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dées. Lorsqu'après le 24 février la république a été proclamée, les catholiques, dont la religion représente un des plus grands intérêts de l'humanité, et a dans le pays une position toute faite et des relations qui remontent aux premiers âges de notre histoire, les catholiques avaient, eux aussi, à se demander, comme tout le monde, quel rôle ils auraient à jouer sous le nouveau gouvernement, afin de savoir s'ils avaient à s'applaudir ou à se plaindre de la révolution qui venait de faire explosion en France, en faisant éclater autour d'elle, dans toute l'Europe, un mouvement qui, sans être actuellement aussi radical que celui qui nous entraîne, est destiné peut-être à produire, avec le temps, les mêmes résultats.

Les catholiques, en outre, ont été mis en demeure, par les événements, de s'expliquer et de dire franchement, nettement et sans arrière-pensée, ce qu'ils pensent des institutions démocratiques et de la situation, encore sans exemple en France, que ces institutions leur font vis-à-vis d'une république qui ne diffère pas moins par son esprit et ses tendances de celle de 93 que de l'établissement de 1830.

Les chrétiens peuvent-ils, oui ou non, vivre en bonne intelligence avec la nouvelle forme sociale? Et s'ils le peuvent, comme cela n'est pas douteux, ne doiventils pas, s'ils ne veulent porter la peine de leur indifférence, lui prêter leur concours actif et persévérant ? Si la forme républicaine est une bonne forme sociale,

et si néanmoins elle ne produit pas tout le bien qui est en elle, grâce à cette indifférence politique qui s'est emparée de toutes les intelligences, depuis que l'indifférence religieuse s'est introduite dans tous les cœurs, les croyants ne seraient-ils pas coupables de donner les premiers l'exemple d'une insouciance que rien ne saurait justifier, sous un régime de liberté où chacun peut librement manifester son opinion sans craindre de se compromettre? Et puis, en second lieu, n'ont-ils pas à gagner à l'établissement nouveau? Ont-ils à redouter

d'un gouvernement national cet esprit d'exclusion et de tracasserie où se sont laissé aller ces dynasties jalouses de toute autre autorité que la leur? L'intérêt religieux n'est-il pas un intérêt populaire? Et s'il en est ainsi, saurait-il être mieux protégé que par les mains d'un peuple aussi moral et aussi intelligent que le peuple français ? Où sont les priviléges odieux, les abus scandaleux qu'ils ont à défendre contre les tentatives des novateurs? Est-ce que la révolution s'est montrée aussi injuste pour le clergé que l'ancien gouvernement, qui lui avait suscité tant de chicanes, et qu'un souffle vengeur de la Providence a balayé en février? Est-ce que tous les actes de la république n'ont pas été, au contraire, constamment marqués, pour la religion, au coin de la plus grande bienveillance? La rue a été ensanglantée, les autels ont-ils été profanés ? Et puis encore, est-ce qu'un évêque n'a pas sous une république un tout autre rôle à remplir que sous la

royauté ? N'a-t-il pas une tout autre influence sur les populations et sur les chefs qu'elle se choisit, que sur les classes privilégiées et orgueilleuses des monarchies, et sur les princes infatués de vanité, qui, gouvernant en maîtres dans l'ordre temporel, n'ont jamais pu comprendre qu'ils ne sauraient exercer le même empire dans l'ordre purement spirituel?

Telles sont les questions toutes nouvelles que la révolution de février a posées aux catholiques. Qu'on ne s'y trompe pas en effet, ce n'est pas nous qui avons témérairement et arbitrairement soulevé ces questions. Elles ont surgi des événements naturellement et d'ellesmêmes; car, je le répète, des rapports nouveaux ne sauraient s'établir sans que du même coup des idées nouvelles ne remuent le monde des intelligences, et les croyants voudraient se taire, que les événements les forceraient à parler. L'Église occupe dans le monde une place si considérable et un rang si élevé qu'il ne peut se faire le moindre mouvement qu'elle n'en éprouve le contre-coup et qu'on ne soit obligé de compter avec elle. Il y a des esprits cauteleux qui disent: Gardons-nous de nous prononcer de sitôt sur la valeur de la nouvelle forme de gouvernement; ne nous pressons pas; les événements vont si vite que peut-être ils nous dispenseront de nous expliquer. N'y aurait-il pas de l'imprudence à nous engager dans des voies qui ne seront peut-être pas celles de l'avenir? Et en attendant, l'humanité s'en va sans boussole, ballot

tée à tout vent de doctrine, livrée à la direction du premier venu qui a un peu plus de hardiesse, un peu plus de foi que les autres. Le chrétien, je ne parle pas du clergé, il est le meilleur juge des ménagements qu'il a à garder,

mais le chrétien qui est mêlé aux affaires publiques doit-il avoir une foi politique, oui ou non? S'il a cette foi, et si on ne comprime pas son élan, il peut sauver la société en faisant passer sa foi dans les âmes. Que s'il n'a pas, que s'il ne peut avoir cette foi sans se compromettre avec les chefs spirituels de l'Église, il faut qu'il renonce à toute action; il n'est plus dans la société qu'un vain et ridicule spectateur, sans portée, sans influence. Que si, ayant cette foi, ce feu sacré qui remue les masses quand il s'exprime librement et qu'il s'échappe de la poitrine en traits de flamme, il est néanmoins réduit à user de précautions oratoires pour ne pas blesser quelques pieux scrupules, pour ne pas encourir des censures, oh! alors, dans cette situation difficile, son langage est terne, et sa foi, qui devrait remuer les montagnes, va s'évanouir et se perdre au milieu du tumulte des passions, comme une voix timide dans une assemblée de tribuns.

Eh bien! nous croyons qu'il nous sera permis de dire, dans l'intérêt même de la religion, qui est inséparable de l'intérêt de la république, que les feuilles de la Gauche se trompent quand elles accusent le catholicisme d'être en opposition directe avec toutes les ten

dances de l'esprit moderne; quand elles disent qu'il est un obstacle à toutes les améliorations, à tous les progrès de la société, qu'il est l'ennemi-né et naturel de la démocratie, que par conséquent il faut le détruire, comme on détruit un obstacle, sous peine de voir la civilisation s'abîmer dans l'immobilité du despotisme dont il aurait été, à les en croire, l'allié fidèle et dévoué.

Eh bien! nous n'hésitons pas à affirmer que ces assertions ne reposent sur aucun fondement solide. Le Christianisme, sans doute, est foncièrement conservateur, mais il est en même temps favorable à tous les progrès. Plein de respect pour les droits acquis, il appelle de ses vœux, de son influence, la réalisation de tout ce qu'il de praticable, de légitime dans les hardiesses de l'opinion.

y

Ceux qui accusent le catholicisme d'avoir fait son temps, sous prétexte qu'il ne peut vivre que sous des formes vieillies et usées, ne sauraient avoir raison contre les catholiques qui, se plaçant au-dessus de tous les partis, se font un devoir de conscience d'être équitables envers tout le monde, et surtout envers ceux qui les attaquent, en reconnaissant et en s'appropriant ce qu'il y a de vrai et de fécond dans le labeur des révolutions, qui ne saurait être stérile à tous égards.

Il ne faudrait pas croire, en effet, que le parti démocratique qui, depuis soixante ans, recherche avec une ardeur infatigable les moyens d'améliorer la condition

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