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L'État est, pour nous, l'ensemble des institutions qui fonctionnent dans l'intérêt commun de tous les citoyens. C'est la force mise au service de l'ordre et de la justice. A aucun moment de l'histoire, l'État ne s'est complètement désintéressé de l'instruction des membres qui le composent. Nous examinerons quel a été son rôle dans le passé, quelle est sa mission dans le présent.

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L'Église, on le sait, réclame, elle aussi, la direction des âmes, et dans le cours des temps, ces deux puissances, la temporelle et la spirituelle, se sont trouvées plus d'une fois en conflit. Cet antagonisme subsiste de nos jours; car, ni l'homme ni la société ne peuvent avoir deux maîtres. Là où la lutte s'engage pour la domination, l'accord est impossible.

Il n'est pas si facile de rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu.

Au moyen âge, l'Église, représentée par la papauté, a paru un moment l'emporter. Sous la terreur de l'excommunication, elle courbait les têtes les plus hautes, - les rois et les empereurs. - - Aujourd'hui le pouvoir civil a reconquis, peu à peu, son indépendance. La fierté est venue aux peuples avec l'exercice de la liberté et le sentiment national. Presque nulle part aujourd'hui le chef de l'État

ne peut dire : « L'État, c'est moi. » L'État, c'est tout le monde, et on n'excommunie pas tout le monde.

Cette grande loi, quelques-uns disent cette dure loi, de la sécularisation, domine toute l'histoire de l'enseignement dans le monde civilisé. C'est une force implacable, sans cesse grandissante et dont l'essor, à cette heure, est irrésistible.

En dehors des questions religieuses, les événements de la politique intérieure et extérieure des États, guerres, révolutions ou même simples changements de ministères, ont eu une action passagère ou durable, quelquefois même décisive, sur l'organisation et la direction de l'enseignement dans l'Europe contemporaine'. Cela vaut la peine d'être remarqué et examiné de près, car il ne s'agit pas seulement de ces grands courants, comme la Réforme ou la Démocratie, dont l'impulsion est fatale et dont les effets inévitables se feront sentir, tôt ou tard, dans tous les pays; mais d'événe

1. Il a été dit et répété cent fois que l'éducation a une influence considérable sur la politique et sur la stabilité des gouvernements; les théories de Platon et d'Aristote, de Hobbes et de Rousseau sont bien connues et j'aurai à les rappeler lorsque j'examinerai l'organisation de l'enseignement public à ses divers degrés et que je rechercherai une conciliation équitable entre les principes extrêmes du monopole d'État et de la liberté absoluc.

EDUCATION NOUVELLE.

III.

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ments accidentels qui pouvaient ne pas arriver ou prendre une direction différente et qui ont modifié arbitrairement l'orientation de l'instruction publique, comme l'art capricieux de l'homme peut détourner le cours naturel des ruisseaux ou des fleuves.

Les exemples s'offrent à nous de toutes parts; nous en citerons quelques-uns.

L'établissement du suffrage universel aux ÉtatsUnis, en Suisse et en France, a eu pour conséquence, pour des raisons faciles à comprendre, d'imprimer une énorme impulsion à l'instruction populaire dans ces divers pays. Mais les éblouissantes victoires de Napoléon, au commencement de ce siècle, et la destruction momentanée de la puissance prussienne, ont produit dans cette nation, par suite de circonstances toutes fortuites, les mêmes résultats. Il s'est trouvé à cette époque, à la tête de ce peuple, une dynastie éclairée, qui, avec le concours de quelques bons citoyens, a conçu et exécuté la grande pensée de réparer les pertes matérielles de la nation en ravivant ses forces intellectuelles et morales'.

1. C'est par un acte de cabinet du 10 août 1809 que fut créée l'Université de Berlin. C'est pendant l'hiver de 1807 à 1808 que Fichte prononça, dans la capitale prussienne, ses Discours à la nation allemande. C'est encore à la même époque que le ministre

L'histoire enregistre, dans ses fastes sanglants; nombre de victoires et de défaites, mais bien peu de ces résolutions viriles et patriotiques. L'effet s'en fait sentir encore aujourd'hui, et cependant figurezvous sur le trône, à cette date, quelque autre de ces princes que la Prusse a connus, les événements auraient-ils pris le même tour, et ne faut-il pas reconnaître là un de ces jeux si fréquents de la fortune et du hasard?

Autre exemple. L'Université impériale, création de génie pour les uns, œuvre de despotisme pour les autres, dont nous étudierons ensemble les origines si curieuses et si mal connues dans le détail, l'Université impériale, avec sa hiérarchie, sa forme corporative, son monopole formidable, et les programmes d'études si arriérés de ses lycées, est une institution extraordinaire et bien faite pour surprendre dans un siècle d'économistes, de philoso

d'État d'Altenstein écrivait à Pestalozzi: « Sa Majesté le roi voulant qu'on travaille activement au projet de l'éducation populaire, l'objet de votre constante sollicitude, m'a chargé, comme ministre, de la direction des affaires scolaires dans les provinces prussiennes de ses États. Pleinement convaincu de la grande valeur de la méthode que vous avez inventée et si heureusement mise en pratique, j'ai l'intention, en introduisant cette méthode dans nos écoles élémentaires, de provoquer une réforme complète de l'instruction publique dans nos provinces royales et j'en attends une influence salutaire sur le développement du peuple... »

phes et de savants, — et après cette grande Révolution. Pour établir ce monstrueux privilège sur des bases si misérables, il ne fallait pas seulement une volonté sans mesure et sans freins, il fallait aussi, et surtout, une autorité sans limites et sans bornes. On comprendra toute l'importance de cet acte de gouvernement en réfléchissant aux difficultés insurmontables qu'a rencontrées le puissant chancelier allemand, quand il a voulu, pour équilibrer le budget de l'empire, introduire certains monopoles, d'ordre matériel il est vrai. L'Université impériale a été l'œuvre d'une volonté unique, qui a réagi à la fois contre les tendances du temps et contre les traditions séculaires. Elle est le produit d'un simple accident; et cependant elle a été grosse de conséquences, en partie fécondes et durables.

Comment ne pas rappeler ici l'influence de la douloureuse guerre de 1870 et des événements qui l'ont suivie, sur le développement de notre éducation nationale? A l'exemple de la Prusse, instruits comme elle à l'école du malheur, nous avons senti le besoin de nous recueillir et de nous ressaisir, de retremper nos forces morales, de reconstituer notre outillage intellectuel. Mais ce n'est que plus tard que ce travail de rénovation s'est accompli. Il fallait bien auparavant payer la rançon énorme qu'un

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