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gnal, et là a commencé une fête champêtre où toute la jeunesse des deux sexes s'était donné rendezvous. Les jeunes filles étaient pour la plupart charmantes, quelques-unes portaient le gracieux costume vaudois qui fait si bien ressortir l'éclat du teint, la blanche rondeur des bras et la svelte élégance d'une taille bien prise. Avec quel entrain n'a-t-on pas dansé jusqu'à la tombée de la nuit!

A 8 heures les étudiants donnaient à la population vaudoise, accourue de toutes les parties du pays, le brillant spectacle d'un cortège aux flambeaux. Toute la ville est splendidement illuminée. Pas une fenêtre qui n'ait ses lampions ou ses girandoles. Sur la place de la Grenette on tire un feu d'artifice, et la soirée se termine par le Commers sacramentel, grande réunion où étudiants et professeurs fraternisent, où la bière coule à flots, où les toasts succèdent aux toasts, où l'on entonne en chœur des chants d'étudiants, où l'on fait mille folies (les vieux comme les jeunes), où d'immenses monômes se déroulent autour des tables, entraînant l'assistance entière dans une sarabande frénétique.

Parmi les discours qui ont été plus ou moins prononcés, plus ou moins écoutés, nous citerons celui de M. Berdez, président des étudiants de Lausanne, qui a fait un touchant appel à la solidarité

sociale; de M. Boiceau, député de la ville, qui a parlé au nom des anciens étudiants, et du recteur M. Maurer, qui a l'ingénieuse idée de s'adresser successivement en français, en allemand et en russe, aux étudiants latins, germains et slaves pour les inviter à pousser ensemble un formidable vivat à la paix, à la concorde, à la fraternité......

Nous serions bien ingrats si nous négligions de nous faire ici l'écho des sentiments de respect et de gratitude de nos compatriotes, professeurs et étudiants, venus en si grand nombre, particulièrement des départements de l'Est, pour assister à ces belles fêtes. A leur départ, ils étaient unanimes à célébrer les louanges de l'hospitalité vaudoise et les mœurs politiques de ce peuple depuis longtemps élevé à l'école de toutes les vertus républicaines. Ils ont pu voir quelle force admirable d'expansion possèdent ces libres institutions. Ils ont eu sous les yeux l'exemple d'un peuple d'ouvriers et de paysans où l'éducation populaire est sans doute particulièrement en honneur, mais qui n'hésite pas à faire les plus grands sacrifices pour porter à son plus haut développement l'enseignement des collèges et les études supérieures. Là aussi, dans les milieux savants, ils ont entendu, sur tous les tons, faire

l'éloge de la concentration et de la liberté universitaire, oui, de ce mot Université qui signifie unité et synthèse scientifique, tandis que le mot Faculté n'exprime que l'idée de morcellement, et le mot Académie ne correspond qu'à une division purement artificielle et administrative. M. Ruffy, dans son discours inaugural, a rendu publiquement hommage aux efforts de M. Liard, qui honorait de sa présence cette cérémonie; M. Secrétan, le lendemain, à Montreux, s'est associé à ces éloges, presque dans les mêmes termes. C'est pour nous un devoir de constater ici cet accord unanime de tous les savants étrangers qui aiment la France et qui la convient, au nom de l'usage universel, à rentrer, par la création d'Universités, dans ce concert européen d'où, pour notre intérêt bien entendu, il eût mieux valu ne jamais sortir.

LE

PROJET DE LOI SUR LES UNIVERSITÉS

DEVANT LE SÉNAT

Nous avons publié, dans notre dernier numéro1, le compte rendu de deux séances du Sénat entièrement remplies par la discussion générale du projet de loi sur les Universités. Les débats ont continué le lundi 14 et le mardi 15 mars. Et cependant, malgré tant d'éloquence dépensée de part et d'autre, nous n'avons encore à enregistrer aucun vote décisif. Le projet (qu'on nous permette l'expression) reste accroché au Sénat. La haute assemblée et sa commission se recueillent avant de prendre une décision définitive. Voici, en quelques mots, le récit de cette discussion.

Le projet ministériel s'est présenté devant le Sénat

1. Numéro du 15 mars 1892 de la Revue internationale de l'Enseignement.

dans des conditions particulières qu'il convient de noter. La droite est naturellement (à quelques rares exceptions près) hostile à une mesure qui aurait pour résultat de relever le haut enseignement public et laïque. La gauche, c'est-à-dire la grande majorité, en dehors des représentants des villes directement intéressées, pour des raisons locales, à l'adoption ou au rejet de la loi, est partagée ou plutôt tiraillée entre des sentiments contraires : le désir de ne pas faire obstacle à une proposition énergiquement soutenue par le gouvernement et préparée depuis de longues années par tous les ministres républicains de l'instruction publique, et la crainte de contrarier d'aimables collègues et de blesser les intérêts de quelques villes dont les Facultés ne pourront être transformées, quant à présent, en Universités. C'est cet état d'esprit qui explique que la commission s'est trouvée divisée dès les premiers jours en deux fractions opposées et numériquement égales.

Et comme beaucoup de sénateurs sont loin d'avoir une opinion, non seulement très tranchée, mais même très nette sur la question, un peu technique, qui leur est soumise, il en résulte qu'ils sont plus aisément accessibles aux considérations sentimentales et à l'artifice des développements oratoires. Dans

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