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de Vahaye où l'on inhumait les victimes de la Révolution à Ernée. On allait prier souvent sur leurs tombes. On savait également la place où étaient les corps de nos habitants (six hommes et une femme).

« Le fossoyeur de l'année 1794 vivait encore en 1814 et, au moment de l'exhumation, il indiquait d'avance la place de chacun. On reconnut par des restes de vêtements la vérité de ses allégations.

« Ce fut le 16 juillet 1814 que M. Auger, alors curé de Saint-Pierre-des-Landes, alla processionnellement chercher les reliques. Celles des sœurs et des autres martyrs étaient placées à part... Lorsqu'on fut arrivé à l'église, on plaça les reliques dans une pierre de granit creusée, divisée en deux parties. D'un côté, on plaça les reliques des sœurs; de l'autre, celles des autres victimes. Cette pierre est placée au côté droit de l'autel, près la base du rétable, au-dessous de la statue de saint Pierre.

<< M. Auger fit venir près de cette pierre les enfants qui étaient à l'église, leur expliqua ce qu'étaient ces ossements et leur dit de perpétuer le souvenir du glorieux dévouement de ces martyrs. Une pierre en granit fut placée sur ces reliques avec cette inscription: Martyrs de 1794, recueillis par M. Auger, curé en 1814.

« D'après les renseignements que j'ai pu recueillir, la pierre qui couvrait les reliques fut enlevée en 1845, lorsque le chœur fut pavé en petit appareil. Les témoins oculaires m'ont affirmé, sur la foi du serment, qu'on ne toucha point aux reliques. La pierre qui les contenait fut alors recouverte par un plancher en bois sur lequel on appliqua le pavé. Le tout est resté en état jusqu'à cette année où j'ai fait relever le plancher qui, étant pourri, fléchissait sous le poids du pavé.

« J'ai trouvé exactement les reliques dans l'ordre ci-dessus indiqué : une pierre en granit creusée, divisée en deux parties par une autre pierre très plate; du côté de l'autel, des ossements gros et longs; du côté opposé, des ossements moins gros et moins longs et moins nombreux. C'est de ce côté, m'ont assuré les anciens de la paroisse, que se trou

vaient les reliques des sœurs. Quand j'ai relevé tous ces ossements pour leur donner une autre place dans l'église, avec une inscription, sur une pierre de marbre, des noms des martyrs, je vous ai fait une part prise dans la partie où se trouvaient les reliques des deux saintes religieuses... Je puis donc certifier que les reliques que vous avez ainsi reçues sont bien celles de vos vénérées sœurs Françoise Tréhet et Jeanne Véron, martyrisées à Ernée en mars 1794. »

Une autre victime de l'athéisme révolutionnaire a droit à une place d'honneur dans les annales des Sœurs de La Chapelle-au-Riboul. C'est Françoise Mézières, née à Mézangers en 1797, et institutrice à Saint-Léger-en-Charnie à l'époque de la Révolution et même plusieurs années auparavant. Quoiqu'elle n'ait jamais été associée à la Congrégation de la Mère Tulard, on peut néanmoins la regarder comme un de ses membres, soit à cause de l'instruction qu'elle en reçut, soit à cause des vertus qu'elle y apprit à pratiquer, soit à cause de l'affectueuse reconnaissance qu'elle lui garda toujours. Dès sa sortie du pensionnat de La Chapelle-au-Riboul, elle se consacra à l'enseignement des petites filles, qu'elle regardait non pas comme une fonction, mais comme un apostolat.

<< D'un zèle et d'une charité infatigables, inaccessible à la crainte, elle continua, en pleine Terreur, à donner ses soins à tous ceux qui les réclamaient, et trouva, dans l'exercice de ces pieuses vertus, l'occasion d'une mort glorieuse.

« Après la défaite du Mans, deux Vendéens, dont l'un grièvement blessé, s'étaient réfugiés dans les bois de Montéclerc, où la sœur Mézières les soigna. On dit que sans comprendre la portée de leur déclaration, ils firent connaître le nom de leur bienfaitrice. C'en fut assez pour la faire arrêter au lieu de la Baillée où elle s'était retirée, et attirer sur sa tête une condamnation à mort dont les considérants sont à la fois un monument de sauvage ineptie et un témoignage de sainteté pour la victime » (1).

La première accusation portée contre cette servante des

1. Angot, op. cit., 249.

pauvres fut << d'avoir pendant neuf jours nourri deux brigands réfugiés dans une loge, et même pansé religieusement les blessures d'un et lui avoir procuré tous les secours dont elle était capable ». Cet office d'humanité ne pourrait être imputé à crime dans aucune nation civilisée.

La seconde accusation fut « le refus de prestation de serment aux lois de la patrie ». Comme Françoise Tréhet, comme Jeanne Véron, par le refus de prêter ce serment, Françoise Mézières obéissait à un imprescriptible devoir de

conscience.

La troisième accusation fut « d'avoir, comme une autre vipère de l'engeance sacerdotale, vomi mille fois les invectives les plus outrageantes contre le système républicain ». Quelles imprécations contre la monarchie n'auraient point lancées les rédacteurs de cet article, si la monarchie eût fait mettre à mort tous les bleus qui s'étaient permis de la cen

surer ?

La générosité de l'élève égalait, on le voit, celle de ses maîtresses. Les dates du 5 février, du 13 et du 20 mars 1794 sont donc glorieuses pour les Sœurs de La Chapelle-au-Riboul. Elles méritent d'être inscrites en lettres d'or dans leurs annales plus que deux fois séculaires.

A ne juger qu'au point de vue humain, l'œuvre de la Mère Tulard semblait complètement et définitivement anéantie en ce premier trimestre de l'année 1794. Immeubles confisqués, vendus, affectés à d'autres destinations; œuvres d'instruction ruinées, personnel dispersé, réduit à se cacher; autorité annihilée : l'édifice était bien tout entier à raz-de-sol. Mais si le sang des martyrs de l'ancien temps fut une semence de chrétiens, des gouttes de sang éparses autour de la guillotine où montèrent si vaillamment les trois héroïnes dont nous venons de commémorer le sacrifice, germèrent de nouvelles générations de religieuses, et la famille de la Mère Tulard se reforma, au cours du XIXe siècle, non moins vaillante et huit fois plus nombreuse que ne l'avait connue et vénérée le XVIIIe siècle.

Espérons que les annalistes du xxre siècle, ravis d'admiration au spectacle des pousses vigoureuses produites par

l'arbre qu'émonda si profondément et si douloureusement sous nos yeux la persécution de ces derniers temps, feront. des constatations encore plus consolantes que les nôtres, tant les fruits de sainteté enserrés dans les greniers éternels seront opulents et magnifiques.

DEUXIÈME PARTIE

Depuis la Révolution jusqu'à nos jours

CHAPITRE PREMIER

Les Sœurs de La Chapelle-au-Riboul se reforment à Evron après la Révolution

Nous avons dit que la Mère Mailay, après son expulsion de La Chapelle-au-Riboul, s'était retirée au Pas, d'où elle continuait à diriger et à maintenir unis, au point de vue religieux, les membres épars de sa vaillante Congrégation. L'esprit public, si violemment irrité et égaré par les doctrines révolutionnaires, semblait s'assagir de jour en jour et revenir aux idées d'ordre et de modération qui faisaient présager une ère plus propice au relèvement religieux, moral et même matériel de notre pays.

Les administrateurs départementaux se préoccupaient d'accentuer ce mouvement, et pour cela de recruter un personnel enseignant capable de façonner au bien les enfants de la campagne ou des classes ouvrières. Etrangers, pour la plupart, à toute pratique religieuse, ils comprenaient cepen

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