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de Charité dans ladite ville de Lassay, pour y apprendre à lire, écrire et calculer à la jeunesse, aider et secourir les pauvres malades, et pour cet effet demeurer toujours en ladite ville de Lassay, et y avoir une apothicairerie; et l'autre, en faveur tant de tous les autres malades que des autres pauvres et nécessiteux de ladite ville. Voulant ledit seigneur, marquis de Lassay, par le moyen desdites fondations, montrer aux habitants de sa dite ville de Lassay des marques de sa protection et bienveillance pour eux. »

A chacune de ces fondations, le généreux marquis attribuait une rente perpétuelle de 400 livres. Mais par quelles industries ou par quelles attentions de la Providence la Société de La Chapelle-au-Riboul parvenait-elle à équilibrer son budget, puisque les établissements qu'elle fondait lui étaient de peu de secours, quand ils ne lui étaient pas une charge? Un ministre et secrétaire d'Etat de cette époque va nous l'apprendre.

En octobre 1761, Mathurin Lair de la Motte, curé de Jublains, expose à Mgr le comte de Saint-Florentin « qu'il est présentateur de la chapelle de Turcans, dont le temporel consiste en une maison et jardin proche l'église et quelques pièces de terre de 58 livres de revenu ; que ce revenu est si modique qu'aucun prêtre, depuis la mort du dernier titulaire, ne veut l'accepter ; que la maison serait très convenable pour une école de filles ; qu'il y a dans le diocèse des Sœurs de Sillé-le-Guillaume dont l'institution est d'instruire la jeunesse et de soulager gratuitement les pauvres malades, ce qu'elles font avec succès et approbation dans une grande partie des paroisses du diocèse où l'on a trouvé le moyen de leur faire de petits établissements ».

Le ministre d'Etat appuya cette requête pour des motifs qui méritent d'être signalés à l'admiration et à la reconnaissance de toutes les générations. « Ces fondations, disait-il, commencées avec peu, sont toujours soutenues par les curés qui en ont pris l'initiative. » Honneur à ces obscurs prêtres de village qui s'imposent de lourds sacrifices, aujourd'hui comme autrefois, pour créer et soutenir des écoles qui soient des succursales de l'Eglise ! Honneur aussi aux filles très

nobles, très désintéressées et très généreuses qui méritent le témoignage accordé en 1761 aux Sœurs de La Chapelleau-Riboul, par le ministre d'Etat que nous citons. « La vie laborieuse des sœurs, leur économie et leur frugalité sont des ressources bien capables de suppléer à la modicité des fonds. » Voilà, en effet, les trois sources qui alimentent l'actif dans le budget de toutes les Congrégations: le travail, l'économie, la mortification.

Malgré ses formidables budgets entretenus par l'impôt, la libre pensée ne pourra jamais lutter victorieusement, ni sur le terrain de la charité, ni sur celui de l'enseignement, contre les Congrégations religieuses qu'elle ne dépouillera pas de leur liberté d'action, parce qu'elle ne trouvera jamais, parmi ses adeptes, des phalanges de travailleurs qui joignent le maximum du travail au maximum d'économie. Les Sœurs de La Chapelle-au-Riboul le firent avant leur suppression par les sectaires de la Révolution; elles continuent à le faire sous nos yeux depuis leur providentieile résurrection. Cent autres Congrégations le font à leurs côtés. Dans un avenir plus ou moins prochain, le triomphe leur est assuré.

Nous aurions pu multiplier les citations pour faire éclater l'apostolat pratiqué par les Filles de la Mère Tulard tant sur le terrain de la charité que sur celui de l'enseignement. Bien que nous n'eussions pas à craindre que ces répétitions fussent taxées de redites, nous avons cru bon de nous restreindre pour ne pas trop élargir le cadre de notre « aperçu historique » sur le passé et le présent de la Congrégation des Sœurs de la Charité d'Evron.

Il nous est impossible toutefois de ne pas consigner ici un document que nous devons aux patientes recherches de l'abbé Angot, et qui est le couronnement de tout ce que nous avons dit sur le dévouement, la générosité, l'abnégation de cette si méritante Société au cours du XVIIIe siècle. C'est une lettre adressée par Mgr de Goussans, évêque du Mans, à M. Genty, subdélégué général de l'intendant à Tours.

<< Monsieur, les trois quarts et demi des sœurs de la Charité qui sont établies dans mon diocèse sont de la fondation de mes bons curés, qui ont mangé des croûtes pour épar

gner de quoi bâtir une petite maison sur leur domaine, la meubler, et ont placé sur le clergé une somme pour la nourriture et entretien de ces bonnes sœurs. Il y en a quelqu'unes des anciennes qui ont été fondées par les seigneurs, mais c'est en très petit nombre ; quelqu'unes par des particuliers charitables; jamais les paroisses n'y ont contribué pour rien. Je ne crois pas possible de les étendre par une autre voie que celle-là, quoique ce serait un bien réel pour l'humanité; je voudrais bien trouver des moyens pour les étendre dans des paroisses très considérables, mais dont les curés sont trop pauvres pour pouvoir faire quelques épargnes. J'ai pour lors cherché quelquefois les seigneurs à m'aider à cet égard, mais je n'ai jamais réussi ; feu M. de Clozel qui avait examiné, en quelques endroits, cet établissement, m'en avait demandé de La Chapelle-au-Riboul, que je lui avais refusées en lui en offrant de la Communauté de Querrehent qui ont de grandes émigrations hors de mon diocèse, mais je n'en suis pas aussi content que de celles de La Chapelle-au-Riboul, parce que je les tiens toutes sous mes mains et je ne veux pas les laisser sortir. J'ai un grand vicaire qui en a un soin particulier, et qui s'y intéresse plus qu'un bon père ne fait pour des enfants. Nos philosophes auront beau nous chanter la bienfaisance, je ne l'ai trouvée véritable que dans la charité chrétienne, parce que dans les uns, elle n'est que sur le bout des lèvres, mais dans les autres, elle se trouve dans les cœurs. >>

Ces éloges décernés en 1784, au clergé du diocèse du Mans qui englobait alors l'actuel diocèse de Laval, aux religieuses enseignantes ou hospitalières, et plus spécialement aux Sœurs de La Chapelle-au-Riboul, demeureront une protestation permanente contre les malveillantes affirmations de la libre pensée à cette époque de douloureuse mémoire. Pour fonder et entretenir des écoles gratuites ou à peu près, le clergé s'était donc réduit à la gêne et quelquefois même à un état voisin de l'indigence; pour diriger ces petites écoles et soigner les malades pauvres, une légion de filles généreuses se contentait du plus strict nécessaire, comme logement, nourriture et vêtement. Les misérables qui, pour s'ap

proprier les biens du clergé et ceux des communautés, inventèrent et propagèrent les plus abominables calomnies, étaient donc et seront toujours sans excuses au tribunal des honnêtes gens.

Nous voici amenés à parler de l'attitude que tinrent les Filles de la Mère Tulard pendant la période révolutionnaire. A ses ennemis qui s'étaient munis de pierres pour le lapider, Notre-Seigneur posait cette question : « J'ai accompli au milieu de vous beaucoup de bonnes œuvres au nom de mon père; pour laquelle de ces œuvres voulez-vous me lapider ? » (1) La Mère Mailay, supérieure générale des Sœurs de La Chapelle-au-Riboul, en 1789, pouvait demander aussi aux terroristes qui menaçaient les biens, les œuvres et même la vie de ses Filles : Quel attentat contre la sûreté publique avons-nous commis, puisque vous nous déniez le droit de travailler et même de vivre sur le sol de notre patrie? Notre-Seigneur a prédit, exposé et expliqué, au saint Evangile, ce mystère de haine et d'infamie, quand il a dit pour l'instruction et pour la consolation de ses disciples dans tous les siècles : « Si le monde vous hait, sachez qu'il m'a haï le premier moi-même. Si vous étiez du monde, le monde qui vous reconnaîtrait pour sien vous aiderait; mais parce que vous n'êtes pas du monde et que moi, je vous ai séparés du monde, voilà pourquoi le monde vous hait » (2). Voyons les brebis aux prises avec les loups dévorants; admirons une fois de plus le triomphe de la faiblesse désarmée sur la force qu'appuie le double concours des passions et de l'enfer.

1. Jo. X-32.

2. Jo. XV-18-20.

CHAPITRE VII

Les Sœurs de La Chapelle-au-Riboul confessent

leur foi jusque sur l'échafaud

La Société des Soeurs de La Chapelle-au-Riboul n'avait pas, en 1789, l'extension et l'importance que nous lui verrons prendre au cours du xixe siècle et conserver, malgré la persécution, dans les premières années du xxe. Dans le registre des arrêtés du Directoire du département de la Mayenne, nous lisons à la date du 7 septembre 1793, l'an IIe de la République Française : « Vu le tableau de nomenclature, tant des sœurs qui habitent la maison de La Chapelle-au-Riboul que de celles distribuées dans les campagnes pour le gouvernement des malades et l'instruction de la jeunesse, soit dans les paroisses situées en le territoire du département, soit en celles de celui de la Sarthe et autres ; duquel il résulte que les sœurs qui composaient cette Congrégation sont au nombre de cent soixante-et-onze, qu'il y a en outre vingttrois novices qui servent la maison, depuis les années 1785, 1786 et 1787; que les sœurs qui habitent la maison de La Chapelle sont trente-trois »> (1).

Bien qu'officiels, ces chiffres ne nous paraissent pas exacts. Le cahier manuscrit qui relate le nom de tous les établissements ouverts au moment de la Révolution en mentionne 89. Mais nous n'oserions pas affirmer que ce relevé soit complet. Les, destructions opérées par les terroristes furent si radicales jusque dans les archives, que l'hypothèse contraire est plutôt probable; d'un autre côté, les sœurs n'allaient

1. Suit dans le manuscrit la nomenclature des Sœurs de La Chapelle ainsi que des établissements. Est indiqué aussi le chiffre de la dot versée par les sœurs.

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