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à remarquer que l'acte d'adjudication, non plus que l'expertise des biens qui l'a précédé, ne fait aucune mention de la banalité.

Vers 1840 seulement, les héritiers Poucel prétendirent assujettir les habitants de la commune du Luc au droit de banalité qui avait existé sur l'ancienne paroisse, se fondant sur ce qu'il s'agissait d'un droit de banalité conventionnelle, non aboli par les lois de la Révolution, et qui, à titre de servitude réelle, entrait dans l'état des moulins, tel qu'il avait été vendu par la nation.

La commune ayant résisté, arrêt de la Cour de Pau en date du 10 mai 1842, qui déclare les héritiers Poucel mal fondés dans leur demande, par le motif que, ni dans l'acte de vente, ni dans le procès-verbal d'expertise, il n'avait été fait mention du droit de banalité. Et, sur le pourvoi, la Cour de cassation a confirmé cette décision, par arrêt du 25 juillet 1843 : << Attendu, en fait, qu'il résulte évidemment du silence sur la banalité, soit dans le procès-verbal d'expertise, soit dans l'adjudication..., que l'administration n'avait pas vendu et que l'adjudicataire n'avait ni acheté ni entendu acheter la banalité;... qu'aux termes de l'article 1615 C. civ., la vente comprend les accessoires de la chose et tout ce qui a été destiné à son usage perpétuel; mais que, pour être un droit inhérent au moulin, la banalité n'en est cependant pas un accessoire immobilier et nécessaire à l'usage du moulin, comme serait une servitude réelle, la banalité étant de sa nature et par son caractère une obligation personnelle : d'où il résulte qu'elle a été justement et légalement appréciée, en jugeant qu'elle n'avait pas été implicitement comprise dans l'adjudication nationale... >>>>

659. En parlant des services fonciers qui se transmettent avec l'établissement industriel, nous ne pouvons laisser de côté 1° les canaux d'amenée et de fuite, les biefs et arrière

biefs, les francs-bords de ces canaux et de ces biefs; 2o le régime des eaux: toutes choses qui jouent un si grand rôle dans la constitution de l'usine hydraulique. Il s'agit de nous expliquer sur leur délivrance.

660. A quel titre ces canaux et biefs, ce régime des eaux sont-ils compris dans la délivrance? Est-ce comme propriété? est-ce seulement comme affectés d'un droit de servitude au profit du jeu et de l'usage de l'usine?

Toutes ces questions se résolvent par l'interprétation de la convention et au besoin par les présomptions qui résultent de l'esprit et de la lettre du contrat, comme aussi des circonstances dans lesquelles a eu lieu le contrat. Ainsi, nous avons vu que les droits exercés par l'usinier sur les cours d'eau et sur leurs bords different de nature suivant divers cas, que nous avons exposés plus haut 1. Donc, tout ce qu'il est possible de dire ici, c'est qu'à moins de preuve contraire, le maître de l'établissement est présumé avoir voulu transmettre ces objets avec les droits qu'il y avait lui-même. S'il n'y exerçait qu'une servitude d'usage, il ne saurait être tenu à délivrer et à garantir un droit de propriété. Mais si la jouissance qu'il y exerçait était de cette dernière nature, il ne pourrait restreindre l'étendue de son obligation, en soutenant qu'il s'est réservé la propriété et n'a cédé que l'usage. Une restriction de cette sorte doit résulter explicitement ou implicitement du contrat.

Par exemple, dans une espèce, le vendeur, en aliénant une usine hydraulique « avec ses appartenances et dépendances, »> était resté propriétaire des prairies qui bordaient les canaux et les biefs, et avait continué à user, comme par le passé, de leurs eaux pour l'irrigation de ses propriétés. Les juges en ont conclu qu'il s'était réservé la propriété de ces canaux et de

1 V. n. 211.

leurs eaux, et qu'il n'en avait cédé que l'usage nécessaire à l'exploitation et au jeu du moulin 1.

La même chose a été jugée dans l'espèce suivante :

Un sieur Quesnoy avait acheté un moulin qui s'alimentait au moyen d'un canal de huit cents pieds de longueur traversant des herbages situés sur l'une des rives, et des prés situés sur l'autre rive herbages et prés que le vendeur s'était réservés. On avait donné pour limites à l'immeuble industriel, tel qu'il était aliéné, des haies qui rejetaient le canal en dehors de ces bornes; de plus, le vendeur avait conservé, sans réclamation de la part de l'acheteur, l'usage d'un pont au moyen duquel il communiquait de ses prés à ses herbages. Enfin, le contrat se taisait sur le canal, sur le droit de pêcher et sur le curage. La Cour de Rouen vit dans toutes ces circonstances la preuve que le canal avait été exclu de la vente et que l'acquéreur n'avait acquis qu'un droit perpétuel au volume d'eau passant par le bief et nécessaire pour faire rouler son usine 2.

661. Si le régime des eaux n'est pas, dans le contrat, l'objet d'une désignation spéciale, le vendeur est censé avoir voulu le transmettre, et l'acquéreur est tenu de le prendre dans l'état même où il se trouve au moment du contrat ; ainsi le veut l'article 614 précité.

662. Telle est, cependant, l'importance de cet objet, que le plus souvent il est déterminé d'une manière expresse. Il y a, d'ailleurs, des circonstances où il ne peut en être autrement. C'est ce qui arrive, par exemple, quand, l'usine n'existant pas encore, on achète une propriété bordée ou traversée par les eaux, pour l'y établir. On stipule donc fréquemment qu'on vend, soit le régime d'eau dont on peut disposer, ainsi qu'il est fixé par tel règlement d'eau, privé, judiciaire

: Cass., 18 juillet 1822 (Degros).

* Rouen, 21 février 1824 (Quesnoy).

ou administratif; soit une chute d'eau, une pente, une tranche d'eau de tant de hauteur; soit, enfin, une chute de la force de tant de chevaux.

Ce qui est vendu doit être délivré intégralement : cela ne fait pas de difficulté. Ce n'est donc pas à la légère que le vendeur doit s'engager dans des termes aussi stricts; il doit, tout d'abord, examiner s'il lui sera possible de délivrer et de garantir une mesure déterminée et certaine.

Si, pour obtenir la mesure qu'il prétend fixer, il songeait à un relèvement de l'arrête du déversoir et du seuil de la vanne mouloire, ou seulement à l'exhaussement de ce seuil, il pourrait s'attirer de graves mécomptes. Au moment de l'exécu tion, il se trouverait fréquemment en présence d'obstacles légaux, qui, sans compter les impossibilités de fait, rendraient cette exécution impraticable. Ainsi, l'existence d'un repère administratif, celle d'un point d'eau fixé par des règlements privés, seraient des empêchements invincibles. Il pourrait, d'ailleurs, en résulter, soit une retenue préjudiciable à des droits de prise d'eau acquis en aval, soit un remous nuisible à la chute située en amont. De là encore des motifs d'opposition. Ajoutez que ces relèvements peuvent faire refluer les eaux dans des bras supérieurs du cours d'eau et n'augmenter la hauteur de la chute qu'aux dépens du volume qui l'alimente. Cela posé, voyons comment doivent se calculer les mesures stipulées.

663. Quand la chute vendue a été désignée par sa hauteur, par exemple: « Je vends une chute d'un mètre, » on doit l'évaluer par la différence de niveau entre les eaux du bief à leur niveau le plus élevé et les eaux du sous-bief à leur état moyen1.

Le niveau le plus élevé du bief, servant de point de départ

1 Nadault de Buffon, Usines, t. I, p. 214; Daviel, Cours d'eau, no 659.

à la mesure, est évidemment celui qui se produit, les eaux étant dans leur volume normal et au moment où la roue fonctionne1; car c'est dans ces conditions seulement qu'il est possible de constater l'effet utile de la chute.

Le plus souvent, c'est le repère que l'administration a fait placer qui sert d'indice au niveau maximum du bief; et, là où le repère administratif manque, c'est l'arête du déversoir, « parce que la hauteur d'une chute ne se mesure pas eu égard au point qu'atteint l'eau actuellement, mais au point qu'elle doit atteindre, et que ce point est évidemment l'arête du déversoir 2. >>>

Cela suppose que le repère et que l'arête du déversoir ont été placés d'une manière sérieuse et effective, c'est-à-dire qu'ils sont situés à une hauteur que les eaux, prises dans leur volume normal, puissent atteindre. Autrement, « si l'eau, dans son volume normal, n'affleure pas habituellement la crête du déversoir, où sera la chute? C'est donner à l'usinier, non pas une lame d'eau effective, mais du vide pour composer sa chute 3. »

Quant à l'autre base de l'évaluation, nous avons dit que c'était le niveau des eaux du sous-bief à leur état moyen; or, sous la roue même, il se produit à la surface de l'eau des oscillations continuelles et brusques, et, à quelques mètres plus loin, le remous de la chute commence à se faire sentir. C'est donc dans la portion intermédiaire, c'est-à-dire à un, deux ou trois mètres de la roue, selon les circonstances, que la mesure doit être prise 4.

Le mode d'évaluation que nous venons d'indiquer ne doit être employé, bien entendu, qu'autant que les parties ne sont

1 Rouen, 4 avril 1843 (Darpantagny).

2 Arrêt de Rouen, précité.

3 Daviel, loc. cit.

* Nadault de Buffon, t. I, p. 214; Viollet, Journal des usines, t. III, p. 6.

TOME II.

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