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L'étymologie historique du mot université ne fait rien à l'affaire qu'il ait signifié ou non à l'origine une association corporative de maîtres et d'étudiants, il n'en répondait pas moins, depuis nombre d'années, à l'idée de l'union intime, dans un même lieu, de toutes les disciplines d'enseignement supérieur. De deux choses l'une ou nos petits groupes de facultés resteront ce qu'ils sont et le nom d'université ne sera pour eux qu'un trompe-l'œil; ou, comme il faut malheureusement le prévoir, elles réussiront tôt ou tard, grâce aux influences politiques, à conquérir successivement celles des facultés qui leur manquent aujourd'hui, et alors la dispersion de nos ressources et de nos forces, dans le domaine de l'enseignement supérieur, sera plus complète qu'elle n'est actuellement. Sans doute, les dispositions de la loi nouvelle qui assurent des ressources autonomes aux groupes de facultés, sont dignes d'approbation; mais la transformation de tous ces groupes en universités n'en est que moins justifiée.

Ces procédés, plus adroits qu'utiles, qui consistent à tourner les difficultés sans les résoudre,

semblent décidément prévaloir à tous les degrés de notre enseignement public. Au fond la création de notre enseignement moderne n'était qu'un expédient du même genre. De même aujourd'hui dans l'enseignement primaire on essaie de masquer le fiasco administratif de l'obligation, et d'une façon générale de la direction civique des études primaires, par cette propagande un peu tardive en faveur de l'enseignement des adultes. L'administration, qui n'a pas agi en temps opportun comme elle en avait le devoir, s'adresse aujourd'hui aux délégués cantonaux, aux membres des commissions scolaires et autres comités aussi peu actifs, et elle leur dit : Courage! allez de l'avant, je suis avec vous! » Comme si ces belles invitations pouvaient communiquer à tout ce monde un ressort et des moyens d'action qu'ils n'ont pas, qu'ils n'ont jamais eu, qu'on ne leur donne pas, et sans lesquels ils seront toujours impuissants.

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Loin de nous la pensée de blâmer l'initiative individuelle; nous l'avons toujours défendue contre la mauvaise volonté des bureaux. Nous avons toujours dit et répété, bien avant les cir

culaires administratives, qu'il fallait faire appel à toutes les bonnes volontés, et que les fonctionnaires de l'État ne pouvaient suffire à l'immense labeur de l'éducation publique. Mais nous avons aussi ajouté que l'administration devait faire abandon de quelques parcelles de son autorité à ces collaborateurs nouveaux; autrement leurs efforts seraient vains et inefficaces. La centralisation, si puissante chez nous et si ancienne, paralyse dans son trop vaste domaine l'action des particuliers comme ces arbres géants qui empêchent la libre végétation dans les espaces qu'ils couvrent de leur ombre et de leurs racines.

Mais demandez donc à l'administration de se défaire de la plus mince de ses prérogatives! Elle ne le voudra jamais. Aujourd'hui, elle fait mine d'encourager l'initiative individuelle et nous la croyons très sincère dans les intentions qu'elle manifeste assez bruyamment; demain elle arrêtera le mouvement, dont elle a donné elle-même le signal, à la première difficulté qui contrariera son omnipotence ou son apathie. Au surplus l'enseignement des adultes n'est pas la continuation de l'enseignement primaire, comme on semble le

dire; il ne s'adresse pas à la masse, mais à l'élite du grand public qu'il faudrait instruire et moraliser. L'action n'en peut être qu'intermittente et inégale. C'est à l'école seule qu'on a autorité sur l'enfant, qu'il est loisible de remplir dans une certaine mesure, à son égard, le devoir d'un père de famille et que l'intervention de l'instituteur est vraiment normale et salutaire. Récompenser le zèle de nos maîtres dans l'instruction des adultes par une prolongation de vacances scolaires, c'est affaiblir d'une façon très préjudiciable l'efficacité de leurs efforts dans l'instruction élémentaire. Il y a une contradiction manifeste à abréger les études, déjà trop courtes, de l'immense majorité des enfants dans les écoles primaires pour donner ses soins à un petit nombre de jeunes gens dans les cours d'adultes. Ces belles visées passent au-dessus du but, comme, aux distributions de prix de nos lycées, beaucoup de discours sur la haute littérature, la haute philosophie, tous, ou presque tous remarquables, j'en conviens, mais qui ne sont pas au niveau des jeunes intelligences auxquelles ils s'adressent; au reste, il n'entre pas dans la pen

sée de certains orateurs d'intéresser un public spécial par des leçons à sa portée, tàche modeste, subalterne et bonne pour des pédants, mais de briller aux yeux du monde et de faire parler de soi à la ville et dans la presse.

De grâce, ne faites pas de nos instituteurs des conférenciers, des orateurs de réunions publiques; n'excitez pas les amours-propres par des succès faciles; n'éveillez pas les ambitions par des contacts malsains! Prenez garde à certains périls plus grands à coup sûr que les quelques avantages qu'on peut attendre de vos innovations! Quand je vois les hommes qui ont provoqué le mouvement et qui en ont pris la direction, je ne puis qu'applaudir à leurs intentions généreuses et j'ai regret de paraître ici, par des réserves trop pessimistes peut-être, décourager leur entreprise; aussi bien je ne critique pas cette entreprise elle-même, mais quelques-uns des moyens dont on se sert pour la réaliser; je demande qu'on ne sacrifie pas, avec un engouement irréfléchi, le principal à l'accessoire et toutes les classes primaires à un certain nombre de cours d'adultes. L'exemple de l'Angleterre, où la liberté est si

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