sera le point de départ de nos études. Il n'entre pas dans mon plan de vous parler aujourd'hui de cette époque mémorable où tous les principes qui inspirent aujourd'hui l'éducation publique en France et à l'étranger ont été, sinon résolus, du moins posés, avec une force et une clarté admirables. Il a manqué à cette puissante génération d'hommes, pour faire entrer ces principes dans la pratique, trois facteurs sans lesquels rien n'est possible en éducation : le temps, les maîtres et la finance, comme disait Danton. C'est au régime libéral et parlementaire que l'on doit, dans la plupart des pays, l'exécution plus ou moins complète de ce grand programme; seul, un tel régime pouvait accomplir une réforme aussi considérable et qui exigeait de la nation de si importants sacrifices.

1. On vient d'élever, sur la place du Panthéon, un monument à Rousseau. La cérémonie, il faut bien le constater, s'est accomplie au milieu de l'indifférence générale. Jean-Jacques est aujourd'hui bien mal connu ou bien oublié.

Je n'ai pas la prétention, Messieurs, d'embrasser dans quelques leçons tout l'ensemble et le détail des questions si nombreuses, si complexes, d'un intérêt si ancien et si universel, qui peuvent paraître comprises sous ce titre : l'Enseignement en France et à l'étranger1.

1. Nous croyons devoir reproduire le programme de notre enseignement que nous empruntons à l'Annuaire des cours de l'École libre des Sciences politiques pour l'année 1888-1889.

OBJET ET CARACTÈRE DU COURS

État de l'instruction publique en 1789. L'enseignement sous la Révolution. - L'Université impériale et le monopole. La loi Guizot. Discussions parlementaires sous le gouvernement de Juillet. - Loi de 1850. La législation scolaire sous la troisième République.

Organisation générale actuelle. Les trois degrés d'enseignement; leur rôle au point de vue politique et social.

Enseignement primaire. Programmes; obligation; gratuitė; laïcité; l'esprit de l'enseignement; comparaison avec l'étranger (France, Allemagne, Suisse, Amérique).

Enseignement secondaire. Discipline et internat (France et Angleterre). Programmes enseignement classique et enseignement moderne. Les écoles commerciales et industrielles. L'enseignement secondaire des jeunes filles.

Enseignement supérieur.

Facultés françaises et Universités étrangères. Les grandes écoles et le système universitaire. Recrutement du personnel. Libertés et privilèges académiques. De la sécularisation et de la liberté de l'enseignement (historique et état actuel). Enseignement libre, son esprit, ses ressources, son utilité. Libertés municipales (Paris et Berlin). Statistiques et budget des écoles publiques et privées. Les examens d'État baccalauréat, certificats exigés à l'entrée des di

verses carrières.

Conclusions.

:

L'Etat et l'enseignement.

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Assurément le sujet est immense et magnifique; et même, à ne considérer que les derniers siècles de notre ère, il est besoin de faire un grand effort d'imagination pour fixer en traits nets et précis l'ondoyante image qui se développe sans fin devant nos yeux. L'histoire des faits, c'est-à-dire des écoles et des études, l'histoire des doctrines, des programmes, des méthodes, dans tous les pays et en toutes les langues'; enfin l'organisation contemporaine, placée dans le milieu politique et social, et considérée tour à tour dans ses rapports avec l'individu, la famille, la commune, l'État et le monde civilisé; tant de sources imprimées ou manuscrites à consulter ces fines miniatures et ces grossières estampes, témoins naïfs mais peu prolixes des anciens temps, ces chartes et ces parchemins réunis et conservés dans nos archives; et, depuis la découverte de l'imprimerie, cette multitude d'écrits relatifs à l'éducation, histoires générales, monographies, traités théoriques, manuels, comptes

et lacunes à combler. - Réformes proposées. plan général d'éducation.

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Esquisse d'un

1. Cette histoire dispose à l'indulgence et invite à la circonspect tion; elle nous apprend que le présent vaut souvent mieux que le passé, mais aussi que bien des réformes, dont on attend de grands résultats, ont déjà été tentées et n'ont rien produit. A la vérité, il y a un moment pour tout, qu'il faut saisir mais qu'on ne peudevancer.

rendus des Chambres, recueils de lois et de règlements, rapports administratifs, statistiques, sans parler des harangues académiques, des discours ministériels, et d'une énorme quantité de brochures et de pamphlets relatifs aux questions les plus diverses, n'est-ce pas, pour qui essaye d'évoquer ce monde de faits, de documents et d'idées, une conception à terrifier la pensée?

Rassurez-vous, Messieurs; notre ambition est plus modeste. Nous ne nous occuperons ni de l'histoire des doctrines, ni de celle des méthodes. Nous laisserons, non sans regret, à d'autres le côté moral et psycho-physiologique de l'éducation, l'étude de l'enfant, de ses aptitudes diverses et du développement de ses facultés. Certes, il serait d'un haut intérêt de répéter l'expérience faite par un professeur d'Iéna — plus savant que père -au berceau de son fils; d'épier, le crayon à la main, les premiers bégaiements de la pensée humaine, les premiers regards, les premiers gestes de ce petit être, si près de la nature, pur et frais comme une fleur sous la rosée du matin. Mais le temps nous est limité et nous devons nous borner.

Avec les programmes, où se révèle l'esprit de l'enseignement, nous entrons dans la politique, dans la sphère de l'État qu'il convient ici de définir.

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