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Identiques étaient les conseils de Mme Tulard à ses premières Filles. Tant de similitudes existaient, en effet, entre cette petite œuvre et celle déjà si étendue et si prônée de Mile Legras ! Le règlement suivi à La Chapelle-au-Riboul est manifestement calqué sur celui que saint Vincent présenta en 1646 aux Filles de la Charité. Relevons seulement un détail qui a trait au gouvernement de l'Institut. Ecoutons d'abord saint Vincent de Paul parlant à ses Filles : « Le premier article de vos statuts dit que la Compagnie sera composée de veuves et de filles qui éliront une d'entre elles pour être supérieure pendant trois ans, que cette même pourra encore être continuée trois années consécutives, mais non plus. Cela, bien entendu, n'aura lieu qu'après le décès de Mademoiselle » (Legras).

Au chapitre Ve du règlement donné aux associées de La Chapelle-au-Riboul, nous lisons : « La sœur Tulard, à présent supérieure de la Société qui s'est formée par ses soins, conservera pendant sa vie l'autorité de supérieure, et en cette qualité gouvernera ses filles en se conformant aux Constitutions du présent règlement qu'elle a demandé. Après sa mort, la supérieure sera toujours élective. On pourra élire la même pour un second triennat, et, si Monseigneur l'évêque le permettait, pour un troisième, mais jamais au-delà ».

La fin des deux instituts est manifestement identique. Le règlement élaboré sous l'inspiration de Mme Tulard porte à la première ligne que les Sœurs de La Chapelle-au-Riboul << sont principalement destinées pour instruire et élever chrétiennement les jeunes filles qui sont confiées à leurs soins ; pour visiter les pauvres malades et les assister pendant le cours de leurs maladies, en leur rendant les services dont elles sont capables ».

Un double apostolat est donc proposé aux membres de la petite Société : celui qui les dirigera vers le lit de souffrances des malades et des moribonds, et celui qui les enfermera dans une salle de classe, au milieu des enfants du petit peuple.

Les devoirs des maîtresses d'école sont précisés avec une

grande netteté. Deux lignes résument le programme de leur enseignement. « Elles feront attention que, dans les écoles, elles n'ont pas seulement le soin d'apprendre à lire et à écrire aux jeunes filles, mais qu'elles doivent surtout travailler à leur donner la connaissance des devoirs de la religion et à leur inspirer l'amour et la crainte de Dieu. »

Pour prendre et garder de l'ascendant sur ce petit peuple d'écolières, deux qualités sont requises dans une maîtresse d'école l'affabilité et l'impartialité. « Elles recevront gracieusement toutes les jeunes filles qui se présenteront pour être instruites. Elles auront pour toutes une égale charité, et ne donneront des marques extérieures d'estime et d'affection qu'à celles qui se distingueront par leur sagesse et leur application à l'étude. »

A ces deux qualités qui gagnent la confiance des enfants, les maîtresses uniront celles qui leur imposent le respect : la bonne éducation et la gravité dans la tenue. « Elles éviteront avec grand soin de se servir, en parlant aux enfants, de termes bas, grossiers, injurieux ou méprisants. Elles ne les châtieront point par humeur, par impatience ou par colère. Un air grave et sérieux, mêlé de douceur et de modestie, contribue beaucoup plus à tenir les enfants dans le respect et dans le silence, qu'un air farouche et impérieux, que les menaces, les paroles dures et les châtiments fré

quents. >>

Les sœurs qui visiteront les malades iront à ce ministère avec empressement et avec joie. « Elles iront, avec tout le zèle et la joie que la foi inspire, visiter et assister les pauvres, de quelque maladie ou infirmité qu'ils soient affligés ; et, regardant toujours Jésus-Christ caché dans leur personne, elles leur rendront avec affection, propreté, diligence et assiduité, tous les services convenables, sans se rebuter de la continuité des soins qu'il faut apporter dans les longues maladies, et sans se laisser refroidir par le dégoût que donne la mauvaise humeur ou l'ingratitude de ces sortes de personnes. »

Ainsi que les maîtresses d'école, les gardes-malades remplissent un apostolat et, dès lors, « comme les pauvres qu'elles

sont obligées de visiter sont ordinairement peu instruits des devoirs de la religion, et que leur âme est souvent plus malade que leur corps, elles feront leur possible pour les faire entrer dans les dispositions nécessaires pour profiter devant Dieu de leurs souffrances >>.

La dignité et la réserve de la tenue sont plus nécessaires encore dans une chambre de malade que dans une salle de classe. « Elles conserveront une honnête gravité en parlant aux malades, surtout à des hommes, et n'oublieront pas qu'elles doivent autant édifier par leur modestie que par

leur charité. »

Parmi les vertus requises dans une sœur garde-malades, la Mère Tulard insiste sur la prudence. « Elles ne passeront pas la nuit, ni même une partie de la nuit, chez un malade, pas même chez les femmes... Elles n'y demeureront qu'autant qu'il sera nécessaire, ayant toujours égard à la sûreté de leur personne et à la bienséance de leur état. Elles ne s'éloigneront jamais si loin de leur maison qu'elles. n'y puissent revenir le soir, et elles seront, dans leurs visites, toujours accompagnées, en allant et en revenant, par des personnes dont la sagesse leur sera connue. »

La journée des associées de Mme Tulard était longue et laborieuse. Commencée l'été à 4 heures et l'hiver à 5, elle se poursuivait dans la pratique des exercices de piété et l'application aux œuvres de charité jusqu'à 9 heures du soir. La méditation, dont la durée était d'une demi-heure, l'assistance à la messe dans l'église paroissiale, la lecture spirituelle, les deux examens général et particulier, la lecture durant le repas, y avaient leur place déterminée. Les récréations elles-mêmes n'étaient pas un temps d'inaction; jusque durant cette heure ou cette demi-heure, les sœurs devaient << s'occuper à quelque ouvrage ».

Ce règlement prévoyait avec sagesse et discrétion tout ce que réclamaient les besoins temporels et spirituels des personnes de la Communauté. « L'habillement des sœurs sera toujours tel qu'il est à présent, simple, modeste et uniforme, sans qu'elles puissent y faire de changement dans la suite, que du consentement du supérieur. Tout ce qui sera néces-

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saire pour leur linge et vêtement, et généralement pour leur personne, leur sera fourni par les supérieures, sans qu'aucune puisse rien acheter pour son usage... Si quelqu'une s'oubliait jusqu'à dissiper le bien de la Société ou celui de l'établissement où elle serait, ou même le profit de son tra' vail, elle sera rappelée, pour trois ans, auprès de la supérieure, pour y être occupée aux plus bas offices de la maison, et elle n'aura, pendant ce temps-là, aucune voix active ni passive. >>

Les deux premières vertus proposées par la Mère Tulard aux postulantes qui désirent associer leur vie à la sienne, sont la charité et l'humilité. « De la pratique de ces deux vertus dépend le bonheur de notre petite Société, leur faisait-elle remarquer. Jamais elle ne répandra partout la bonne odeur de Jésus-Christ Notre-Seigneur, que lorsque les personnes qui la composent y aspireront véritablement. Il est donc de la dernière importance d'inspirer l'amour de ces vertus à celles qui désireront y entrer, de n'y recevoir que les personnes qui y auront de la disposition, et d'exclure celles qui auront des dispositions contraires, après les avoir exercées et éprouvées. »

Bien que Mme Tulard et ses filles ne fussent liées par aucun vœu, et qu'elles n'eussent même pas l'intention d'en prononcer jamais, le règlement observé à La Chapelle-auRiboul traite, en quatre chapitres, des vertus de pauvreté, de chasteté et d'obéissance. « Vous devez vous souvenir, enseignait la fondatrice, que si la seule charité nous met dans la perfection, l'obéissance, la chasteté et la pauvreté sont les trois grands moyens pour l'acquérir. L'obéissance consacre notre cœur, la chasteté notre corps, et la pauvreté nos moyens à l'amour et au service de Dieu. Les sœurs ne doivent pas regarder ces trois vertus comme étant vouées ni solennellement ni simplement. Il n'est pas nécessaire qu'elles soient vouées pour les rendre parfaites, mais il suffit qu'elles soient bien observées. Elles doivent aussi se convaincre que, quoiqu'elles ne soient pas liées à leur Société par des vœux, l'amour de leur état et la fidélité à la grâce de leur vocation les y doivent tenir inviolablement attachées. »>

La persévérance des sœurs dans leur vocation était la grande préoccupation de la Mère Tulard. Le monde est moins dangereux et désastreux pour les âmes qui ne l'ont jamais fui, que pour les âmes qui reviennent à lui après l'avoir abandonné. L'attrait qui retient dans le monde est périlleux, mais le dégoût de la vie religieuse qui y ramène l'est plus encore. Si des âmes liées par des vœux perpétuels à l'état religieux les brisent parfois elles-mêmes ou demandent à l'autorité ecclésiastique de les en délivrer, n'est-il pas à redouter que des âmes, attachées à leur Société par une simple promesse dont la rupture ne serait pas une faute en elle-même, ne sachent pas toujours résister à la tentation de secouer un joug qui meurtrit leurs épaules? Comment résister aux sollicitations de parents trop peu surnaturels ? Comment demeurer insensible aux attraits d'une vie familiale plus indépendante et plus facile ?

Mme Tulard estimait en grand péril de perdre leur vocation les postulantes, les novices ou les jeunes associées qui s'entretenaient << dans la pensée qu'elles pourraient bien sans crime se procurer dans le monde une vie plus douce et qui ne serait pas moins chrétienne ». Son expérience et son esprit de foi lui dictaient cette réflexion : « Cette seule idée est capable de les égarer: car si, dans cette situation, on leur proposait quelque établissement dans le siècle hors de la Société, sans y penser davantage, elles accepteraient le parti... Qu'elles sachent que, tant que l'on conserve, dans la Société où l'on s'est retiré, ces pensées et ces vues de pouvoir retourner dans le monde, c'est une preuve certaine que l'on n'est pas bien à Dieu, et que par bien des endroits on tient encore à ce que l'on a quitté ».

Est-il vrai d'ailleurs qu'une âme puisse impunément regarder en arrière après avoir mis la main à la charrue ? Eclairée par les maîtres de la vie spirituelle, Mme Tulard disait, à propos des sœurs dont le zèle attiédi faisait présager leur rentrée dans le monde : « Elles sont toujours libres après vingt années, elles peuvent retourner en arrière : et comme il est difficile qu'il n'arrive quelque dégoût ou quelque chagrin dans la vie à l'occasion de son tra

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