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PRÉFACE.

Nous croyons convenable de joindre au volume qui termine notre histoire une dernière préface, destinée à offrir le résumé des doctrines que nous avons précédemment exposées. En entreprenant ce travail nous obéissons aux exigences de la logique, moins encore qu'aux invitations répétées qui nous ont été adressées. Il est vrai que la plupart des critiques qui se sont occupés de notre ouvrage ont désapprouvé le système de nos préfaces; aucun d'eux ne paraît en avoir aperçu ni le sens ni le but. Mais il n'en a pas été de même de la majorité de nos souscripteurs. Nous savons qu'elles ont excité leur attention et souvent leur assentiment et leurs sympathies. Dans le temps où nous vivons, nous eussions considéré comme une grande imprudence et presque comme une mauvaise action de recueillir, ainsi que nous l'avons fait, tous les enseignemens passionnés et opposés entre eux qu'offre l'Histoire parlementaire, si nous n'eussions eu le soin de placer à côté un criterium à l'aide duquel on pût les juger, se préserver de l'entraînement, et séparer en un mot le bien du mal.

Nous avons procédé avec la pensée que la révolution n'était pas terminée; qu'elle n'avait rempli que la moindre partie des

espérances qu'elle avait données ; qu'elle avait laissé le terrain social encombré de ruines, ou de constructions incomplètes. En regardant la société qui succédait à la révolution, nous avons vu, comme tout le monde, que le doute et l'incrédulité à l'égard des choses qui obligent les hommes étaient universels, que le sentiment du droit était général, et celui du devoir ou nul ou trèsrestreint; nous avons vu qu'en l'absence de croyances morales, les hommes s'étaient réfugiés dans un matérialisme grossier, ou un égoïsme hypocrite. Nous avions été des premiers à dire que la première période de la révolution, celle de la destruction, était terminée, et qu'il fallait se hâter d'entrer dans la seconde période, celle de la réorganisation sociale. Nous avons entendu répéter la même chose partout, aussi bien dans les livres que dans les journaux ; et nous croyons encore ne nous être point trompés. Ce sont ces pensées qui ont dicté nos préfaces.

La doctrine des Droits de l'Homme, avons-nous dit, est impropre à réorganiser la société; car le droit individuel ne peut engendrer que l'intérêt individuel; et les intérêts individuels séparent les hommes et ne les associent point. Tout gouvernement fondé sur l'intérêt doit périr, car il subira toutes les chances des hostilités et des concurrences individuelles.

La vie sociale véritable est nécessairement une vie de sacrifice; car, pour l'accomplir, il faut souvent que l'individu aille jusqu'à ce point de dévouement de donner sa propre vie; il faut toujours au moins qu'il renonce à satisfaire complétement ses passions, et qu'il règle son égoïsme selon certaines exigences. Or, vivre ainsi c'est accomplir des devoirs.

La doctrine du devoir est donc la seule propre à réorganiser aussi bien qu'à maintenir la société ; car elle seule apprend aux hommes à faire abnégation d'eux-mêmes et de leurs intérêts; elle seule exprime la position véritable, c'est-à-dire, la position de

dépendance volontaire, à laquelle tout être social doit nécessairement se résoudre. Dans cette doctrine, le droit n'est que le moyen du devoir.

Mais il ne suffit pas de reconnaître un devoir abstrait; il ne suffit pas de savoir qu'il est le fondement de toute réorganisation comme de tout état social; il faut encore connaître quel est ce devoir. Il n'est point nécessaire seulement que l'homme se dévoue, il faut plus encore: il faut qu'il opère des sacrifices dans une direction déterminée, qui ne peut être ni celle d'un intérêt collectif ou individuel, ni celle d'une personne, parce que les intérêts, comme les personnes, sont périssables et ne sont point souverainement obligatoires; car les intérêts, aussi bien que les égoïsmes, aussi bien que les droits se valent. Il n'y a aucune raison pour que l'un se subalternise volontairement à l'autre. Enfin, il faut que cette direction soit telle, que le pouvoir aussi bien que le plus humble des citoyens obéisse au même devoir.

Qu'est-ce en effet qu'une nation? Une nation est une association d'hommes unis pour pratiquer et agir dans le même but. La communauté de but et d'acte, telle est la condition d'existence des nationalités. Cette communauté est la source du devoir pour chacun des membres qui y prennent part. Le but national ne peut donc être non plus ni un intérêt ni une personne, car ce doit être quelque chose d'aussi durable que la nationalité le peut être; quelque chose d'obligatoire pour tous, jeunes et vieux, grands et petits, pouvoir et sujets, présents et à venir ; quelque chose que toutes les nations puissent reconnaître, et qui leur serve de terrain commun pour traiter de la paix et de la guerre ; quelque chose enfin de supérieur aux nations elles-mêmes, sans quoi, ni l'individu ni les nations n'y trouveraient une autorité suffisante pour les obliger.

Or il existe une institution non-seulement supérieure, mais

encore antérieure à toutes les nations, dans laquelle, si l'on étudie sérieusement l'histoire, on reconnaît que celles-ci ont choisi leurs fonctions ou leurs buts: c'est la loi générale qui règle les rapports des hommes entre eux, des hommes avec le monde et avec Dieu; c'est la loi morale. L'immense majorité des hommes s'est accordée pour la considérer comme une création analogue à celle du monde, c'est-à-dire comme une institution venant directement de Dieu. Quelques hommes dispersés dans la durée de quelques siècles, c'est-à-dire une faible minorité, ont nié l'origine de cette loi. Mais pour juger cette négation, il suffit d'en chercher les motifs. Que voulaient-ils en donnant la morale comme une institution humaine? S'autoriser à choisir parmi les préceptes qu'elle contenait, c'est-à-dire à faire de l'éclec tisme à cet égard selon que l'exigeraient leurs passions et leurs intérêts. Ces intentions secrètes sont clairement indiquées dans la conduite de la plupart d'entre eux et surtout dans celle de leurs protecteurs. Le matérialisme ne fut-il pas la religion de la noblesse débauchée de la Régence, du règne de Louis XV et de Louis XVI? Hobbes ne fut il pas pensionné par les Stuarts?

Quels argumens ces incrédules ont-ils fait valoir contre l'origine divine de la morale? Ils ont invoqué la science parce qu'ils la croyaient une œuvre tout humaine. Ils ne savaient pas que les principales découvertes qui en font la base, la logique et le point de départ, avaient été faites par conclusion de cette morale? Ces grands savans n'avaient pas lu les ouvrages des inventeurs dont ils se disaient les élèves. Quoi qu'il en soit, ils ont affirmé que le monde était éternel. Et voici que la science moderne prouve que, conformément à la tradition ou plutôt à la révélation, ce monde a été créé, et que l'espèce humaine est elle-même une création très-moderne. Voici qu'une loi découverte dernièrement, la loi du progrès, loi applicable également au monde des brutes et au monde humain, vient placer sur le même rang et la série des créations qui ont fait le monde tel qu'il est, et la série des révé

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