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On voit par ce peu de citations, empruntées à notre histoire scolaire, le danger de ces expériences hâtives et mal conçues. L'exemple de l'étranger n'est pas moins instructif. L'état de l'enseignement secondaire n'y est pas meilleur; le malaise est le même, mais pour d'autres raisons. On sait qu'en Allemagne, comme en général dans les pays de langue allemande, il existe deux catégories d'écoles pour l'enseignement secondaire : des gymnases et des Realschulen; celles-ci consacrées plus spécialement à l'enseignement moderne et réal; ceux-là presque exclusivement voués à l'étude des langues anciennes. Ce dualisme date environ du commencement de ce siècle. Il est le résultat, non pas d'une création officielle, comme notre enseignement dit spécial, mais d'une sorte d'évolution historique. Vers la fin du xvIe siècle, et dans les années suivantes, alors que les sciences prenaient un essor considérable, que le commerce et l'industrie se développaient graduellement et que l'enseignement classique tombait dans un discrédit de plus en plus évident, même pour les esprits les plus prévenus, l'initiative privée, et surtout celle des municipalités dont l'action sur l'enseignement secondaire est bien plus forte et mieux établie en Allemagne qu'en France, fit naître et se développer,

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avec une très grande rapidité, de nombreux établissements consacrés à l'étude des sciences et des langues modernes, qui prirent le nom caractéristique de Realschulen et qu'il ne faut pas confondre avec les Burgerschulen, qui sont, à quelques nuances près, des écoles primaires supérieures. En pleine prospérité, les Realschulen réclamèrent l'accès des écoles polytechniques et de l'Université. C'est alors qu'on jeta une sorte de pont entre l'enseignement réal et l'enseignement classique traditionnel, qui s'était, de son côté, fortifié au commencement de ce siècle de l'étude du grec, en créant le Réalgymnase, établissement d'un caractère mixte, où l'enseignement du latin devait prendre une place de plus en plus importante dans les programmes, à côté de l'enseignement moderne. A priori, ces trois sortes d'instituts devaient donner satisfaction à tous les besoins; mais, en réalité, ils ne firent que se faire une concurrence nuisible aux uns et aux autres. Les réalgymnases, en offrant, au moins pour l'avenir, à leurs élèves l'espérance de nouveaux débouchés, arrêtèrent net l'essor et la prospérité de l'enseignement purement moderne qui se donnait dans les anciennes Realschulen; mais n'obtenant, au point de vue des études universitaires que des concessions très incomplètes, ils

engagèrent avec les gymnases une guerre au couteau où la victoire ne resta ni à l'un ni à l'autre adversaire, mais qui devait les laisser l'un et l'autre meurtris sur le champ de bataille. En logique, la cause des réalgymnases était la meilleure et même, un moment, elle a paru triompher, grâce aux sympathies qu'elle rencontrait dans l'opinion et à l'appui qu'elle trouva temporairement au ministère de l'instruction publique. Mais son vice principal, c'était son origine même; elle sortait de l'enseignement réal; cet œuf, c'étaient les Realschulen qui l'avaient couvé, et cela suffisait pour éveiller les jalousies et les défiances, pour aliéner à l'enseignement nouveau tous les maîtres de l'ancien enseignement classique. Les Universités consultées sur l'opportunité d'ouvrir, aux élèves munis du diplôme des réalgymnases, l'accès des auditoires académiques, opposèrent la plus vive résistance. On invoqua la statistique pour prouver que le nouvel enseignement rencontrait peu de crédit auprès des familles, qu'il se développait difficilement dans un grand nombre de régions; que les jeunes gens sortis des gymnases avec le certificat de maturité étaient mieux préparés, même aux études scientifiques, que leurs concurrents des réalgymnases. Ce qu'il faut remarquer, pour bien apprécier la

valeur de ces arguments, c'est que, en Prusse,

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tout au moins dans un grand nombre de localités d'une certaine importance, il n'existe que des gymnases, et que, par conséquent, les parents n'ont pas le choix entre les deux catégories d'instituts; l'élite de la jeunesse, en presque totalité, continue donc à faire ses études dans les gymnases qui ont conservé le prestige héréditaire, leurs anciennes prérogatives, et, par conséquent, une situation privilégiée, à l'encontre des établissements nouveaux dont la situation est précaire et mal définie, surtout au point de vue de l'accès aux carrières universitaires. Malgré tout, l'enseignement moderne soutient très honorablement la lutte, et les gymnases perdent de jour en jour de leur crédit dans l'opinion; de plus en plus les conséquences fàcheuses de ce dualisme apparaissent à tous les yeux, et l'idée de l'École unique se fait jour lentement, mais sûrement. Elle est déjà adoptée en principe en Hongrie, et l'organisation européenne scolaire incline visiblement dans ce sens, en vertu de cette tendance à l'unité, à la généralité qui caractérise M. Berthelot le constatait en termes éloquents — la science et la civilisation modernes.

Si l'on étudie attentivement l'évolution de l'enseignement spécial en France et celle des Realschu

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len en Allemagne, comme en d'autres pays d'ailleurs, on voit très clairement (les petits détails et les incidents locaux mis à part), que l'enseignement moderne tend de plus en plus à prendre le caractère élevé des études classiques, mais qu'il ne peut se développer utilement dans des établissements de création nouvelle et avec des diplômes spéciaux, qui seront toujours considérés comme inférieurs aux anciens; il faut de toute nécessité, s'il veut trouver une assiette stable, un personnel enseignant et une clientèle d'élèves à la hauteur de ses légitimes aspirations, qu'il prenne racine à côté des anciennes branches d'études, dans les mêmes établissements et qu'il s'y greffe dans une sorte d'union qui sera féconde pour l'une et pour l'autre forme d'enseignement.

Nous l'avons dit dans notre livre sur l'Éducation nouvelle; nous l'avons répété il y a un mois dans un article où nous annoncions, en termes sympathiques, la création d'une Association nationale pour la réforme de l'enseignement: la question n'est plus de savoir si l'on doit faire à l'enseignement moderne une place dans notre système général d'instruction secondaire; sur ce point il ne peut y avoir de contestation sérieuse. Mais quelle sera cette place, et à quel rang? Le nouvel enseignement

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