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CITOYENS REPRÉSENTANTS,

« Je viens, au nom de votre comité des cultes, vous faire un rapport sur plusieurs pétitions qui ont été adressées à l'Assemblée nationale, et relatives, entre autres choses, à la suppression ou au maintien du budget des cultes.

« Le citoyen Adrien Boissier, pasteur de l'église réformée, à Mazères, département de l'Ariège, demande, comme conséquence obligée du principe de la séparation de l'Église et de l'État, l'abolition du salaire des cultes.

« Il se fonde sur des considérations qui vont trouver leur place dans l'analyse de celles qui sont données en général à l'appui du système qu'il propose.

« Quant au principe de la séparation complète de l'Église et de l'État, invoqué par le pétitionnaire, votre comité a pensé que ce principe était du nombre de ceux dont la discussion devait être réservée à votre comité de constitution, et, sur ce chef de la pétition, il lui a paru convenable, sans rien préjuger, de vous proposer le renvoi pur et simple à ce dernier comité, à titre de renseignement.

« Il en eût été de même de la conséquence déduite de ce principe relativement à la suppression du budget des cultes, si votre comité, dans un but facile à comprendre, celui de calmer les esprits sur une question qui touche à de si nombreux intérêts, n'avait cru devoir révéler une partie de la discussion qui a eu lieu dans son sein sur ce point particulier de la question générale.

« A cet égard, votre comité a reconnu en principe que, la religion étant une base indispensable de toute société régulière, le culte, qui n'est que l'expression, la forme extérieure du sentiment religieux, devait être mis au rang des nécessités sociales. L'histoire, en effet, n'offre point d'exemple d'un peuple vivant sans religion, sans culte; le principe qui vient d'être posé n'est donc que la consécration, le corollaire forcé d'un fait incontestable. Mais l'idée de culte public (et c'est de celui-là seul qu'il s'agit ici) implique avec elle des temples,

des ministres, des manifestations matérielles qui appellent nécessairement des dépenses, des frais de toute espèce, un budget, en un mot; et la question est de savoir si la formation de ce budget sera livrée au concours individuel et volontaire des membres qui composent la société, ou bien si on l'établira sous forme d'une allocation spéciale sur le grand budget de l'État.

« Les partisans du premier système disent, à son appui, que, dans un État qui n'affecte aucune religion spéciale, sous un régime de liberté de conscience, il est anormal de contraindre quelqu'un à soutenir une foi qui n'est pas la sienne, à concourir aux frais matériels d'un culte qu'il répudie; qu'il est plus rationnel que celui qui ne veut professer aucun culte soit dispensé d'en supporter les charges, et que chacun concoure, dans les limites de sa volonté, à supporter celles du culte auquel il veut appartenir. Ils ajoutent, en puisant leurs raisons dans un autre ordre d'idées, que le sentiment religieux d'un pays a tout à perdre dans le maintien d'un traitement officiel alloué par l'État au clergé, quel qu'il soit; que par là, en effet, le ministre de Dieu n'est plus qu'un fonctionnaire public soumis à toutes les exigences, et surtout à l'indépendance que ce titre impose; que c'est faire revêtir à l'enseignement sacerdotal la forme d'une institution humaine, ce qui lui ravit l'influence et la considération que son caractère spirituel et divin peut seul lui conserver.

« Votre comité, Citoyens, s'est profondément pénétré de ces raisons et de toutes celles qui peuvent être accessoirement déduites dans le même sens, et, après mûr examen, son avis à peu près unanime a été que le budget des cultes doit être maintenu comme allocation spéciale sur le budjet de l'État.

« En voici les raisons principales :

« Si l'on n'avait à se préoccuper que des intérêts du culte catholique, on pourrait chercher peut-être à assigner aux obligations de l'État envers ce culte, l'origine et la cause des contrats ordinaires à titre onéreux, c'est-à-dire à établir par actes que le traitement du clergé est une dette contractée par

l'État dans les conditions ordinaires de toutes les dettes, et dont il ne lui appartiendrait de s'affranchir qu'en méconnaissant ses promesses et violant la foi des traités; mais les considérations qui font l'État débiteur envers le culte religieux doivent appartenir désormais à un ordre théorique plus élevé.

« Ce n'est pas, en effet, telle ou telle forme de culte que l'État doit secourir et protéger, c'est le culte, expression générale des hommages rendus par la créature au Créateur. Si l'homme a deux fins à poursuivre, l'une matérielle et bornée aux besoins de l'existence temporelle, l'autre s'étendant au delà de ses limites par sa nature spirituelle et immortelle, l'État n'en a qu'une, c'est celle qui est enfermée dans les limites du temps, et qui est plus ou moins heureuse selon que les rapports des individus entre eux sont plus ou moins bien établis et maintenus. L'avenir spirituel n'est pas et ne peut pas être son domaine, chaque individu l'envisage et se dispose à l'aborder selon les inspirations de sa conscience, et voilà pourquoi la liberté de conscience est le premier principe d'un État bien ordonné; or cette liberté entraîne celle du culte, c'est-àdire de la forme extérieure que le croyant donne à sa prière et à sa pensée religieuse; et ici naissent, en même temps que les droits, les devoirs de l'État dans une intervention sage et salutaire.

« Veiller à ce que les manifestations extérieures des cultes ne portent réciproquement aucune atteinte à leur liberté, voilà son droit; les protéger tous et les soutenir avec un égal intérêt, voilà son devoir; mais il est bien entendu que ce devoir ne commence que là où le culte à soutenir par des subsides est un culte sérieux qui répond à des besoins assez généraux et assez nombreux pour comporter l'organisation et le maintien d'un service public.

« Cela posé, comment peut-on trouver mauvais que l'État pourvoie à l'entretien matériel des cultes au même titre qu'il pourvoit aux frais de tous les grands services publics?

« Le culte existe comme fait non créé, non provoqué par l'État; l'universalité des citoyens le professe sous une forme

ou sous une autre; l'entretien, qui est donc, par la force des choses, à la charge de l'universalité des citoyens, doit être administrativement régi, si l'on tient à distribuer dans une juste et équitable proportion les charges de l'État.

<< Mais une autre considération plus puissante peut-être fait un devoir à l'État de maintenir le budget des cultes; ce n'est jamais en vain qu'on blesse les idées de justice et qu'on violente les instincts populaires; or, il est certain que la suppression du budget des cultes, qui blesserait aux yeux de votre comité les idées de justice administrative, violenterait les instincts d'une grande partie du peuple qui tient à sa religion, au culte extérieur, et qui s'est habitué à considérer l'entretien matériel des cultes comme une charge de l'État; il en résulterait un mécontentement profond peu propre à créer des amis à la République et aux institutions qu'elle est appelée à fonder.

« Accepter, en le secondant, le patriotique élan de ce peuple religieux qui a applaudi avec transport à la proclamation de cette devise trinitaire empruntée à sa doctrine : Liberté, égalité, fraternité, voilà le devoir de l'Assemblée nationale; votre comité ne connaît pas de raison plus puissante que celle-là, pour ceux qui veulent comme lui solidement asseoir les fondements de la République. D'autre part, il est inexact de dire que le budget de l'État, étant le produit collectif et forcé de tous les concours individuels, il y a injustice à affecter une partie des ressources de ce budget à un service qui, malgré son caractère public, ne répond pas aux vœux et aux besoins de tous sans exception.

« La distribution des ressources de l'État doit, en effet, se faire sous l'influence d'une grande idée de réciprocité et de mutualité qui s'applique à tous les services publics, à tous les besoins généraux. L'impôt n'est point payé par ceux qui le doivent, avec telle destination spéciale qu'ils aient droit ou souci d'indiquer. Combien de services publics salariés dont les effets ne sont ressentis par certains membres de la société que d'une manière très-indirecte ou qui même ne le sont pas

du

tout! Faudrait-il dire pour cela que le concours partiel et obligé de ces quelques membres à l'entretien de cette partie du service public est une injustice pour eux? Évidemment non. Laissons donc de côté les objections qui s'induisent de cet ordre d'idées, et venons à celles qui affecteraient la considération et l'indépendance des ministres du culte et de la religion elle-même.

« Non, le prêtre qui reçoit un traitement de l'État n'est point, par ce fait, un fonctionnaire de l'État dans l'acception ordinaire de ce mot. Le sens habituel qui s'attache à l'idée de fonctionnaire est celui du mandat salarié avec son caractère essentiel de révocabilité; c'est-à-dire que le fonctionnaire, tel qu'on l'entend communément, tient ses pouvoirs de celui qui le paye, et s'oblige à faire ce qui lui est commandé. Tel n'est pas, assurément, le prêtre dans un sens absolu; il ne tient pas ses pouvoirs de l'État; il est tout à fait indépendant de lui en ce qui touche l'ordre spirituel, et le traitement n'implique pas ici l'idée de mandat révocable à ce point de vue. Ses pouvoirs, il les puise à une source indépendante par son essence, et sur laquelle l'État est complétement dépourvu d'action; voilà pourquoi son caractère et sa considération n'ont rien à redouter de ce contact avec l'État qui n'intervient que pour réglementer une question du salaire; le droit qui résulte en cette circonstance au profit de celui qui paie le traitement, n'est autre qu'un droit de surveillance sur la condition qui oblige celui qui reçoit le traitement à exercer le ministère auquel il est attaché, sans examiner comment ce ministère est exercé à l'endroit de l'enseignement dogmatique et de la direction des consciences.

« En quoi le prêtre pourrait-il trouver en cela son indépendance ou sa considération compromises? N'est-ce pas, au contraire, assurer et garantir cette indépendance autant qu'il est possible de le faire? Quoi! l'on voudrait livrer l'existence matérielle des ministres du culte aux soins volontaires de ceux qui le professent ou qui sentent le besoin de le soutenir! L'on ne trouverait pas là un grand élément de sujétion, d'au

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