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usage, d'ailleurs contestable à certains égards, n'a jamais eu un tel caractère de généralité et de perpétuité qu'on puisse l'indiquer comme un précédent à suivre. Puis, dans un pays et à une époque où il y a si peu de chrétiens fervents, il exposerait l'Église aux plus grands dangers s'il venait à être

renouvelé.

L'idée d'appeler tout le peuple à l'élection des évêques ayant été repoussée, on a proposé de soumettre la nomination au clergé qui se réunirait, soit aux maires (système proposé par M. Cenac), soit aux membres du conseil de fabrique (système proposé par M. Chapot), soit aux chefs de famille notoirement connus pour appartenir au culte catholique (système proposé par M. Isambert). Il y avait là des inconvénients que tout le monde comprend. Pourquoi n'admettre qu'une partie du peuple, et comment faire le discernement de ceux qui professent le culte et de ceux qui ne le professent pas? Frappé de ces considérations, le comité a décidé, dans sa séance du 18 février 1849, que les laïques n'interviendraient pas dans le choix des évêques; mais il s'est ensuite demandé s'il ne devait pas en être autrement de l'État, afin d'introduire en un sens et sous une autre forme ce même élément, qui serait alors représenté par le chef du gouvernement. Ici est venue se reproduire l'éternelle question de savoir jusqu'à quel point l'État doit s'immiscer dans les affaires de l'Église. Quelques membres du comité auraient voulu que le choix fût fait par le clergé du diocèse et que le candidat choisi eût été ensuite directement présenté à l'institution canonique. L'intervention de l'État, disaient-ils, a de tout temps été fatale à l'Église. Ses choix sont toujours ou presque toujours déterminés par des influences particulières ou par des considérations politiques qui placent l'élu dans une position où sa dignité et son indépendance ont le plus souvent à souffrir. On répondait à cela que le pouvoir ne pouvait rester entièrement étranger au choix des évêques. Ils exercent par leur ministère et dans l'ordre hiérarchique qu'ils occupent une trop grande influence pour que l'État puisse rester indifférent

en pareille matière. Dans les pays où la religion catholique n'est pas la religion dominante, les inconvénients ne sont pas les mêmes et l'État peut se tenir à l'écart; mais en France où la hiérarchie catholique est si puissamment organisée et s'étend comme un réseau sur toutes les parties du territoire, il faut l'État tienne constamment l'œil ouvert sur ceux qui que tiennent les rênes de cette hiérarchie.

Le comité, frappé par ces considérations, ayant décidé que l'État devrait intervenir, la discussion s'est engagée sur le mode et l'étendue de cette intervention. Le corps électoral devra-t-il présenter une liste de candidats sur lesquels le gouvernement fera un choix? ou bien n'accordera-t-on à celui-ci que la faculté de s'opposer par un veto à ce qu'il soit procédé à l'institution canonique, dans le cas où l'élu ne présenterait pas à ses yeux toutes les garanties désirables?

Les partisans du veto disaient que c'était le seul moyen de tout concilier. L'État, sans doute, a le droit de veiller à ce qu'on ne mette pas à la tête des diocèses des ennemis des institutions et des lois; mais là doit se borner son intervention. Pourquoi s'immiscerait-il sans nécessité dans les affaires intérieures de l'Église? le choix des évêques n'est pas de sa compétence. L'évêque doit posséder certaines qualités déterminées par les canons et qu'il est moins propre que personne à apprécier. Il ne doit donc jouer qu'un rôle purement passif. D'ailleurs, à quoi bon un corps électoral choisi et convoqué avec peine, si on ne lui confère d'autres attributions que celle de présenter des candidats?

Ces raisons n'ont pas prévalu. On a trouvé que le simple veto ne faisait pas à l'État une part assez large. On est allé plus loin : après avoir arrêté que le corps électoral présenterait trois candidats, on a donné au gouvernement la faculté de choisir l'évêque même en dehors de cette liste de candidatures, à la seule condition de le prendre dans une des listes qui auraient été précédemment formées par les corps électoraux des divers diocèses. On a pensé qu'en donnant cette grande latitude au gouvernement, on faciliterait la promo

tion à l'épiscopat des hommes les plus dignes et les plus capables.

La discussion sur cette grave question ne s'en est pas tenue là. Le 18 octobre 1848, M. Cenac a présenté à l'Assemblée nationale une proposition qui a été renvoyée au comité des cultes, et qu'il a accompagnée de considérations que nous mettons sous les yeux de nos lecteurs. Nous reproduisons en entier le travail de M. Cenac. Comme nous avons consacré un chapitre spécial à la question de l'inamovibilité des desservants, on ne trouvera pas déplacé que nous fassions figurer ici ce que notre honorable collègue a dit sur le même sujet.

Proposition relative aux Réformes à introduire dans l'organisation du Clergé, suivie d'un Exposé des motifs, par le citoyen Cenac, représentant du peuple.

« Considérant que le Concordat a reconnu au chef de l'État le droit de nommer aux évêchés et archevêchés; que, sans porter atteinte à cette convention, le pouvoir constituant peut déterminer les limites, les catégories dans lesquelles le gouvernement doit faire ses choix; qu'il est utile, dans l'intérêt de la religion et des fidèles, de les circonscrire parmi des candidats remplissant certaines conditions et élus par une assemblée composée des membres du clergé et des maires ou adjoints catholiques du diocèse, ou des délégués des fabriques, dès qu'elles seront formées par voie d'élection;

« Considérant que l'amovibilité des pasteurs du second ordre, sans formalité, sans jugement, telle qu'elle est consacrée par les organiques et la jurisprudence du conseil d'État, est contraire aux lois canoniques, au bien de la religion et de l'État, à l'intérêt bien entendu de l'épiscopat et à la dignité des desservants qu'elle décourage et tient dans une dépendance incompatible avec nos institutions; qu'il y a lieu, dès lors, de rétablir l'inamovibilité dont jouissaient, avant

la révolution de 89, tous les pasteurs ayant charge d'âmes;

« Considérant qu'en rétablissant l'inamovibilité des desservants il est indispensable de rétablir aussi, comme contrepoids, des tribunaux ecclésiastiques, soit pour réprimer les infractions à la discipline, soit pour conserver la faculté d'éloigner de leurs paroisses ceux de ces fonctionnaires qui se seraient mis dans l'impossibilité d'y faire le bien;

« Considérant que pour la collation de presque toutes les fonctions ecclésiastiques, telles que celles de chanoines, curés de cantons, desservants et même de juges des officialités, il serait possible et utile d'y faire concourir l'élection par voie de désignation de candidats à l'autorité chargée de nommer; que cette désignation de candidats pourrait être convenablement faite, pour quelques-unes de ces fonctions, par le clergé seul; pour quelques autres, soit par tous les fidèles, soit par une assemblée composée, mi-partie du clergé, mi-partie par les maires ou adjoints catholiques de l'arrondissement ou du canton ou des délégués des fabriques;

« Considérant qu'il est utile aussi de déterminer les conditions d'aptitude, d'âge ou d'exercice à remplir, pour être promu à ces diverses fonctions;

<< Considérant enfin que, pour toutes les modifications à introduire dans l'organisation du clergé, autres que celles pour la nomination aux évêchés et archevêchés, le pouvoir temporel ne pourrait seul les décréter, sans empiéter sur le domaine du pouvoir spirituel : qu'il y a lieu dès lors d'en faire l'objet d'une négociation avec la cour de Rome;

« L'Assemblée nationale décrète :

« Art, 4er. A l'avenir, les archevêques et évêques seront nommés par le chef du pouvoir exécutif, parmi cinq candidats élus par l'assemblée du clergé et des maires ou adjoints catholiques du diocèse.

« Art. 2. Nul ne pourra être nommé archevêque ou évêque, s'il n'a dix ans d'exercice du ministère et s'il n'est docteur en théologie ou en droit canon.

« Seront néanmoins exemptés de cette dernière condition,

les prêtres ayant actuellement quinze ans d'exercice dans le ministère.

« Art. 3. Il sera, à la diligence du pouvoir exécutif, ouvert des négociations avec le Saint-Siége, afin de s'entendre avec lui: « 1° Pour déterminer les conditions à remplir pour être promu aux diverses fonctions ecclésiastiques;

« 2o Pour rétablir l'inamovibilité de tous les pasteurs ayant charge d'âmes;

« 3° Pour la création de tribunaux ecclésiastiques, régler leur composition, le mode de leur nomination et leurs attributions;

« 4° Pour introduire dans la collation de toutes les fonctions ecclésiastiques l'élection, soit pour nommer directement, soit pour désigner des candidats à l'autorité chargée de nommer à ces fonctions.

« Art. 4. Le pouvoir exécutif s'entendra aussi avec le SaintSiége, pour déterminer les fonctions pour lesquelles l'assemsemblée chargée d'élire les titulaires ou les candidats devra être composée du clergé seul, et celles pour lesquelles il sera utile de faire entrer dans cette assemblée l'élément laïque représenté, soit par les maires ou adjoints catholiques du diocèse, de l'arrondissement ou du canton, soit par les délégués des fabriques, soit enfin par tous les fidèles.

EXPOSÉ DES MOTIFS.

« Les révolutions qui se sont succédé en France, depuis un demi-siècle, ont amené une immense amélioration dans la position de la généralité des citoyens. Presque toutes les classes en ont retiré une augmentation de bien-être et de liberté. Une seule, le clergé inférieur, a vu périr dans ces tempêtes sa fortune, son indépendance. Ses biens, il ne peut les regretter, car ils servirent à sauver la patrie; mais il a dû gémir, et il gémit encore sur ses antiques garanties sacrifiées sans nécessité et contre l'intérêt de la religion et du pays.

« La grande révolution de 89, qui lui avait enlevé ses ri

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