Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE II.

De la Législation de 1802, ou du Concordat et des Articles organiques.

Le système de la séparation du civil et du religieux, tempéré par des concordats librement consentis par les deux parties contractantes, ayant prévalu au sein du comité, il est évident que les Articles organiques, et avec eux le Concordat de 1801 qui leur avait servi de prétexte, devaient recevoir des modifications profondes, si même ils ne devaient pas être complétement abrogés pour faire place à un nouveau Concordat. Mais avant de soumettre à nos lecteurs les changements proposés par le comité, il n'est peut-être pas inutile de mettre sous leurs yeux la législation de 1802, en leur faisant connaître en même temps la pensée qui l'a dictée. Or, personne n'est plus propre que M. Portalis à nous dévoiler en entier cette pensée. Nous allons donc faire précéder le Concordat et les Articles organiques du célèbre discours que l'illustre orateur du gouvernement prononça dans la séance du Corps législatif du 15 germinal an X, et qu'il est si utile de reproduire et de répandre, comme une des plus belles thèses qui aient été développées pour montrer combien la religion est nécessaire à la société.

Discours prononcé par le citoyen Portalis, orateur du gouvernement, dans la séance du Corps législatif du 15 germinal an X, sur l'organisation des cultes.

CITOYENS LÉGISLATEURS,

Depuis longtemps le gouvernement s'occupait des moyens de rétablir la paix religieuse en France. J'ai l'honneur de vous présenter l'important résultat de ses opérations, et de

mettre sous vos yeux les circonstances et les principes qui les ont dirigées.

Le catholicisme avait toujours été, parmi nous, la religion dominante; depuis plus d'un siècle, son culte était le seul dont l'exercice public fût autorisé; les institutions civiles et politiques étaient intimement liées avec les institutions religieuses; le clergé était le premier ordre de l'État; il possédait de grands biens, il jouissait d'un grand crédit, il exerçait un grand pouvoir.

Cet ordre de choses a disparu avec la révolution.

Alors la liberté de conscience fut proclamée; les propriétés du clergé furent mises à la disposition de la nation on s'engagea seulement à fournir aux dépenses du culte catholique, et à salarier ses ministres.

On entreprit bientôt de donner une nouvelle forme à la police ecclésiastique.

Le nouveau régime avait à lutter contre les institutions anciennes.

L'Assemblée constituante voulut s'assurer, par un serment, de la fidélité des ecclésiastiques dont elle changeait la situation et l'état. La formule de ce serment fut tracée par les art. 21 et 38 du titre 11 de la Constitution civile du clergé, décrétée le 12 juillet 1790, et proclamée le 24 août suivant.

Il est plus aisé de rédiger des lois que de gagner les esprits et de changer les opinions. La plupart des ecclésiastiques refusèrent le serment ordonné, et ils furent remplacés dans leurs fonctions par d'autres ministres.

Les prêtres français se trouvèrent ainsi divisés en deux classes celle des assermentés, et celle des non-assermentés. Les fidèles se divisèrent d'opinion comme les ministres. L'opposition qui existait entre les divers intérêts politiques, rendit plus vive celle qui existait entre les divers intérêts religieux. Les esprits s'aigrirent; les dissensions théologiques prirent un caractère qui inspira de justes alarmes à la politique.

Quand on vit l'autorité préoccupée de ce qui se passait, on chercha à la tromper ou à la surprendre.

Tous les partis s'accusèrent réciproquement.

La législation qui sortit de cet état de fermentation et de trouble est assez connue.

Je ne la retracerai pas; je me borne à dire qu'elle varia selon les circonstances, et qu'elle suivit le cours des événements publics.

Au milieu de ces événements, les consciences étaient toujours plus ou moins froissées. On sait que le désordre était à son comble, lorsque le 18 brumaire vint subitement placer la France sous un meilleur génie.

A cette époque, les affaires de la religion fixèrent la sollicitude du sage, du héros qui avait été appelé par la confiance nationale au gouvernement de l'État, et qui, dans ses brillantes campagnes d'Italie, dans ses importantes négociations avec les divers cabinets de l'Europe, et dans ses glorieuses expéditions d'outre-mer, avait acquis une si grande connaissance des choses et des hommes.

Nécessité de la Religion en général.

Une première question se présentait : La religion en général est-elle nécessaire aux corps de nation? est-elle nécessaire aux hommes?

Nous naissons dans des sociétés formées et vieillies ; nous y trouvons un gouvernement, des institutions, des lois, des habitudes, des maximes reçues; nous ne daignons pas nous enquérir jusqu'à quel point ces diverses choses se tiennent entre elles; nous ne demandons pas dans quel ordre elles se sont établies; nous ignorons l'influence successive qu'elles ont eue sur notre civilisation, et qu'elles conservent sur les mœurs publiques et sur l'esprit général. Trop confiants dans nos lumières acquises, fiers de l'état de perfection où nous sommes arrivés, nous imaginons que, sans aucun danger pour le bonheur commun, nous pourrions désormais renoncer à tout ce que nous appelons préjugés antiques, et nous séparer brusquement de tout ce qui nous a civilisés. De là l'indiffé

rence de notre siècle pour les institutions religieuses, et pour tout ce qui ne tient pas aux sciences et aux arts, aux moyens d'industrie et de commerce qui ont été si heureusement développés de nos jours, et aux objets d'économie politique, sur lesquels nous paraissons fonder exclusivement la prospérité des Étals.

Je m'empresserai toujours de rendre hommage à nos découvertes, à notre instruction, à la philosophie de nos temps modernes.

Mais, quels que soient nos avantages, quel que soit le perfectionnement de notre espèce, les bons esprits sont forcés de convenir qu'aucune société ne pourrait subsister sans morale, et que l'on ne peut encore se passer de magistrats et de lois.

Or, l'utilité ou la nécessité de la religion ne dérive-t-elle pas de la nécessité même d'avoir une morale? L'idée d'un Dieu législateur n'est-elle pas aussi essentielle au monde intelligent, que l'est au monde physique celle d'un Dieu créateur et premier moteur de toutes les causes secondes ? L'athée, qui ne reconnaît aucun dessein dans l'univers, et qui semble n'user de son intelligence que pour tout abandonner à une fatalité aveugle, peut-il utilement prêcher la règle des mœurs, en desséchant par ses désolantes opinions la source de toute moralité?

Pourquoi existe-t-il des magistrats? pourquoi existe-t-il des lois? pourquoi ces lois annoncent-elles des récompenses et des peines? C'est que les hommes ne suivent pas uniquement leur raison; c'est qu'ils sont naturellement disposés à espérer et à craindre, et que les instituteurs des nations ont cru devoir mettre cette disposition à profit pour les conduire au bonheur et à la vertu. Comment donc la religion, qui fait de si grandes promesses et de si grandes menaces, ne serait-elle pas utile à la société ?

Les lois et la morale ne sauraient suffire.

Les lois ne règlent que certaines actions; la religion les embrasse toutes. Les lois n'arrêtent que le bras; la religion

règle le cœur. Les lois ne sont relatives qu'au citoyen; la religion s'empare de l'homme.

Quant à la morale, que serait-elle si elle demeurait reléguée dans la haute région des sciences, et si les institutions religieuses ne l'en faisaient pas descendre pour la rendre sensible au peuple?

La morale sans préceptes positifs laisserait la raison sans règle : la morale sans dogmes religieux ne serait qu'une justice sans tribunaux.

:

Quand nous parlons de la force des lois, savons-nous bien quel est le principe de cette force? Il réside moins dans la bonté des lois que dans leur puissance. Leur bonté seule serait toujours plus ou moins un objet de controverse. Sans doute une loi est plus durable et mieux accueillie quand elle est bonne mais son principal mérite est d'être loi, c'est-àdire, son principal mérite est d'être, non un raisonnement, mais une décision; non une simple thèse, mais un fait. Conséquemment une morale religieuse, qui se résout en commandements formels, a nécessairement une force qu'aucune morale purement philosophique ne saurait avoir. La multitude est plus frappée de ce qu'on lui ordonne que de ce qu'on lui prouve. Les hommes, en général, ont besoin d'être fixés; il leur faut des maximes plutôt que des démonstrations.

La diversité des religions positives ne saurait être présentée comme un obstacle à ce que la vraie morale, à ce que la morale naturelle puisse jamais devenir universelle sur la terre. Si les diverses religions positives ne se ressemblent pas, si elles diffèrent dans leur culte extérieur et dans leurs dogmes, il est du moins certain que les principaux articles de la morale naturelle constituent le fond de toutes les religions positives. Par là, les maximes et les vertus les plus nécessaires à la conservation de l'ordre social, sont partout sous la sauvegarde des sentiments religieux et de la conscience. Elles acquièrent ainsi un caractère d'énergie, de fixité et de certitude, qu'elles ne pourraient tenir de la science des hommes. Un des grands avantages des religions positives est encore

« PreviousContinue »