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CHAPITRE XV.

De l'Inamovibilité des Desservants et de l'Établissement de Tribunaux
ecclésiastiques.

Les questions qui feront l'objet de ce chapitre sont de celles qui ont le plus préoccupé le comité des cultes. Ce n'est pas d'aujourd'hui que ces questions agitent l'Église. Il n'est personne qui ne sache les discussions qu'elles ont soulevées dans ces derniers temps : livres, journaux, pétitions aux chambres, tout a été mis en usage par les partisans de l'inamovibilité. Des censures, des interdits même ont répondu à ces protestations, quand elles se sont produites sous des formes inconvenantes.

L'Assemblée constituante, que l'on supposait chargée de tout réorganiser, de tout reconstituer, devait naturellement être saisie de ces grandes questions, et elle l'a été. Elle l'a été par de nombreuses pétitions et par l'initiative de plusieurs de ses membres, comme on le verra dans la suite de ce chapitre.

Le clergé secondaire, exposait-on à l'Assemblée nationale, ne peut rester plus longtemps dans la situation précaire où il se trouve placé. Il ne faut pas qu'à un signe de son évêque, sans jugement, sans autres garanties que la bienveillance toute paternelle sans doute, mais quelquefois prévenue, de son supérieur, un malheureux succursaliste puisse être changé, révoqué même, et réduit tout à coup à la plus extrême misère, parce que la volonté d'un homme, quelle que soit sa dignité, d'ailleurs, l'a ainsi décidé souverainement et en dernier ressort.

La république a été proclamée; elle a inscrit dans la constitution les droits de l'homme; elle a mis sa dignité, sa li

la

berté sous l'égide des lois; et il y aurait dans l'État une classe de citoyens qui dépendrait, non pas des lois et des usages universellement admis dans l'Église, mais, contrairement à ces lois et à ces usages, de l'arbitraire d'un homme! Ces citoyens, par leurs engagements, par les vœux qu'ils ont contractés au pied des autels, ne sont aptes qu'à remplir une fonction, fonction sacerdotale; et alors que toutes les autres carrières leur sont fermées, excepté une, on voudrait livrer leur avenir à la décision de leur supérieur ! Ah! il y a entre ces deux situations, celle de citoyen dans l'État et celle de prêtre dans l'Église, une anomalie trop choquante, pour que des législateurs animés de l'esprit de justice, de cet esprit qui a présidé à tous les grands actes accomplis par l'Assemblée nationale, ne doivent s'empresser de la faire disparaître.

A ces raisons invoquées par les pétitionnaires, il venait s'en joindre d'autres que des défenseurs officieux du clergé secondaire transmettaient journellement au comité dans des brochures anonymes où se révélaient quelquefois la passion et la prévention, et quelquefois aussi la science du canoniste et une vive argumentation.

Voici, entre beaucoup d'autres, un de ces documents anonymes.

Qu'est-ce que le Desservant dans la hiérarchie ecclésiastique? est-il Curé? est-il inamovible?

Pontifices et concilia pervicere ut non nisi perpetui, seu parochi, seu vicarii ecclesiis præficerentur. (THOMASSIN, lib. 2, ch. 27.)

Imperium episcopale summum erit, etsi infra canones et leges sit. (THOMASSIN, id.)

<< Trois hommes, dans chaque paroisse, sont pasteurs à charge d'âmes avec juridiction ordinaire, le pape, l'évêque du diocèse et le curé du lieu.

«

L'Église veut que tout pasteur des âmes qui jouit d'une

juridiction ordinaire soit institué à perpétuité, c'est-à-dire avec un titre inamovible; mais il y a cette différence que l'inamovibilité du souverain pontife est généralement attribuée au droit divin, tandis que les évêques et les curés ne sont inamovibles que de droit ecclésiastique. Le pape Pie VI a déclaré que le successeur de Pierre, par cela seul qu'il succède à Pierre, préside de droit divin à tout le troupeau de Jésus-Christ, en sorte qu'il reçoit avec l'épiscopat la puissance du gouvernement universel; tandis que les autres évêques possèdent chacun une portion particulière du troupeau, non de droit divin, mais de droit ecclésiastique (Bref: Super soliditate); et Bossuet, tout en prétendant que les évêques et les curés sont également de droit divin dans un sens, avoue cependant que, quant à la limitation des temps et des lieux, ils dépendent de l'Église Parochorum æquè ac episcoporum potestas jurisdictionis à Christo est NON AD LIMITATIONEM sed ad primariam institutionem. (Conf. d'Ang., Traité des États, 1er vol., 4o conf., 1re question.)

« Le pape et l'évêque n'exercent communément leur juridiction sur les fidèles de chaque paroisse que médiatement; le curé seul l'exerce presque toujours immédiatement, à moins qu'il ne délégue son autorité à un prêtre d'ailleurs approuvé. Tous les canonistes anciens et modernes conviennent que pour le bon gouvernement de l'Église il a été statué sagement que les pasteurs des âmes, évêques et curés, seraient établis à perpétuité chefs de leur troupeau, et que la juridiction ordinaire dans tout pasteur des âmes était essentiellement stable et permanente. Ità Thomassin et tous les anciens; et de nos jours Bouvier, évêque du Mans (de Ecclesia); Lequeux, grand vicaire de Soissons (Manuale juris canonici). Jusque-là pas de difficulté.

<<< Mais Bonaparte, en 1802, a créé des succursales et des desservants, et il a déclaré que les desservants étaient révocables par l'évêque. Il n'a établi qu'un très-petit nombre de paroisses et reconnu qu'un nombre égal de curés, et c'est ici que paraît commencer le conflit.

« Les succursales sont-elles de véritables paroisses ecclésiastiques? Les desservants sont-ils pasteurs à charge d'âmes avec juridiction ordinaire? Sont-ils curés aux yeux de l'Église comme ils le sont aux yeux des fidèles ? Les évêques de France et les canonistes modernes ne font pas difficulté de répondre affirmativement à ces trois questions. Prétendre le contraire, ce serait, en effet, aller tout à la fois contre l'opinion, le bon sens et la pratique.

<< Mais alors surgit une quatrième question, suite des trois premières Les desservants reconnus véritables pasteurs à charge d'âmes et placés à la tête de véritables paroisses sontils inamovibles? Ici l'article 31 de la loi prétendue organique du Concordat de 1801 fait hésiter plusieurs. Bonaparte, par ces trois mots : révocables par l'évêque, entendait-il révocation arbitraire ou révocation canonique? et s'il voulait parler d'une révocation arbitraire, a-t-il pu donner aux évêques un pouvoir qu'il n'avait pas lui-même? Une loi civile répudiée par le Saint-Siége peut-elle détruire une loi générale de l'Église? Faire ces questions, n'est-ce pas les résoudre?

« Il faut remarquer, en passant, que quand même on refuserait aux desservants le titre de curés pour le donner à l'évêque du diocèse ou au doyen du canton, les desservants n'en seraient pas moins inamovibles; l'évêque ou le doyen serait dans ce cas curé primitif de l'église du desservant, celui-ci en serait le vicaire, mais le vicaire perpétuel, ainsi l'ont voulu les canons: Concilia nec parochos voluerunt nec vicarios ecclesiis regendis præfici, nisi perpetuos rectores seu perpetuos vicarios. (Thom., lib. 1.)

<«< Une seconde remarque importante, c'est qu'il ne s'agit pas de l'inamovibilité bâtarde et désastreuse dont jouissent actuellement les curés agréés par le gouvernement; cette inamovibilité, plutôt civile que canonique, dépend, au fond, beaucoup plus de l'État que de l'évêque, qui ne peut destituer un titulaire sans la permission du roi ou de son conseil d'État. C'est une servitude pour l'Église. On ne parle ici que de l'inamovibilité établie par la loi canonique, et qui dépend de

tribunaux et de juges institués par l'autorité ecclésiastique.

<< Mais, pour établirou défendre la légitimité de l'état de choses créé par le premier Consul, on parle de la tolérance de l'Église depuis quarante ans, et même de prescription ou de coutume. D'abord, tolérer n'est pas approuver. On approuve le bien, on ne tolère que le mal, et l'on ne doit jamais s'appuyer sur la tolérance du mal pour créer un droit en sa faveur. Mais il n'y a même pas eu tolérance, puisque le souverain pontife a toujours protesté de vive voix, et par écrit, et par des actes authentiques, contre la loi prétendue organique du Concordat, fondement du régime actuel du clergé de France. Quand Bonaparte, Portalis, Martin (du Nord) sont d'un côté et le pape de l'autre, une conscience catholique peut-elle balancer, surtout lorsqu'il est question de gouvernement ecclésiastique et de juridiction?

« Quant à la prescription, on ne peut l'invoquer contre les desservants; leur silence ne peut établir une coutume légitime, puisque, d'après les conférences d'Angers, quelque ancien et quelque universel que soit un usage, s'il ne s'est introduit et conservé que dans la fausse supposition d'une loi qui n'exista jamais, et sans laquelle néanmoins on n'avait aucune intention de s'y assujétir, il ne peut acquérir le sacré caractère de loi. L'erreur commune, tandis qu'elle subsiste, forme une espèce d'obligation. Mais, commence-t-on à être désabusé, les choses revien nent à leur premier état, et la société rentre, à cet égard, dans son ancienne liberté (Traité des lois). Or, il n'y a pas longtemps que nos desservants savent que l'inamovibilité était une loi de l'Église, et l'amovibilité une loi purement civile; ils ne pouvaient donc pas réclamer, et c'est une injustice de les punir d'une ignorance qui ne vient nullement de leur faute. D'ailleurs, plusieurs sont retenus par la crainte ou du moins par la pensée qu'ils pourraient manquer de respect à leur évêque... En droit, la prescription et la tolérance ne peuvent donc être invoquées en faveur d'un fait purement civil et anticanonique.

« Du reste, l'auteur du Manuale compendium juris canonici,

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