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nous venons d'examiner, est tout autre ; c'est la question de savoir si le privilége du fournisseur de ces objets non payés cède ou non devant l'hypothèque qui, alors qu'elle frappe tout l'immeuble industriel, comprend également les effets mobiliers, devenus immeubles par destination, dès qu'ils ont été scellés au fonds, ou qu'ils y ont été placés pour l'usage perpétuel de l'usine. Mais c'est là un détail qui sort du cadre de notre travail,

669. Plus haut nous avons dit que les pentes et les chutes d'eau d'une usine hydraulique pouvaient être l'objet de désignations expresses, en vue de déterminer la force et la puissance de celles qu'on s'engageait à délivrer avec l'établissement. Nous en dirons autant des appareils moteurs, machines, mécaniques, ustensiles, etc. On peut, dans le contrat ou dans l'acte de transmission, fixer la nature, les dimensions, les dispositions, la puissance de tous ces objets.

Mais quand il est dit, par exemple, que le récepteur hydraulique, que la machine à vapeur de l'usine vendue, ou donnée, etc., est de la force de tant de chevaux, où doit se prendre cette mesure, pour savoir si l'obligation est remplie? Est-ce sur la force qui est utilisée par le mécanisme plus ou moins parfait mis en mouvement par l'appareil moteur? Estce, au contraire, sur la force utile, c'est-à-dire sur toute celle que cet appareil peut communiquer à un mécanisme perfectionné?

Nous croyons que, dans la circonstance, c'est seulement de cette dernière force qu'il doit être tenu compte, et que, par conséquent, elle doit être mesurée sur l'arbre de couche soit du récepteur hydraulique, soit de la machine à vapeur. Ici encore, le vendeur livre une force à un spéculateur; c'est à celuici de l'utiliser ensuite à son gré.

Il faut donc en conclure que le vendeur qui, après s'être obligé à livrer un appareil moteur de la puissance de civ

quante chevaux, transmettrait un mécanisme qui n'utiliserait qu'une force moindre, n'en aurait pas moins rempli son obligation, si la puissance du moteur, mesurée sur son arbre de couche, donnait bien réellement le chiffre indiqué.

670. La délivrance comprend encore, indépendamment des immeubles par destination, ce que la loi appelle les accessoires.

Ces accessoires, dont il est question dans l'article 1615, ne sont pas nécessairement les objets immobilisés en vertu des articles 524 et 525 du Code Napoléon. Il n'y a utilité à distinguer les choses immobilisées de celles qui ne le sont pas, que lorsqu'on veut rechercher jusqu'où s'étend l'hypothèque qui frapperait le fonds industriel et jusqu'où vont les effets de la saisie immobilière qui en aurait été effectuée; mais il n'en est plus ainsi, et cette distinction n'a aucune raison de se produire, quand il s'agit simplement de savoir ce que doit comprendre la délivrance d'un établissement industriel. Ici la loi ne dit pas que la délivrance comprendra uniquement la chose et ce qui est destiné à son usage perpétuel; elle ajoute qu'on en doit délivrer encore les accessoires. Ces accessoires contribuent en effet, aussi bien que les objets immobilisés, à constituer l'état d'une usine; or, nous l'avons vu, c'est dans l'état où la chose se trouve au moment de la vente qu'elle doit être délivrée. Les accessoires d'une usine forment donc un troisième élément de la délivrance.

Ce n'est plus alors à raison du fait légal d'immobilisation, mais à raison d'un simple caractère d'utilité au point de vue de l'exploitation industrielle du fonds, telle qu'elle était effectuée au moment de la transmission, qu'on reconnaît que des objets sont les accessoires de ce fonds. Au surplus, il y a là une question d'appréciation qui, en cas de litige, rentre dans le domaine absolu des juges du fait et des intentions. C'est par les circonstances et l'interprétation de la lettre et de l'esprit du contrat que ceux-ci se laisseront guider. Là où la

transmission doit s'opérer par suite de legs, de donation, ils se montreront faciles dans la détermination de ce qui doit être considéré comme accessoires; car, en pareil cas, le précédent propriétaire est présumé avoir voulu agir généreusement envers celui qu'il fait plus ou moins son héritier. Ils se montreront, au contraire, plus réservés, lorsqu'il s'agira d'un contrat à titre onéreux, d'une vente, d'un échange', etc.

671. Peut-on regarder comme accessoires de l'usine les matières premières et les objets manufacturés qui s'y trouvent emmagasinés au moment de la transmission et à l'égard desquels aucune stipulation expresse n'aurait été insérée dans l'acte de vente?

Nous ne voyons rien qui s'y oppose en principe, ainsi que nous venons de l'établir; tout dépend des circonstances et de ce qu'on peut croire, d'après elles, avoir été la commune intention des parties. Il est certain que les objets dont nous parlons se rapportent directement à la double destination d'une usine, laquelle est, comme nous aurons occasion de le dire, un fonds de commerce non moins qu'un atelier de fabrication; ils la complètent, puisque sans eux cette destination subirait tout au moins une interruption funeste l'usine cesserait de fonctionner faute d'aliments. Or, c'est là un résultat qui n'a pu entrer dans les prévisions et les désirs des parties. Le vendeur n'a pas dû vouloir diminuer la valeur du fonds qui forme sa garantie; l'acquéreur n'a pu encore moins consentir à la dépréciation immédiate de sa propriété nouvelle.

La doctrine contraire pourrait, il est vrai, s'étayer de ce que Proudhon enseigne au sujet d'une usine léguée en propriété ou en usufruit. « Supposons, dit Proudhon, que le testateur n'ait légué que l'usufruit de l'usine, sans rien dire

1 V., sur l'interprétation d'un contrat de vente, les articles 1156, 1160, 1161, 1602 du Code Napoléon.

* V. n. 684.

de plus, les denrées dont elle sera munie pour approvisionnement ne seront pas comprises dans le legs, parce qu'elles ne sont pas, comme les ustensiles et agrès, déclarées immeubles par accession. » Et plus loin: « Le legs d'usufruit d'une usine n'emporte pas le droit de jouir des marchandises qui se trouvent manufacturées et recueillies dans les magasins, lors du décès du testateur : comme le legs de la propriété même de l'usine ne comprendrait pas non plus les objets de cette nature qui ne sont que des marchandises et qui n'ont rien de commun avec les choses mobilières que la destination de père de famille aurait accessoirement attachées au fonds1. »

Mais cette opinion repose, on s'en aperçoit, sur une confusion entre les accessoires de la chose et les objets destinés à son usage perpétuel, alors, cependant, qu'il y a là deux éléments distincts de la délivrance à opérer dans les termes de l'article 1615. D'ailleurs, en matière de contrat de bienfaisance, encore plus qu'en matière de vente, il est difficile d'admettre que le testateur ou le donateur ait voulu, au moyen d'une réserve sous-entendue des approvisionnements, restreindre les conséquences d'une gratification, d'un bienfait, et ne transférer au donataire qu'une propriété improductive et par conséquent imparfaite.

672. L'achalandage, qui consiste dans l'ensemble des relations existant entre une maison de commerce ou un établissement industriel et les personnes qui s'y fournissent habituellement, l'achalandage, disons-nous, s'il ne doit pas être considéré comme immeuble par destination 2, peut cependant être regardé comme un des accessoires de l'établissement, et dès lors se transmet avec lui: c'est ce que bientôt nous aurons l'occasion de démontrer 3.

1 Usufruit, no 1143.

Cass., 13 juillet 1840 (Grition).

* V. n. 684.

La délivrance de l'achalandage est effectuée par la remise des livres commerciaux de l'usine, et notamment du livre contenant les opérations et la correspondance quotidiennes. Elle résulte encore suffisamment du soin que prend le précédent propriétaire de ne susciter aucune concurrence à celui qui lui succède dans l'exploitation.

673. L'obligation de délivrer l'immeuble industriel vendu, donné, légué, dans l'état où il se trouve au moment de la transmission de propriété, avec toutes ses circonstances, dépendances, accessoires, etc., a sa sanction générale dans l'article 1156 du Code Napoléon : « L'obligation de donner emporte celle de livrer la chose et de la conserver jusqu'à la livraison, à peine de dommages-intérêts envers le créancier.»

Les dispositions de loi relatives à la vente sont plus explicites encore : « Art. 1610. Si le vendeur manque à faire la délivrance dans le temps convenu entre les parties, l'acquéreur pourra, à son choix, demander la résolution de la vente ou sa mise en possession, si le retard ne vient que du fait du vendeur. Art. 1611. Dans tous les cas, le vendeur doit être condamné aux dommages et intérêts, s'il résulte un préjudice pour l'acquéreur du défaut de délivrance au terme

convenu. »

Ainsi, la loi exige la délivrance absolue de l'objet dont la propriété est transmise par vente, donation, legs, etc. Et même, en matière de vente, l'impossibilité matérielle où le vendeur de l'usine se serait mis de la délivrer complétement, cette impossibilité concernàt-elle un accessoire de valeur relativement minime, doit, si l'acquéreur l'exige, donner lieu à la résiliation du contrat. En pareil cas, le vendeur ne serait pas admis à offrir, et le tribunal ne pourrait ordonner qu'il fût fait, sur le prix de vente, une ventilation et une diminution proportionnelle à l'accessoire non délivré. La règle de l'article 1610 n'admet point de ces distinctions.

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